Un rêve nommé Russie. Partie 8

7 mins

Elle venait de me congédier pour la nuit mais le sommeil m’avait oublié ce soir alors je prenais note des choses à faire pour le boulot. Je n’en avais aucune envie mais il fallait tuer le temps et penser à autre chose. Quelle cruauté de se retrouver en Russie et de devoir bosser le soir à l’hôtel. A peine commencé que je fermais tout. Zéro motivation. Je me mets à la fenêtre avec une clope et je contemple Moscou by night. Contrairement à ce que je pensais, c’est très illuminé. Malgré la fraîcheur nocturne, des piétons arpentent encore les trottoirs. Sans doute des autochtones de retour dans leurs chaleureux foyers ou des soiffards en quête d’un éternel dernier verre. Pour le coup, j’irai bien me joindre à eux pour descendre quelques vodkas. Avant la fin de ma clope, cette idée qui semblait être une pensée éphémère s’était muée en réelle envie. En deux temps, trois mouvements j’étais sapé et paré à une balade nocturne. Un petit verre, ça ne me fera pas de mal après tout. Et puis bon, ça ne pourrait pas me faire de mal pour m’aider à roupiller. D’autant que Lucy m’a dit que la matinée serait chargée. Cinq minutes plus tard, je suis sur un trottoir à chercher un bar sympa ouvert. Je passe devant un premier endroit où zonent deux mecs aux gueules patibulaires, pas franchement accueillantes. Je continue ma route et après un gros quart d’heure, j’arrive sur une place boisée. Dans l’angle de la rue, un petit bar aux baies vitrées embuées. Y a l’air d’avoir du monde et une bonne ambiance. J’entends de la musique rock en plus.

L’intérieur est bondé de monde. Une odeur âcre de transpiration et d’alcool assaille aussitôt mes narines. Décidément, je me sens verni question fumets savoureux depuis la veille. Je me fraye un passage jusqu’au bar, jouant des épaules et des coudes pour écarter quelques pochtrons gras du bide. J’entends quelques brimades en russe que je ne comprends pas alors je fais celui qui n’entends rien. Après tout, je suis ici pour boire un verre et me détendre avant de pioncer, c’est pas le moment de chercher des noises à un russe avec trois grammes dans le sang. Au comptoir, un jeune homme maigrichon me parle mais j’entrave que dalle à ce qu’il me dit. Putain, j’aurai quand même dû y songer avant de bouger. Je sors mon téléphone et l’application de traduction. Je tape « j’aimerai une vodka » et appuie sur traduire en russe. Le texte retranscrit apparaît à l’écran je le montre au barman qui me regarde bizarrement en lisant le message. Bah quoi ? C’est du russe après tout. Il aime peut-être pas les étrangers monsieur Manche-à-Balai. Un couple d’anglais est assis à côté de moi au bar, l’homme me parle dans un français approximatif et avec un accent à mourir de rire.

— Vous être français ? qu’il me dit en se penchant sur sa femme qui peinait à tenir assise sur ce tabouret inconfortable.

— Ouais, moi être français, que je lui réponds en hochant la tête avec un semi-sourire. Moi français, moi soif et moi envie de boire un verre avant de dormir, j’ajoute.

L’anglais fronce les sourcils. A mon avis, il a rien capté à ce que j’ai dit. Sa femme lui explique ce qu’elle a compris et il sourit, un peu bêtement.

— Vous vacances ? qu’il me hurle pour que je puisse entendre au-dessus de la musique. Le barman vient de lancer un groupe local. Le chanteur a confondu le fait de chanter et de brailler. Ça jure avec les instruments plutôt calmes. Nous, lune au miel, qu’il ajoute avec ce même sourire bizarre.

Je réponds pas, je me contente de hocher la tête moi aussi alors que monsieur Manche-à-Balai me sert mon verre avec le ticket. Malgré qu’il soit demandé de partout, il me lâche pas des yeux, attendant que je lui file le fric. Il imagine sans doute que je vais me tirer sans payer. OK, pas de vague, je lui pose un billet et d’un signe de main lui conjure de garder la monnaie. Moins je verrai sa tête ce soir et mieux je me porterai finalement. L’anglais insiste avec « lune au miel » en embrassant le cou de sa femme. Quand celle-ci se tourne vers moi, je me rends compte que sous le maquillage et la perruque se cache un homme. J’ignore si l’anglais est au courant mais je ne dis rien. J’ai l’impression qu’on a légèrement abusé de sa confiance et de son argent et que demain matin, il aura une sacrée surprise au réveil. Bref, je ne m’en mêle pas, je vide mon verre et préfère partir. J’ai le sentiment que sous peu, ils pourraient m’inviter à leur sauterie et je trouve ça glauque. Je leur fais un signe de tête pour les congédier, je l’entends parler en anglais dans mon dos mais je ne me tourne pas. Je dois encore jouer des épaules pour sortir. Un homme de petite taille mais de forte corpulence se jette à la place au bar que je viens de laisser vacante. Les russes rient aux éclats, chantent et braillent comme le mec au micro. Ils ont l’air de tous se connaître et d’être heureux. Je ne me sens pas à l’aise. Cette excursion n’était pas une si bonne idée finalement. Une fois dehors, je respire le grand air. Cette vodka m’a donné très chaud mais elle était bonne. Une clope au bec, les mains dans les poches, je fais un grand tour avant de revenir à l’hôtel. Je constate qu’il est près de 2h du matin. Ouch, ça va piquer le réveil. Pas intérêt à le rater sinon Lucy va tambouriner à ma porte pendant un moment.

Je me lève aux aurores à cause d’une femme de chambre qui frappe à ma porte, du coup je suis en avance pour le petit déjeuner. Mais bon, vu que je ne mange pas le matin, je me contente d’un café immonde et je vois Lucy arriver. La journée peut commencer.

