Les secrets d’Amaterasu

11 mins

Chapitre 1 : L’échappée

Les lueurs du soleil couchant ainsi que le doux vent qui faisaient voleter les voilages rouges de la chambre du jeune prince y laissaient planer une atmosphère douce et reposante. Cependant, cela n’aidait en rien l’angoisse du jeune homme allongé sur son lit.

La fête de son 20e anniversaire battait son plein à l’extérieur dans la cour du château et pourtant, il n’avait pas encore le droit d’y assister avant la tombée de la nuit et il n’en avait pas envie. « C’était la tradition ». Ces traditions qu’il haïssait tant. Celle-ci, d’ailleurs, est la pire toutes et d’aussi loin qu’il s’en souvienne, il en avait toujours eu une peur bleue. Il s’agissait de la tradition selon laquelle le prince héritier du grand royaume d’Amaterasu devait, le jour de son 20e anniversaire, épouser la future princesse qui lui avait été fiancée pour ses 10 ans. En somme, que des traditions qui lui promettaient des anniversaires semblables à une montée sur l’échafaud.

En effet, le prince , n’aspirait pas à ce style de vie. Il ne voulait ni trône, ni mariage arrangé (l’idée du mariage ne lui disait même rien du tout à vrai dire), ni étiquette, ni traditions ou quoi que ce soit du genre, en fait. Son rang lui ôtait tout choix cela dit.

Il s’était bien malgré lui toujours plié à toutes les règles et les traditions mais là, face à l’ampleur de celle qu’il s’apprêtait à devoir honorer, son cœur se serrait bien plus fort qu’habituellement. Il était terrifié. Il ne savait même pas qui était cette jeune femme, on ne lui avait jamais présenté, cela était interdit. Il ne savait même pas à quoi elle ressemblait et pour être honnête, il avait oublié son nom. Quant à ses frères, il avait été élevé à part d’eux et n’entretenait qu’un lien cordial avec eux.

C’était trop pour lui, il ne pouvait pas s’y plier cette fois. Pour être honnête, cela faisait quelques temps qu’il échafaudait un plan pour y échapper.

Le plan en lui-même n’était pas un problème mais le dilemme qu’il posait en était un. S’il s’enfuyait, il perdrait tout ce qu’il avait, que ca soit sa famille et son titre, mais pour cela, il fallait qu’il ne se fasse pas rattraper par la garde royale. S’il décidait de refuser cette tradition, il se pourrait que la famille haut placée de la mariée ne le prenne pour un affront suffisant pour entraîner une guerre. Et dans les deux cas, il allait déshonorer sa famille. Malgré tout, même s’il n’était pas proche de son père, il aimait sa mère. Elle avait toujours été si douce et aimante avec lui alors que son père avait toujours agi comme si il n’était qu’un élément du décor qu’il pliait à sa volonté quand cela pouvait servir ses intérêts. Autrement, il n’avait pas spécialement de contact avec son père, même s’ils vivaient dans le même palais. Après tout, quelles attaches retenaient son cœur ici ?

Il avait passé des heures à cogiter avant de finalement prendre sa décision. Il ne pouvait pas faire ça, cela était au-delà de ses forces. Alors, il se leva d’un bond et il se dirigea vers son balcon sud, celui qui lui donnait accès à un chemin exempt de tours de gardes susceptibles de le repérer. Il connaissait chacune d’elles par cœur à force de faire le mur.

Cependant, il avait toujours fait le mur dans les murs de la capitale car il était interdit à tout habitant de la Cité de franchir ses murs et de ce fait, la grande majorité des habitants n’avaient jamais vu l’extérieur, mis à part les gardes. Cela allait donc être la première fois qu’il quittait sa cité natale mais cela ne l’effrayait pas autant que de se marier avec une inconnue.

Sans même y réfléchir, il emprunta alors un passage uniquement connu de lui-même afin de rejoindre les écuries non loin du palais.

Ceci fait, il sella rapidement son cheval, celui qu’il montait depuis déjà quelques années et qu’il avait baptisé en toute originalité « Tonnerre ». Il ne se voyait pas partir sans lui en plus de ne pas pouvoir dire au revoir à sa mère.

C’est au grand galop qu’il partit en direction de la porte Sud qui était ouverte en raison de l’évènement de ce soir et, avant qu’un quelconque garde n’ait pu le stopper ni ne serait-ce que se rendre compte de ce qu’il se passait, il la franchit.

