Alítheia : Chapitre 1

8 mins

~ ANA ~

       Accoudée à la fenêtre du taxi, je regarde le paysage de Braşov défiler devant mes yeux. Cette ville de Roumanie, située en Pays de la Bârsa, s’étend autour de la colline Tâmpa. Braşov est aussi connue pour ses villes médiévales, ses frontières montagneuses et ses châteaux, en particulier celui de Bran, une forteresse gothique qu’on associe à la légende de Dracula. Au milieu des remparts saxons de la ville, la Tour de l’Église Noire domine une grande place municipale cernée de bâtiments colorés de style baroque et de cafés. À proximité de la ville, il y a une station de ski très appréciée des touristes, la Poiana Braşov. Ayant très peu de souvenirs de ce lieu où je suis née, j’ai dû faire des recherches pour ne pas avoir l’air d’une touriste à mon arrivée.

Je ne suis pas revenue ici depuis l’assassinat de mes parents, il y a seize ans, le jour où je suis devenue orpheline. Depuis mes dix-huit ans, je suis hantée par des rêves très étranges dont je ne comprends pas la signification. Afin d’y remédier, l’hypnose m’a paru être la meilleure solution. Sauf que les séances ont aussi réveillé mon traumatisme d’enfance : celui du meurtre de mes parents. Désormais, je suis encore plus perdue qu’auparavant et j’ai des milliers de questions sans réponses. C’est la principale raison de mon voyage à Braşov et j’espère les trouver auprès de mon grand-père.

    Après une demi-heure de route, j’arrive au manoir de mes parents. Je règle la course au chauffeur de taxi et lui offre un pourboire en supplément, avant de récupérer mon sac et de descendre de la voiture. Je reste un moment sur place, à observer ce lieu qui m’a vu grandir, les six premières années de vie. La bâtisse est un mélange de style gothique et victorien. Quant à l’immense portail en fer forgé, il n’est pas des plus accueillants. Il pourrait dissuader n’importe qui d’entrer, mais il n’a pas été assez dissuasif pour empêcher l’assassin de mes parents de le franchir. Revenir ici après autant d’années m’affecte bien plus que je ne l’aurais pensé.

Mes larmes montent progressivement et pour la première fois, je ressens le besoin de voir mes parents et de leur parler. J’ai besoin de sentir les bras de ma mère autour de moi, mais aussi son parfum, ses lèvres douces se poser sur ma joue et mon front. Je voudrais tant entendre sa voix et la berceuse qu’elle me chantait pour m’endormir. Repenser à elle ravive le peu de souvenirs que j’ai et rouvre instantanément cette blessure béante dans mon cœur.

Une douleur lancinante et insupportable me traverse et me fait suffoquer. Je pose ma main sur mon palpitant par-dessus mes vêtements. Je les froisse, à la recherche de soulagement. Les perles salées, jusqu’à présent agglutinées sous mes yeux, coulent maintenant le long de mes joues. Je me sens mal. J’ai des nausées, la bouche sèche et j’ai de plus en plus de difficultés à respirer.

    Bientôt, la voix douce de Olimpia se fait entendre et sa main se pose dans mon dos.

— Ana ? Tout va bien ? s’inquiète-t-elle.

Je reçois une légère décharge électrique à son contact. Je sursaute et détourne la tête vers elle. Mes pupilles vertes croisent les siennes. Un sourire maternel et compatissant se dessine sur son visage. Il agit comme un baume guérisseur sur mon cœur et apaise ma crise d’angoisse.

Je relâche mon pull, me décrispe et prends une bonne bouffée d’air avant de lui rendre son sourire.

— Oui. Merci.

— Pourquoi me remercies-tu ? Je n’ai rien fait de particulier.

Oh, si… Tu as la même capacité que ma mère, celle de me calmer et me rassurer instantanément…



— Tu dois être épuisée et avoir faim, après un aussi long voyage ? Viens, j’ai préparé ta chambre et Andreï le petit-déjeuner. Il est impatient de te voir, tu sais ?

— Moi aussi, j’ai hâte de le revoir. Il m’a manqué et toi aussi.

Olimpia sourit et m’invite à avancer. Je hoche la tête en guise d’approbation et elle ouvre le portail en fer forgé. Il grince un peu et nous traversons l’allée en graviers blancs. Elle est jonchée d’arches habillées de rosiers grimpants. Leurs roses sont de couleur noire, rouge et black baccara, les préférées de ma mère dans mes souvenirs.

Nous arrivons devant la porte entrée. Elle n’a pas été changée. Elle est identique à mes souvenirs ou du moins, à ce qu’il en reste. Elle est toujours en bois de chêne verni, poli et peint en noir. Les heurtoirs en tête de lion de couleur or sont là aussi. À peine sommes-nous arrivées devant la porte qu’Andreï l’ouvre pour nous accueillir. Il devait certainement nous attendre.

