Monsieur le Juge, après votre sublime intervention, j’aimerais me permettre de délivrer un court message à chaque personne de cet hémicycle, puis-je me le voir permettre ?
[Trente minutes maximum, monsieur Arlandini. ]
Je n’ai commis aucun crime. Je vois le visage scandalisé de mes camarades ci-présents, je les vois me jugeant sévèrement. Mais à vrai dire, je n’ai vraiment commis aucun crime. J’ai juste des convictions.
Qu’un Homme n’ait pas le droit d’avoir ses convictions, allons donc ! Vous ne me direz pas que c’est très tolérant de la part de ce qu’on nomme la justice ? Mais la Justice n’a jamais pensée à être tolérante…
Vous êtes très à cheval sur vos questions d’égalité, de fraternité, de liberté. Mais au fond, qu’est-ce que l’égalité, qu’est-ce que la fraternité, qu’est-ce que la liberté ?
Mes convictions m’ont poussés à croire qu’être égaux, c’était d’avoir le droit de taper quelqu’un jusqu’aux os, après qu’il ait violé ma fille trois fois.
(Les deux choses se compensent, à mon humble avis.)
Qu’en tant que frère, et frère aîné, je devais le remettre dans le droit chemin, même si je devais pour cela lui coller des raclées, jusqu’à ce qu’il n’ait plus de fessier ou de bras.
Qu’être libre me donnait le droit d’agir comme bon me semblait avec cet individu (bien qu’à ce stade de décrépitude intellectuelle, je ne sache si c’en est encore bien un), que je vois là-haut, larmoyant, jouant les victimes devant nous tous.
Est-ce que vous pensez que j’aie eu tort ?
Moi, du moins, je ne le pense pas. Je suis dans mon bon droit, tout autant que cet individu est dans son bon droit de violer ma fille. Trois fois, en plus.
Si vous me punissez, alors la Justice reconnaîtra que le viol est en fait légal. Et vous approuverez donc quelque chose qui est, juridiquement ou moralement, considéré comme illégal, amoral, condamnable, inhumain.
Rendre l’illégal légal, voilà un comble de l’ironie pour la Justice française ! Et moi qui pensait vivre dans un pays évolué !
[Monsieur Arlandini, vous vous montrez très subjectif dans vos propos. Ressaissez-vous.]
En voilà une blague ! Mais Monsieur le Juge, la Justice repose entièrement sur du subjectif ! Qui a décidé que commettre un meurtre, ou un braquage, était illégal ? Des gens qui n’ont jamais eu à braquer, ou tuer, une seule fois de leur vie. Et à eux, est-on allés dire qu’ils étaient très subjectifs dans leurs propos ?
Je vais vous dire ce que j’en pense. L’objectivité comme vous l’employez est un mythe, un besogneux verbiage. Vous aurez beau dire, ce que tout le monde présente comme tel est une très belle fable, mais ça reste une fable. Pour atteindre ce que vous dites, il faudrait croiser les propos des ”Gentils” et des ”Méchants”. Binarisation forcée par un esprit bien étroit, faut-il ajouter au passage.
Je reviens au sujet de base, messieurs, mesdames.
J’ai longtemps pensé vivre dans un pays évolué, et il n’est pas impossible que c’eut été le cas quand j’étais petit. Je n’en sais, au final, pas grand-chose. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai commencé à penser que notre pays était peuplé de dégénérés depuis peu. La Justice, l’Education Nationale, la littérature, la télévision, …. Tout. Tout part dans un sens, qui n’était pas attendu de qui que ce soit, et au final, nous n’avançons même pas d’un pouce. Depuis quand est-ce le cas ?
Je ne saurais le dire. Je ne suis qu’un modeste maçon, ayant travaillé au milieu des poussières de ciment toute sa vie.
[Dix minutes de propos sans valeur pour le texte. Non retranscrites.]
[Monsieur Arlandini, vous vous éloignez du sujet.]
Oui, vous avez raison. Je concluerais donc mes propos comme ceci.
La Justice est décadente. La société est décadente. Tous les types qui me lorgnent sont décadents. Je suis décadent, à l’image de la société qui m’accueille.
On protège un violeur notoire, un multirécidiviste fiché S, et on emprisonne, on condamne à quinze ans de taule ferme un petit vieux qui protège sa famille pour la première fois depuis qu’il est né.
Et vous savez pourquoi on, pardonnez les propos, encule l’un et kiffe l’autre ? Pour leur couleur de peau.
Et vous savez comment on nomme ça, dans mon pays ? On nomme ça du racisme.
Merci bien.
[TAP TAP TAP ! MONSIEUR ARLANDINI, VOTRE TEMPS DE PAROLE EST ECOULE.]
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LE PETIT TELEGRAPHE
Numéro 1762 Juin 20XX. 3 E FRANCE, 2 E BELGIQUE 5 E SUISSE.
Giovanni Arlandini, un Italien de 64 ans, retraité du BTP, a été condamné à 15 ans ferme de réclusion criminelle pour l’agression et la mutilation ave préméditation d’un jeune franco-saoudien de 29 ans.
La fille de l’accusé fut violée trois fois entre 20XX et 20XX. Le coupable n’a toujours pas été appréhendé, selon la gendarmerie de XxX.
Il est à penser que l’individu aurait été manipulé par des groupuscules d’extrême-droite, tels que ”Boulevard Voltaire” ou ”Génération Identitaire”, ce qui l’aurait conduit à juger arbitrairement la victime comme l’agresseur de sa fille et perpétrer cet acte profondément raciste et islamophobe.
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C’est un homme qui a des convictions, c’est surtout un père aimant. Ah la justice des hommes…