Cauchemar – 2

4 mins

                                            DEUX — ALEXANDRE

    Nous étions dimanche 12 janvier, j’allais rentrer au collège Georges Politzer à Ivry-sur-Seine, une ville à côté de Paris, le jour suivant.

    Nous jouions au Monopoly dans le petit appartement deux pièces que nous avions loué, au 59 rue Marat de la même ville. La vie n’y était pas très confortable mais elle était beaucoup mieux qu’à l’orphelinat. Là-bas, tous les autres enfants nous évitaient ou nous harcelaient car ils connaissaient notre histoire qui faisait de nous des enfants différents.

   Mon frère avait décroché un boulot de secrétaire dans une entreprise de sous-vêtements à Paris, il commencerait dans une semaine. Heureusement, nos parents nous avaient laissés une belle somme d’argent qui pourrait nous permettre de vivre correctement même si Sébastien ne gagnait pas beaucoup, mais j’avais quand même décidé de faire des petits boulots pour les voisins.

   Mon sac pour le lendemain était prêt, ma tenue aussi, je n’avais pas eu de mal à  la choisir : elle était composée d’un jean foncé, d’un T-shirt noir (mon préféré) et d’un sweat à capuche bleu marine.

    Je dormis très mal, en partie à cause des cauchemars qui me tourmentaient depuis la mort de mes parents. Le lendemain, j’étais levé avant que mon réveil n’ait sonné, je pris une barre de céréales et un verre d’eau en guise de petit déjeuner, je savais que si je mangeais plus, je vomirais. À l’heure où je devais partir Sébastien me souhaita bonne chance et je quittai l’immeuble d’un bon pas, la tête baissée.

    Depuis que je m’étais à peu près remis de la mort de mes parents, j’avais décidé de ne plus jamais montrer mes émotions car sinon, les autres me regardaient avec pitié ou peur. Je m’étais donc façonné une coquille hermétique qui ne laissait voir qu’un garçon froid et taciturne. 

    Lorsque je rentrai dans la cour du collège, je continuai de marcher droit devant en jetant des regards furtifs aux alentours pour évaluer ma situation. Le coin le plus à l’écart de la cour se trouvait sur ma droite et je changeai de direction pour y aller. Là-bas, je m’assis dos contre le mur et les genoux ramenés contre ma poitrine et observai plus attentivement la cour. Elle était plutôt grande, il y avait un espace avec des tables de ping-pong, et plusieurs bancs disséminés dans toute la cour. Les collégiens qui étaient présents se réunissaient en petit groupe de quatre ou cinq pour les plus jeunes et en plus grands groupes d’une dizaine d’adolescents pour les plus âgés. Je remarquai trois enfants, qui devaient être des 6e, tous seuls dans leurs coins, mais aucun des 3e présent n’était seul, à part moi.  

   La cloche sonna. Je me levai donc pour aller me ranger. Mme Stern m’avait mis dans la 3e4, une classe plutôt calme avec tout de même quelques éléments perturbateurs.

    J’entendis quelques remarques à mon passage : « Alors c’est lui le nouveau », « Il a pas l’air commode », « Il est bizarre ! ». 

   La première heure de la journée était mathématique avec mon professeur principal, M. Bacheux. Il me demanda de me présenter à la classe.

    – Bonjour, je m’appelle Alexandre, dis-je d’une traite, d’une voix morne.

    M. Bacheux semblait s’attendre à un peu plus mais il ne dit rien et le regard qu’il me jeta me fit supposer que la directrice lui avait parlé de mon « enfance difficile ».

    – Tu peux aller t’asseoir à côté de Maëlle, au quatrième rang.

    Maëlle était une jeune fille, blonde aux yeux bleus, assez belle en fait, mais je ne répondis pas à son regard inquisiteur. Elle était seule sur une double table à l’avant-dernier rang, une place parfaite pour moi, près de la fenêtre dans le fond de la classe, même si j’aurais préféré être seul à ma table.

    Je m’assis en silence, et le cours commença. Le chapitre portait sur le théorème de Thalès, que j’avais déjà étudié dans mon ancienne école alors je me perdis dans mes pensées. Ma voisine semblait concentrée sur le cours mais elle me jetait parfois des coups d’œil.

    À la récréation, je restai dans mon petit coin en essayant de démêler un casse-tête. J’adorais les casse-tête, ça me permettais de ne plus penser à rien d’autre que ce que j’étais en train de faire sur le moment, plus de flash-back sur la mort de mes parents, plus de questionnement interminable sur le futur incertain, juste les numéros qu’il faut mettre dans le bon ordre ou deux bouts de fer qu’il faut séparer. Tous les samedis, j’achetais un journal de sudokus et de mots croisés, je le finissais dans la semaine et j’attendais avec impatience le samedi suivant.

    Après que la sonnerie m’ait sorti de ma transe, je me dirigeai vers la salle de français. Lorsque je suis entré dans la classe et que j’ai vu le professeur, j’ai tout de suite su que j’allais détester les cours de français cette année. Mme Chousse était une vieille femme à l’allure sévère, avec des cheveux blancs dans un chignon serré. Quand elle me vit, elle m’attrapa par l’épaule, alors que je déteste les contacts physiques.

    – Tu dois être Alexandre Lusset, le nouveau qui a eu une enfance difficile, c’est bien ça ?

   Je sentais l’ironie dans sa voix. Et elle avait dit la seule chose que je ne voulais pas que les autres élèves entendent : « une enfance difficile ». 

   – Oui, répondis-je.

   – Ne sois pas insolent. Tu vas t’asseoir juste devant moi. Benjamin, va te mettre à côté d’Hélène.

    Benjamin ne semblait pas du tout ravi de changer de place et son voisin ne paraissait pas plus heureux de savoir que je serai à son côté.

    Après que je me fus installé, Mme Chousse débuta le cours. Sa voix traînante n’incitait pas à écouter mais je ne voulais pas me faire encore remarquer alors je suivis de mon mieux.

    Malheureusement, ce qui devait arriver arriva et Mme Chousse m’interrogea :

    – Alors, le nouveau, est-ce que tu serais capable de me dire ce qu’est un oxymore ?

    Tout ce qu’elle avait dit depuis le début portait sur la conjugaison du subjonctif, mais je préférai pas le faire remarquer.

    – Un oxymore est une figure de style qui réunit deux termes de sens opposés.

    – Mmm… Exemple ?

    – Une des plus connue est : « une obscure clarté », qui provient de « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles » de Corneille.

    Elle ne semblait pas du tout ravie que j’ai réussi son test. 
    Pendant le reste du cours elle m’ignora, et je pus enfin sortir de cette salle.

    Hélas, mes problèmes n’étaient pas terminés pour la journée.

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