— Bonjour Ana, comment vas-tu ?

— Je vais bien et toi, grand-père ?

Pour un homme âgé de soixante ans, Andreï est plutôt bien conservé. Il a le physique d’un ancien combattant voire d’un mercenaire et il semble l’entretenir au quotidien. Quant à Olimpia, on dirait une nymphe malgré sa cinquantaine bien tassée. Sa peau est nacrée et avec ses cheveux blonds vénitiens ondulés et ses yeux verts, on dirait une poupée de porcelaine. Ma ressemblance avec elle m’a toujours intriguée, mais je n’ai pas cherché plus loin puisque ma mère, c’était Horia.

— Je suis heureux de te voir Ana. Tu es devenue une magnifique jeune femme et tu es aussi belle que ta mère.

Je ne peux pas m’empêcher de rougir devant son avalanche de compliments. Mes joues rosies le font sourire. Il m’invite dans le creux de ses bras et j’accepte avec plaisir. Il me blottit contre lui et dépose un baiser sur mon cuir chevelu. Je n’ai pas revu mon grand-père et ma nourrice depuis le soir de l’assassinat de mes parents. Le lendemain matin de ce jour funeste, je me suis réveillé chez ma grand-tante, Ecaterina à Paris et je ne suis jamais repartie.

— Comment va, Ecaterina ?, me demande-t-il en mettant fin à notre étreinte.

— Elle est décédée, il y a quatre ans.

Sois un peu avant que je commence à faire ses rêves étranges. Je me suis demandé s’ils n’étaient pas liés au traumatisme de sa perte, mais non. Mes séances d’hypnose m’ont démontré le contraire.

— Je suis désolé, toutes mes condoléances.

— Merci, à toi aussi. Bien que toi et Ecaterina, vous aviez rompu tout contact depuis des années.

— Pourquoi n’es-tu pas revenu plus tôt ?, change-t-il de sujet.

— Parce que j’ai continué mes études pendant trois ans et j’ai travaillé la quatrième année.

Un léger blanc s’installe, mais Olimpia le brise avec un baiser sur ma joue. Elle passe ses doigts dans mes cheveux et m’invite à entrer. Andreï s’écarte de l’encadrement de la porte pour me laisser entrer, suivi d’Olimpia et il referme la porte derrière lui.

    À l’intérieur du manoir, le style est victorien et dans les tons rouges-or, sois les couleurs de nos armoiries familiales. Le sol est carrelé et les meubles sont en bois de chêne foncés. Le hall d’entrée est grand et somptueux. À droite de l’entrée, il y a un énorme escalier pour monter à l’étage. Nous traversons le couloir, situé au fond du Hall. Des portraits de nos ancêtres sont accrochés aux murs et commencent de la première génération à la dernière en allant de père en fils. De toute évidence, les femmes ne semblent pas destinées à être la tête de la famille. Malgré la présence des chandeliers pour les mettre en valeur et les rendre moins effrayant, ils font froid dans le dos. Personnellement, ils m’oppressent et me mettent mal à l’aise, tant par l’ambiance qu’ils dégagent que par les mystères qu’ils entourent. En dehors de leur identité inscrit en bas des tableaux, je ne connais strictement rien de ces hommes, ni de leurs histoires. Cela vaut aussi pour mon père et mon grand-père.

Aussi loin que je m’en souvienne, ils étaient rarement à la maison. Ils partaient souvent en voyage et ma mère les accompagner par moments. Ils pouvaient s’absenter de plusieurs jours d’affilée et ils rentraient très tard la nuit ou à l’aurore pendant que je dormais. Je crois que j’ai dû essayer d’avoir des réponses une fois, mais je n’en suis pas certaine. C’est flou dans ma tête. Cependant, je me rappelle une chose qui m’a frappé les concernant quand j’étais petite. Je devais avoir deux ou trois ans lorsque je les ai surpris dans une pièce. Ils étaient tous les trois, réunis autour d’une table hexagonale avec notre blason gravé dessus. Au centre de la table, il y avait un gros livre ancien et des bibliothèques partout. Lorsque ma mère m’avait vu dans l’encadrement de la porte, elle m’avait rejointe en fermant la porte puis, elle était restée avec moi jusqu’à l’arrivée d’Olimpia. Après cet événement, j’avais tenté de la retrouver cette pièce mais sans succès. J’ai fini par me convaincre que c’était le fruit de mon imagination, sauf que j’en rêve presque tous les soirs maintenant.