Comme il pouvait l’apercevoir depuis le plus haut du palais, il sortit dans une grande plaine pratiquement couverte de multiples champs et quelques fermes où, à cette heure-ci, tous les paysans dormaient à poings fermés.

Il fuyait si vite que le vent d’été parvenait à engourdir ses doigts. Il fallait dire que, certes, il avait un plan pour fuir mais il n’avait pris aucune tenue de rechange ni aucune arme, aucun équipement, nourriture,… En fait, il avait simplement réfléchi à comment sortir de la Cité. Maintenant, son esprit était totalement concentré sur la fuite. Fuir sans se retourner et surtout le plus loin possible. Son cheval était parfaitement capable d’endurer une telle course alors il ne s’en faisaient pas pour lui mais pour la nouvelle de sa fuite qui devait déjà être arrivée aux oreilles de son père. Sans doute des gardes étaient-ils déjà à sa recherche.

Il ne s’arrêta qu’au petit matin, quand les premières lueurs de l’aurore atteignirent son visage. De toutes les manières, devant lui, à quelques dizaines de mètres se tenait un mur immense, si grand qu’il n’en voyait pas le haut, stoppait forcément sa fuite. Il descendit alors de son cheval, qui avait bien besoin de souffler un peu.

Il s’approcha lentement de cette grande étendue verticale qui ressemblait à s’y méprendre à un lac gelé ; quoique sa couleur légèrement améthyste et byzantium le détournaient de cette hypothèse. En fait, son précepteur privé ne lui avait jamais réellement parlé de cette frontière, on peut même dire qu’il lui avait menti, car il ne lui avait parlé que d’un flanc de montagne inexploitable. Plus étrange encore, il n’y avait rien à au moins 10 mètres du mur… Partout ailleurs, de petits fourrés parfois accompagnés de cabanes, voir des fermes entières parsemaient la plaine mais ici… Il semblait que même l’herbe peine à pousser.

Une fois assez près de la surface assez lisse pour qu’il puisse presque y distinguer son reflet, il ne pût s’empêcher de déposer sa petite main pâle dessus. Il se demandait si la texture de cette matière étrange allait être lisse, humide, ou même les deux. Il n’avait jamais rien vu de tel. Et pourtant lorsque ses fines phalanges entrèrent en contact avec la paroi, cela n’avait rien de toutes ces caractéristiques. On aurait dit de la pierre. Rien d’autre qu’une paroi de montagne comme on le lui avait dit.

Il resta quelques secondes perplexe. En réalité, ce n’était pas tellement ce mur qui le taraudait mais plutôt : qu’allait-il faire à présent ?

Mais avant même qu’il eut le temps de penser plus loin que cela, le mur sous ses doigts se mit à se craqueler et son froid glacial se transforma en une chaleur presque attirante, comme si le mur avait été chauffé en plein soleil un jour de canicule. Il retira donc sa main, instinctivement effrayé et il constata une marque dans la pierre, comme si quelqu’un de très puissant y avait asséné le plus grand coup de poing de sa vie. Jamais il n’aurait été capable d’une telle chose. Et soudain, sans qu’il n’ait plus touché à rien, la fissure s’étendit sur tout le mur à une vitesse vertigineuse, et si haut qu’il la perdit de vue. Le mur tout entier se mit à trembler, trembler de plus en plus fort, tant et tant que cela fit reculer le prince de quelques pas.

Et quelle erreur car, en levant les yeux, il vit un énorme bloc de pierre dégringoler du haut du mur et droit vers lui. Il était bien trop grand, impossible à éviter. Il ploya alors le genou et croisa les bras au-dessus de la tête, attendant sa fin inéluctable, les yeux fermés le plus fort possible.

Mais au lieu de ressentir cette puissante force d’écrasement qu’il attendait, il ressentit des bras forts entourant sa taille et l’envoyant valdinguer dans les airs tandis qu’un énorme vacarme causé par la gigantesque pierre se faisait entendre.

Il ouvrit alors les yeux d’un coup, complètement perdu et perplexe face à ce qui venait de se passer. Il regarda partout autour de lui puis, d’un coup, il se retrouva complètement hypnotisé par des yeux dorés aux pupilles en forme de fente. Deux yeux de chats à l’air malin et espiègle qui retinrent toute son attention, allant même jusqu’à lui faire oublier sa panique et entre-ouvrir sa bouche sous l’effet de la surprise et de l’émerveillement. Il n’avait jamais vu d’autres yeux que celui de son peuple alors, ami ou ennemi, cela ne lui traversait même pas l’esprit.

