À son duplex,
21h00.
La lumière de la lune et des étoiles éclaire le canapé dans lequel je suis allongé et je fixe mon plafond. Un bras derrière ma nuque, mes écouteurs dans les oreilles avec ma playlist tournant en boucle. L’expression « Attendre la mort » n’a jamais été aussi réaliste qu’à l’instant. Ne pas avoir de message de Laure depuis ce matin, me rend fou et je ne sais pas quoi faire pour tuer le temps et arrêter d’y penser. Je n’aurais jamais pensé que le manque de nouvelle, me donnerait cette sensation : celle d’avoir perdu mon centre de gravité et que le monde avait cessé de tourner. Du moins, le mien. J’ai l’impression d’être paralysé. Mon cœur habituellement froid et nécrosé me fait mal ce soir et j’ai des difficultés à respirer par moments. Je savais que Laure était importante et vitale à mon quotidien. Sauf que je n’aurais pas imaginé que son absence me ferait cet effet. J’ignore comment interpréter ce que je ressens. Pour quelle raison je le ressens et ce que tout cela peut signifier. Aussi loin que je m’en souvienne, il me semble que je n’ai vécu ça qu’une seule fois lorsque j’ai perdu la seule femme que j’ai aimée : Cécilia, mais je n’en suis pas certain. C’est tellement différent et semblable à la fois que je ne saurais pas le confirmer.
Cécilia a été mon univers, mon centre de gravité. Ma raison de vivre, d’être et d’aimer. L’un comme l’autre, nous savions que tomber amoureux de l’autre était la dernière chose à faire. Pourtant, cela nous est tombé dessus sans même que nous nous en apercevions. Atteinte de la maladie Werdig-Hoffman, aussi appelé l’amyotrophie spinale infantile est une affection neurologique dégénérative et qui a la base est d’origine héréditaire et familiale. Mais les parents de Cécilia, sa sœur et son frère n’ était pas porteurs de ce gène. Ils avaient découvert bien plus tard que c’était l’hypothyroïdie de sa mère qui en était la cause. L’amyotrophie spinale infantile se manifeste par une paralysie flasque. Une atrophie de tous les muscles, une hypotonie marquée, des déformations orthopédiques et surtout, une atteinte des muscles respiratoires. L’espérance de vie d’un nourrisson atteint de cette maladie est de seulement quelques mois en raison de la paralysie des muscles respiratoires. Cependant et malgré leur insuffisance respiratoire chronique, il peut vivre quelques années et sans aggravation de ses paralysies installées s’il évite les infections pulmonaires qui peuvent l’emporter.
Grâce à l’attention de ses parents, de sa famille, leur précaution, son esprit combatif et son insatiable envie de croquer la vie à pleines dents, Cécilia a pu vivre jusqu’à quinze ans avant d’être emporté par une bronchite et ce par ma faute. Le jour de son anniversaire, elle avait voulu sortir pour voir les jardins magnifiques de son manoir. Depuis toute petite, elle n’avait pu les voir qu’à travers les fenêtres de sa chambre. Au début, j’avais refusé parce que j’avais conscience des risques qu’elle encourait. Mais son indéfectible sourire, sa voix douce, la lueur de vie et de passion brûlant au fond de ses iris avait fini par avoir raison de moi et j’avais accepté de l’emmener les visiter en prenant toutes les précautions nécessaires. Malheureusement, cela n’avait pas été suffisant. Le lendemain après-midi, elle était décédée dans mes bras. Le visage apaisé, l’âme en paix et le sourire aux lèvres. Depuis ce jour, je n’ai plus jamais été le même, car je suis mort le même jour qu’elle . Du moins, c’est ce que je pensais jusqu’à ce que je me rende sur le blog de Laure et que je fasse sa connaissance.
Perdu dans les souvenirs du passé, je repense à Cécilia pour la première fois et ce depuis des années. Coupé du monde réel, je n’entends plus la musique. Mon portable ne tarde pas à vibrer sur mon torse et je sors de ma torpeur ténébreuse. C’est en reniflant, et en sentant quelque chose coulé le long de ma joue que je prends mon téléphone en main sans grande conviction. Bientôt, je vois le prénom de Laure s’afficher dans mes notifications et mon cœur semble reprendre vie dans ma poitrine. Je me redresse instantanément et m’assieds dans mon canapé. Avant de m’empresser de me rendre dans ma messagerie pour lire son texto.
En le lisant, je tombe des nues. Elle me parle comme si de rien était malgré l’invitation inopinée de Valentin, ce qui me surprend. Soit Laure évite le sujet volontairement. Ou soit il s’est passé quelque chose de particulier aujourd’hui pour qu’elle soit aussi nonchalante et détachée. A vrai dire, j’ignore laquelle de ses deux suppositions est la bonne et pour être honnête, je m’en fiche. Le simple de voir son prénom sur mon écran a suffi à me rendre heureux et me sortir de mon état végétatif. Mon monde vient de recommencer à tourner et j’ai retrouvé mon centre de gravité, cela me suffit amplement. Sans attendre, je lui réponds.
« De Aaron à Laure, 21h10
Je vais bien et toi ?
Normal. La tienne ? »
Je dois attendre plusieurs minutes avant de recevoir une réponse. Durant ce laps de temps, j’avais retenu ma respiration et prié pour qu’elle continue de me parler, tout en ayant la désagréable sensation d’avoir fait une erreur sans savoir pourquoi.
« De Laure à Aaron, 21h20
Ça va ?
Pareil.
Tu fais quoi ? »
Son ton expéditif et froid ne fait que confirmer mon intuition. Depuis que je discute avec elle, Laure est toujours chaleureuse dans ses messages, tout comme elle parle beaucoup plus que ça d’habitude. Mais là ce soir, elle est différente. Il y a quelque chose qui cloche. A-t-elle eu un problème ? Est-ce que je me suis fourvoyé en pensant qu’elle éviter le sujet volontairement, concernant l’invitation de Valentin ? Attend-elle que j’aborde le sujet ? ou cherche-t-elle autre chose ? Je sais qu’elle est de nature introvertie, méfiante et qu’elle a besoin d’être rassurée. Le problème c’est que je ne suis pas doué pour ça. Pourtant, j’ai l’impression que notre discussion de ce soir sera déterminante pour l’avenir à cause de l’intervention de Valentin. Est-ce que j’arriverais à prendre ce tournant décisif et utiliser les bons mots ? Ou est-ce que je vais perdre la seule personne importante dans ma vie et qui l’embellie depuis dix-huit mois ? Et moi, qu’est-ce que j’attends de notre relation ? Est-ce que le fait d’avoir repensé à Cécilia aurait une signification particulière que j’ignore ?
Tourmenté par ses questions sans réponse, je laisse mon instinct s’exprimer à ma place.
« De Aaron à Laure, 21h25
Rien. J’ai pensé à toi toute la journée
et je me suis inquiété.
Est-ce que tu viendras samedi ? »
« De Laure à Aaron, 21h30
………………………………..
Oui. »