VINGT-QUATRE — MAËLLE
Je n’avais pas arrêté de penser au comportement d’Alexandre pendant toute la discussion pourtant primordiale. Et voilà que j’allais recevoir un interrogatoire par Nathan. Je soupirai, mais je le suivis quand même.
Il s’assit sur la chaise de bureau et me désigna son lit, sur lequel je m’assis. Non sans avoir admiré ses récompenses aux multiples courses. Nathan était une gazelle, il pouvait courir longtemps à une allure soutenue. Ce qui lui avait valu maints regards admiratifs, curieux, voire jaloux. Mais il était très modeste.
Il rappela mon attention par un claquement de langue. « Tu penses qu’il a une chance de venir ici ? » me demanda-t-il en langue des signes.
J’avais dû apprendre ce langage très tôt pour comprendre mon frère et j’arrivai maintenant à comprendre à l’instant où il faisait le signe, ce dont mes parents ne pouvaient se vanter, c’est pour ça que Nathan préférait me parler à moi.
– Il a surpris Maman et elle a eu l’air de l’apprécier, alors oui, je pense qu’il va venir. Mais la vraie question est plutôt : combien de temps va-t-il tenir ?
« Tu crois qu’il va casser le bras de quelqu’un ? »
– Non, il sait à peu près se maîtriser, mais il risque de s’énerver, un jour. Et puis…
Je n’osai pas lui révéler ce qui s’était passé. Mais il avait sûrement remarqué quelque chose, il avait ce don. Effectivement, le regard qu’il me jeta m’incitait à poursuivre.
– Il a menti, tu l’as sûrement remarqué, (il hocha la tête). Et il n’a pas voulu me dire pourquoi, il s’est fâché. Il m’a raconté toute sa vie, je ne comprends pas qu’il ne puisse pas me dire ça.
Il ne comprenait pas exactement ce que je voulais dire par « toute sa vie » car je ne lui avais, évidement, pas tout raconté, mais le peu que je lui avais dit l’avait fait frissonner alors il comprenait l’amitié qui me liait avec Alexandre.
C’est alors qu’il m’expliqua l’étrange aptitude de mon ami à mentir. Je ne pensais pas qu’il était possible de tromper mon petit frère alors j’étais vraiment très étonnée. Mais sa vie à l’orphelinat avait dû lui apprendre des méthodes de survies et il n’était pas étonnant qu’il ait dû mentir au cours de sa vie.
– Je ne sais pas quoi te dire, Nathan. Je sais juste que j’ai confiance en Alexandre même si je ne comprends pas pourquoi il me fait des cachotteries.
J’étais découragée. J’avais l’impression que ma relation avec Alexandre était revenu au point de départ, où Alexandre m’ignorait et que je tentais désespérément de lui adresser la parole.
Nathan hocha la tête, compatissant et sortit discrètement de la chambre. Il sentait quand les gens avaient besoin d’être seuls et il ne les importunait pas dans ces cas-là. Je l’adorais, mon petit frère.
Je pris le temps de me reprendre jusqu’à ce que Nathan revienne pour me dire qu’il était l’heure du dîner. Je descendis donc. Le repas fut silencieux, car Maman, qui d’ordinaire mène la conversation, était plongée dans ses pensées.
J’avais passé mon dimanche à élaborer un plan pour qu’Alexandre me révèle la vérité. Mais je n’avais abouti à rien alors je décidai de demander à Alexandre ce qui n’allait pas jusqu’à ce qu’il craque et me dise la vérité ou qu’il me casse le bras, ce n’était pas la meilleure solution (surtout la deuxième option) mais je n’avais rien d’autre.
Le lendemain, lorsque j’entrai dans le collège, il était déjà là, dans son coin à faire un casse-tête. Il ne releva pas la tête à mon arrivée.
– Bon, j’exige des explications ! lançai-je.
Il me regarda dans les yeux, et je vis que sa souffrance était différente, comme s’il avait un objectif qui faisait taire cette souffrance.
– Je sais, dit-il simplement.
– Pourquoi tu me mens ?
– Parce que je considère que c’est la meilleure option. Mais, crois-moi, je n’aime pas faire ça.
– Mais ça veut dire que tu ne me fais pas confiance. Si tu ne me dis pas ce qui ne va pas, on ne peut pas continuer à être amis.
Il baissa la tête, il réfléchissait. Finalement, il se leva.
– Est-ce qu’on serait ennemis ? demanda-t-il.
Ma réponse fusa, évidente.
– Non… On serait… associés.
Il hocha la tête.
– Tu m’aiderais toujours ?
– Oui, je ne veux pas t’abandonner à l’orphelinat.
Il hocha de nouveau la tête, il aimait vraiment cette manie.
– Je ne te mérite pas, chuchota-t-il. Mais je ne peux pas te dire ce qui s’est passé. Je ne veux pas te causer plus de soucis. Je sais que je vais baisser dans ton estime, mais au moins, ça t’aidera à comprendre que je ne suis pas celui que tu penses, je ne suis que mes propres intérêts.
– Ce n’est pas vrai, et je n’y croirais jamais. C’est pour ça que je veux toujours t’aider, c’est parce que je sais que tu le mérites. Même si je ne comprends pas pourquoi tu me caches des choses alors que tu m’as déjà tout dit.
Il hocha la tête et se rassit. Il reprit son casse-tête et feignis de m’ignorer, mais je sentais qu’il s’en voulait vraiment. Alors je lui ai pardonné.
La cloche sonna et nous allâmes en cours. Il ne m’adressa pas la parole durant tout le reste de la journée.