– Alors, dit une voix grave et presque mielleuse, détruire le Mur-Frontière est donc la première ânerie que le prince héritier fait de sa fugue ?

Il était moqueur et cela n’était honnêtement pas désagréable à entendre. Cela lui changeait des courbettes qu’on lui réservait vingt-quatre heures sur vingt-quatre au palais. Aussi loin qu’il s’en souvienne, c’était la première fois qu’on lui parlait sans détour, en faisant fit du protocole, de l’étiquette et de la bienséance.

– Détruit quoi ? Répondit-il en bégayant à moitié.

Il pût enfin détacher son regard de ces yeux splendides afin de regarder correctement l’individu qui se tenait devant lui ; un sourire légèrement moqueur et satisfait aux dents un peu trop pointues pour être humaines, une touffe de cheveux noirs comme le geais et surtout désordonnés mais étrangement brillants et, presque au sommet de sa tête, deux grandes oreilles félines tout aussi poilues se dirigeaient dans tous les sens à la fois, comme si il essayait de percevoir un bruit lointain et que lui-même ne pouvait entendre.

Il le savait, il l’avait appris dans ses leçons, il avait devant lui un Neko, ces fameux hybrides moitié elfes, moitié humains, qui peuplaient habituellement la forêt tout à l’est du pays. Il étaient pourtant à l’extrême ouest.

L’inconnu s’approcha alors de lui, très près, sans doute un peu trop près car il pût distinguer un léger ronronnement venant de la gorge du chat. Il semblait donc beaucoup s’amuser de cette situation, et surtout du visage rougissant du prince. Il sentit alors une longue queue épaisse et douce s’enrouler autour de lui comme pour l’empêcher de fuir ; et enfin une griffe tranchante comme un rasoir glisser le long de son cou.

Venait-il de se faire capturer par son sauveur ? Allait-il le tuer ? Le vendre ? Il avait toujours eu mauvais échos de ce qu’il se passait hors de l’enceinte de la cité alors il était prêt à tout envisager. Et surtout, venait-il de se faire capturer aussi bêtement ? Hypnotisé par les yeux d’un matou en armure de cuir ? Il se sentait vraiment ridicule. Il ne savait pas quel sort l’attendait mais peut-être que finalement, le mariage n’était pas si terrible.

Devant le silence du Neko et ses ronronnements de plus en plus forts, le prince ouvrit une nouvelle fois la bouche, d’une voix tremblante.

– Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous voulez ? Je n’ai rien à offrir…

– Oh, nous ne sommes que d’humbles chasseurs de prime et il semble que celle sur le prince héritier de ce beau royaume d’Amaterasu ramené vivant soit… Mirobolante, que dis-je ? … Gargantuesque. Donc tu vois, tu n’as pas « rien à offrir », petit.

Nous ? Mais il n’y avait pourtant personne d’autre… Mais c’est alors, qu’avant que le prince ait le temps d’assimiler la totalité des infirmations, qu’il entendit une voix féminine venir de derrière le chat.

– Lâche-le, Tetsuri. On n’est pas là pour le traumatiser mais pour le ramener chez lui.

La prise du chat sur le prince se relâcha alors et il se tourna vers la source de cette voix douce et à la fois grave. Sa queue, par contre, restait fermement enroulée autour de lui.

– On ne faisait que plaisanter, ma chère, tu me connais.

– Justement, je ne te connais que trop bien.

La femelle Neko s’avança alors vers lui. Elle avait l’air beaucoup plus digne de confiance que son compagnon. Elle était grande, plus grande que la plupart des femmes de son village et on pouvait voir malgré son armure que ses formes féminines étaient particulièrement développées. Ses traits étaient à la fois doux et durs, on pouvait deviner qu’elle avait vu bien plus de choses que lui n’en verrait jamais dans sa vie.

Et surtout, si il considérait que Tetsuri était « touffu », cela n’était rien à côté de l’immense et très longue crinière rousse et blanche de la jeune femme. Sa queue à elle semblait encore plus longue et massive que celle du mâle. Tetsuri restait le plus impressionnant mais cela n’était rien par rapport à cette femme dont il ne connaissait pas encore le nom. Elle lui sourit alors puis elle posa sa main ornée de griffes encore plus effrayantes que celles de Tetsuri sur son épaule.

– Moi, c’est Maya, n’aie pas peur de Tetsuri, il est aussi stupide qu’effrayant. Il va te ramener chez toi, toucher la prime, et tu ne reverras plus jamais sa sale tête.