Quelques heures plus tard, après la visite du parc Gorki et un déjeuner de groupe en extérieur, nous embarquons tous à bord d’un bateau de plaisance pour une petite croisière à bord du canal de Moscou à destination de la Volga où nous devrons débarquer pour un dîner dans un restaurant côtier réputé. La traversée est censée durer près de quatre heures et le navire affiche vite complet. Lucy et moi restons sur le pont pour admirer les paysages, faire des photos avec nos téléphones. Je m’excuse auprès d’elle pour mon mutisme matinal et ma mauvaise humeur. Elle semble accepter le fait que j’ai bossé cette nuit mais je lui avoue aussi mon excursion en ville pour boire un verre.

— Ah oui ? T’as osé faire une sortie sans moi ? me dit-elle avec un petit air déçu.

Merde, j’aurai peut-être dû lui cacher la vérité. J’imaginais pas qu’elle puisse mal le prendre. D’un autre côté, c’est aussi le signe qu’elle s’attache un peu à moi alors je ne vais pas m’en plaindre.

— Tu étais fatiguée hier soir et j’étais pas assez crevé pour dormir de suite. Sinon tu penses bien que je t’aurai demandé de me suivre.

— Te bile pas, je te fais marcher, rétorque-t-elle avant de rigoler. J’espère que t’as fait une belle rencontre.

A ces mots, je me remémore le couple anglais avec sa femme travestie. Je ricane dans ma barbe, ce qui ne manque pas de l’interloquer. Elle me demande pourquoi je ris alors je lui réponds :

— Une belle rencontre ? Oh ça oui, dis-je avant d’ajouter : j’aurai même pu mal finir cette nuit.

— Comment ça ?

— Un touriste anglais s’est fait harponné par un travelo et avec une vodka de plus, j’aurai pu être invité à une drôle de sauterie.

Elle se contente de hocher la tête avant de prendre une nouvelle photo du Kremlin, illuminé par de timides rayons de soleil.

— Et ça ne t’aurait pas plu, demande-t-elle sans quitter l’objectif des yeux.

— Je suis pas branché mec ou travelo, me contente-je de répondre avant d’allumer une cigarette.

— Fais attention Maxime, je ne suis pas sûre qu’il soit autorisé de fumer à bord.

Je tire plusieurs taffes rapides avant de la jeter par-dessus bord. Ni vu ni connu.

— J’aurai aimé être avec toi hier soir plutôt qu’avec ces gens. Peut-être ce soir si tu es moins crevée.

— On verra bien. La journée va être longue et on risque de rentrer tard avec ce dîner loin de l’hôtel.

J’enclenche une marche sur le pont. Nous croisons d’autres personnes du groupe que nous saluons d’un sourire. Elle me parle des bâtiments que nous voyons sur une rive puis sur l’autre et j’essaie de la faire rire en plaisantant. Ça marche parfois et nous allons nous asseoir en tête du pont pour voir le navire relier la rivière Moscou qui doit nous conduire sur la Volga. La vue est magnifique et l’air marin commence à me faire du bien. Je me sens détendu au moment où je vois Lucy grelotter de froid. Faut dire que le mercure n’affiche pas une température poussant aux tenues légères. Je lui passe un bras par-dessus son épaule pour lui apporter soutien et chaleur. Après quelques instants, elle se blottit contre moi et me voilà le plus heureux du monde. Je fais un selfie de nous deux avec la vue exceptionnelle de l’estuaire au second plan. Nos visages sont à la fois heureux et pétrifiés par le vent glacial qui s’abat sur nous. Je lui demande si elle souhaite changer de place pour se réchauffer mais elle dodeline la tête, préférant jouir du spectacle en se serrant contre mon épaule. Je me sens si bien à cet instant que je rêve d’une croisière sur le Pacifique avec le soleil et des heures interminables à contempler un horizon bleu.

Lorsque nous arrivons au restaurant Москва à Tver, les tables qui nous sont réservées nous sont présentées par deux serveuses blondes impeccablement habillées. Nous sommes guidés dans l’établissement lumineux et chaleureusement décoré. Lucy et moi sommes attablés avec un couple de quinquagénaire face à une baie vitrée donnant sur une petite rue descendant sur les quais de la Volga. Il y règne une odeur qui nous met davantage en appétit. Ici, serveurs et managers arborent des tenues très chic, en accord avec le type de restaurant. Par ailleurs, il semble afficher complet. Les clients sont majoritairement des adultes entre 30 et 50 ans, appartenant à une classe sociale aisée.

— L’endroit te plaît Lucy ? lui demande-je alors que nous contemplons la vue et nos voisins de table la carte délicatement décorée.

— Si tu savais… J’ai l’impression d’être dans un rêve Maxime et j’ai peur de me réveiller lorsque nous serons revenus en France. Cet endroit est magique.

— Moi aussi j’ai cette impression. Je ne suis pas pressé de rentrer.

— Voulez-vous que nous partagions la carte ? demande la femme assise à nos côtés.

— Avec plaisir, répond Lucy en s’approchant du mari alors que je penche ma tête vers la carte présentée par la dame.

Cette fois, pas d’odeur nauséabonde ne vient me tarauder les narines. Ce couple très jovial et poli nous implique dans leurs conversations sur le voyage, Moscou, les russes, l’alimentation, les coutumes locales. Ce dîner n’est pas comme les autres. Je sens qu’il se passe quelque chose qui restera graver dans ma mémoire. La nourriture est excellente et je vois dans les yeux de Lucy cet éclat brillant me faisant penser qu’elle passe aussi une de ses plus belles soirées.

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