ONZE — MAËLLE
Alexandre s’était finalement fait une place dans le collège. Et la vie avait repris son cours. Il venait tous les jours, m’ignorait, suivait distraitement les cours. Malgré ce que j’avais dit à M. Bacheux, je n’avais pas réussi à adresser la parole à Alexandre depuis le jours où il avait dormi en cours.
Et, un matin qui ressemblait pourtant aux autres, la chaise d’Alexandre était vide.
En maths, je croisais le regard du professeur. Il savait quelque chose de plus. Je l’interrogeai donc à la fin du cours.
– Monsieur, vous savez pourquoi Alexandre n’est pas là ?
– Non, pas exactement. Je sais juste qu’il a des problèmes familiaux. D’après les rumeurs de la salle des professeurs, son frère serait malade.
Les rumeurs de la salle des professeurs ? Finalement les profs étaient pire que les élèves.
– Malade ? dis-je plutôt.
– Oui, je n’en sais pas plus que toi.
Il semblait sincèrement inquiet. Pourtant si mon propre frère était malade je ne m’absenterais pas, sauf si c’était vraiment très grave, et encore… mes parents ne seraient sûrement pas d’accord.
Pendant deux jours, on ne le vit pas. Je commençai à me demander s’il reviendrait un jour. Mais le matin du troisième jour, il entra dans la classe de maths en même temps que les autres. Il paraissait épuisé, pas comme s’il n’avait pas dormi mais plutôt comme s’il portait quelque chose de très lourd depuis trop longtemps. Il était raide, tendu. Il ne posa même pas le regard sur moi quand il passa devant moi pour s’asseoir. M. Bacheux croisa mon regard, lui aussi était surpris, il n’allait pas le laisser filer à la fin de l’heure.
Après le cours je restai à la porte pour écouter la conversation entre M. Bacheux et Alexandre. Je m’étais placé derrière la deuxième porte, pour que, si jamais Alexandre sortait brusquement, il ne me trouve pas derrière la porte.
– Alors, tu vas bien ? demanda le professeur.
– Oui, répondit Alexandre après s’être raclé la gorge, mais il avait toujours une voix rauque.
– Bon, tu sais pourquoi je t’ai retenu, et je ne vais pas y aller par quatre chemin : où étais-tu passé ?
Alexandre soupira. Je sentis la lassitude dans ce soupir.
– S’il-vous-plaît, non.
Sa voix était suppliante, je ne l’avais jamais entendu parler d’une voix si douce.
Il y eut un silence. Puis j’entendis Alexandre attraper son sac qu’il avait posé par terre. Il allait partir.
Je me précipitai dans les escaliers avant qu’il n’ai ouvert la porte.
Cette conversation m’avait troublé. Manifestement, Alexandre avait des soucis mais je ne pouvais rien faire car il m’ignorait.