Pourtant, le prince était loin de considérer le Neko comme ayant une sale tête. Certes, ils étaient loin de se ressembler mais il lui trouvait un charme étrange qu’il ne pouvait détruire.

C’est à ce moment qu’un immense craquement se fit entendre là où l’héritier du royaume avait posé la main un peu plus tôt et tous se tournèrent vers la source du bruit. La paroi de la roche s’effrita en un trou, qui ne tarda pas à laisser passer la tête d’un énorme lézard blanc et rouge. De là, il ne voyait qu’un seul de ses grands yeux bleus et globuleux mais cela était suffisant pour qu’il prenne peur et comprenne le danger qui les guettait.

En ce qui semblait être un seul mouvement, le Neko relâcha sa prise sur le prince et il saisit deux longues et épaisses lames de leur fourreau, dans son dos, que le prince n’avait même pas encore remarqué. On aurait pu croire que ses griffes tranchantes auraient suffi à le défendre contre n’importe quoi, mais le Neko semblait aimer jouer du couteau. La femelle, quant à elle, attrapa avec une force phénoménale le bras du jeune homme pour le tirer loin du combat, et ce n’est qu’une fois à distance qu’il put observer Tetsuri aveugler le lézard avec une rapidité et une agilité sans égal. D’un saut, il pouvait complètement passer par-dessus la bête et il évitait ses coups de crocs avec une facilité déconcertante, comme s’il avait fait ça toute sa vie durant.

L’admiration du jeune homme ne sembla pas échapper à Maya puisque, d’une voix presque aussi suave que celle de son compagnon, elle murmura près de l’oreille du prince, le faisant sursauter au passage. Elle sentait bon, comme un mélange d’orange et de vanille.

– Il est impressionnant, n’est-ce pas ?

Le prince, toujours rouge de cette rencontre qui était une première pour lui, balbutia une réponse incompréhensible. Maya laissa alors échapper un petit rire et attrapa le menton du garçon pour lui faire voir la fin du « combat », où Tetsuri s’évertuait à détacher complètement la tête du lézard du reste de son corps. Il était pourtant certain, dans l’état où il était, que la bête ne ferait plus le moindre mal à personne.

Les deux autres se rapprochèrent alors du forcené et ce fût la jeune femme qui prit la parole.

– Tetsu, qu’est-ce que tu fais ? Il est mort, c’est bon, les oiseux s’occuperont de la carcasse.

– Et la viande ? Qu’est-ce qu’on va manger ce soir ?

Le Neko avait l’air profondément outré de la réflexion de Maya. Elle ne s’en formalisa pas et elle se plaça face au trou qu’avait formé le lézard. Elle tendit alors les mains devant elle et proféra une sorte d’incantation runique, de ce que supposa le prince, car ce langage lui était totalement inconnu. Une légère lueur s’échappa de ses mains et alors, chaque petit morceau de pierre qui s’était échappé du trou reprit sa place, ne laissant que les fissures, cicatrices de la faille qui avait été créée. Voilà, elle était donc magicienne, à ce qu’il semblait. Il savait que les elfes et les hybrides d’elfes pouvaient utiliser la magie mieux que tout autre créature mais il ne se serait pas douté que cela se passait si facilement. Lui-même ne savait qu’à peine générer assez de magie que pour faire vivre une fleur.

– C’est le mieux que je puisse faire, cette magie n’est pas de mon ressort.

Le garçon était étonné, c’était déjà bien plus que ce qu’il aurait pu imaginer. Tetsuri revint alors et enroula de nouveau sa queue autour de lui. Cela semblait être une pratique courante chez cette espèce. Il remarqua alors que la besace du Neko débordait de morceaux de chair arrachée au lézard mort.

– Eh bien voilà le prince en d’à peu près bonnes mains, conclut la femelle, j’ai des affaires qui m’attendent. Vous vous en sortirez tous les deux, j’espère.

Après avoir adressé un clin d’œil à Tetsuri, la magicienne prononça une autre incantation qui la fit disparaitre. Sans doute s’était-elle téléportée.

Tetsuri soupira alors. Ses oreilles continuaient de capter des sons dans tous les sens, sans doute pour vérifier l’absence de danger mais pour la première fois, il semblait à la fois dépité et soulagé. Il pointa alors du doigt un bâtiment à une centaine de mètres.

– On va aller faire une pause dans cette taverne, et puis, je te ramène à ton père.

Et là, le cœur du prince se serra terriblement…

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