    Nous ne tardons pas à arriver dans la salle à manger, où un festin royal m’attend. Mon grand-père a pris plaisir à préparer ce petit-déjeuner ça se voit, bien qu’il ait prévu pour un régiment. J’ai le choix entre des jus de fruit, des viennoiseries, des pains, des brioches, des confitures, des boissons chaudes et froides multiples fabriqués et préparés maison.

— Donne-moi ton sac, je vais le monter dans ta chambre, me dit Olimpia.

— C’est gentil, mais ce n’est pas la peine. Je le montrais après qu’on ait pris le petit-déjeuner tous ensemble.

— Je te remercie pour l’invitation, mais j’ai encore du travail, m’annonce-t-elle en souriant.

Bien que l’idée ne m’enchante pas, je lui donne mon sac. Olimpia a dû le sentir, car elle me rassure avec un sourire que je lui rends. Puis, elle quitte la salle à manger et retourne vaquer à ses occupations. Être seul avec mon grand-père aussi vite m’intimide et me rend nerveuse.

— Je te sens tendu Ana. Tu es sûre que tout va bien ?, s’inquiète-t-il.

— Oui. Je suis simplement fatiguée par le voyage et émotionnellement, c’est éprouvant pour moi de revenir ici. J’ai très peu de souvenirs de mes six premières années.

— Ne t’inquiète pas pour cela, ils reviendront petit à petit. Pour le moment, profite de ce petit-déjeuner et de ce retour aux sources pour te reposer, d’accord ?

Je hoche légèrement la tête pour approbation. Il me tire la deuxième chaise à sa gauche, m’invite à m’asseoir et j’accepte. J’avais oublié que le patriarche et son héritier s’installaient en bout de table, tandis que leur femme et leur fille sont à leur gauche. Pour ce qui est de leur fils et des autres hommes de leur entourage, ils sont à leur droite. Je n’ai jamais compris la raison de cette tradition, mais elle a toujours était respecté à la lettre. Me rappeler de ce détail à l’instant, me procure une sensation étrange. Peut-être que mon grand-père à raison… Peut-être bien que mes souvenirs vont revenir progressivement avec le temps.

    J’attends qu’Andreï ait fini de se servir pour faire de même. Je me sers un café noisette, un verre de jus d’orange, prend un pain au chocolat et je commence à grignoter.

— Tu m’as dit tout à l’heure que tu avais fait une licence professionnelle, laquelle est-ce ?

— Rédaction technique dans les métiers de la communication.

— Pour faire quel métier ?

— Il y en a plein. Mais j’ai choisi de devenir rédactrice web à mon compte, après avoir travaillé un an au service éditorial d’un journal hebdomadaire local.

— C’est un nouveau métier lié à l’Internet, c’est cela ?

— Oui. Je suis surprise que tu connaisses le web et ses métiers grand-père, sans vouloir t’offenser.

— Tu ne m’offenses pas au contraire. Je sais que le manoir n’a pas évolué depuis ton départ, mais comme tout se fait sur Internet maintenant, j’ai dû m’adapter à votre génération. Certes, l’apprentissage a été rude et je ne suis pas devenu un spécialiste de la toile ou des réseaux sociaux, mais je me débrouille un minimum avec les courriers électroniques et les tablettes tactiles.

— Est-ce que cela signifie qu’il y a internet dans le manoir ?

— Oui. Il y a deux ans des professionnels sont venus installer un boîtier pour que nous pussions l’avoir, malgré la forêt qui entoure la propriété.

La forêt… Elle est souvent dans mes rêves et particulièrement, un endroit. Sauf que j’ignore où il se trouve. Peut-être qu’en écumant les bois du manoir, je vais le trouver et qu’il m’apportera un début de réponse à mes questions. Pour celles concernant les mystères de notre famille et l’assassinat de mes parents, Andreï est le plus à même à me répondre. Enfin, je l’espère. Cependant, je vais peut-être attendre un peu avant d’aborder le sujet. De plus, il me reste quelques textes à rédiger et à rendre pour le travail avant de pouvoir me concentrer pleinement sur ma quête.

— Qu’as-tu prévu de faire aujourd’hui ?, me demande-t-il.

— Je vais rédiger les textes qu’il me reste à faire pour le travail et toi ?

— Je dois me rendre ville tout à l’heure et ensuite, je vais certainement chasser dans la forêt.

— Est-ce que je pourrais t’accompagner pour la chasse ?, proposé-je.

— Bien sûr ! Il faudra juste que tu viennes avec moi pour choisir ton arme avant de partir.

— D’accord !, approuvé-je, le sourire aux lèvres.

La chasse est la principale activité et source de revenus de notre famille. Du moins, d’après les souvenirs qu’il me reste. J’ignore si c’est encore le cas aujourd’hui ou si mon grand-père fait ça pour le plaisir, mais pour moi, c’est l’occasion d’explorer la forêt et de partager un moment avec lui en tête-à-tête.

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