Un rêve nommé Russie. Partie 10

9 mins

Je trouvais que Lucy avait l’air absent depuis ce matin. Différente. J’avais mille questions à lui poser mais chaque fois, je me suis dit “mais arrête avec ça mec, c’est une jeune et jolie femme et ce n’est pas ta femme ni ta copine, elle fait ce qu’elle veut avec qui elle veut sans avoir de compte à te rendre” alors j’ai rongé mon frein et attendu. Jusqu’au buffet servi à la pause de notre visite du Kremlin. On visite le lieu le plus symbolique de l’ex Union Soviétique mais je n’y suis pas. Rien à faire, j’ai l’esprit ailleurs. Je me demande encore ce que Lucy a fait la veille au soir avec les filles. Ce silence et cette distance me laissent penser qu’il s’est passé un truc et qu’elle préfère ne pas m’en parler. Sans doute pour ne pas me blesser. Putain, à tous les coups, elle a grillé que j’étais pas indifférent à ses charmes et elle veut pas me rendre jaloux. Pff… Je suis vraiment trop con. Faut dire aussi que je me suis fait des films depuis l’avion. Je sais pas, comme si elle et moi finalement, ici, reflétait une évidence mais que l’un comme l’autre on s’obstinait à faire l’autruche. Et à tous les coups, ne voyant rien venir de mon côté, elle s’est mis en tête que j’étais pas branché. Bordel, c’est l’apocalypse dans ma tête ! 

– Alors ma belle, bien remise de ta soirée ? J’espère que t’as bien compris qu’il ne fallait pas répondre quand on est une femme ! balance une voix de mec plus loin, au milieu d’un autre groupe de touristes français.

Le gars qui a éructé cette saleté à l’encontre de Lucy sourit comme un con et, fier de lui car porté en triomphe par ses débiles de potes, avance d’un pas en adoptant une démarche de caïd. J’appelle ça les branleurs des champs moi. Notez que j’ai rien contre la province mais quand on pense à tous les provinciaux qui chient sur les parisiens tout en rêvant d’en être, ça me fait doucement rire. Et cette demi-portion imberbe se prend pour un ponte du 9-3. Laissez moi rire. Ouais sauf que ça a jeté un froid et tout le monde se mure dans le silence. Alors moi, comme j’en ai rien à cirer des convenances, j’en profite pour en placer une assez fort pour que tout le monde m’entende.

– Lucy qu’est ce qu’il veut dire ? Qu’est-ce qui s’est passé hier soir ? Lucy !

Mais Lucy a le regard braqué sur le branleur des champs qui me zieute rapidement. Genre il me jauge pour savoir s’il peut continuer. Poussé par ses ânes bâtés de potes, il semble me prendre à la légère mais je ne fais déjà plus attention à ce microbe. Je me cale devant Lucy, lui détourne le visage pour qu’elle porte son attention vers moi.

– Oh, Lucy ? Parle-moi s’il te plait. Dis-moi ce qui s’est passé avec ce connard.

– Max, laisse tomber, fait Julie à côté. On a décidé de tirer un trait sur la soirée d’hier alors ne…

– Ce con vous a agressé ? c’est ça hein…

– Ecoute, tu devrais…

– …lui éclater les dents ? ouais, ça serait une bonne idée.

– Ici, tu n’es pas à Paris, la Russie est très stricte avec les débordements urbains. Si tu dérapes, personne ne pourra rien pour toi, ajoute Julie en prenant Lucy par l’épaule.

Mes jambes veulent faire demi-tour mais je me dis qu’elle a sans doute raison. Tout autour du Kremlin, policiers et soldats au garde à vous surveillent la quiétude des lieux. Provoquer une baston ici est clairement une mauvaise idée. Je prends donc mon mal en patience, je les retrouverai plus tard. Quitte à prendre une torgnole, il est hors de question de laisser couler. Putain, en plus j’imagine toujours le pire. Et je commence à saisir. Quand Lucy est descendue pour le petit déjeuner, au-delà de la trouver éteinte et fatiguée, j’ai remarqué qu’elle s’était maquillée plus outrageusement que d’ordinaire. Le voilà le hic. Elle a camouflé quelque chose. Cet enculé de branleur des champs a levé la main sur elle.

Bien remise de ta soirée.

Bien compris qu’il ne fallait pas répondre quand on est une femme.

Alors que je suis mon groupe aux côtés de Lucy et d’une jeune femme avec qui elle a partagé la fameuse soirée de la veille, j’entends l’autre abruti débiter des conneries et autres insanités. Il me vise aussi dans sa logorrhée. Mes poings se crispent dans ma poche, j’allume une clope. Bordel, je tremble. Pas de peur hein, mais de nerfs. A vifs. Ça faisait des années que j’avais plus éprouvé cette irrépressible envie de détruire une gueule. Je pensais que ça m’était passé. Les séances chez le psy et les médocs semblaient avoir eu raison de mes accès de violence mais voilà que ce merdeux de 55 kg tout mouillé vient de mettre au tapis des années d’efforts et de médication. Putain fais chier. Se vider la tête et penser vite à autre chose. Ne surtout pas faire demi-tour. L’idée de croupir dans une geôle moscovite pour une durée indéterminée ne fait pas partie de mes plans.

De retour à l’hôtel, Lucy ne m’a pas dit un mot ni même porté un regard. J’ai peur de payer le comportement de l’autre abruti. Ou bien est-ce le fait que j’ai insisté pour savoir ce qui s’était passé. A vrai dire, tout ça me dépasse. Il s’est passé quelque chose mais jamais Lucy ou qui que ce soit d’autre ne viendra en témoigner devant moi. Sans doute estiment-elles que ce n’est pas de mon ressort, et elles n’auraient pas tout à fait tort. Mais c’est plus fort que moi. En mon for intérieur, je ne peux pas laisser les choses impunies. Ouais, j’ai un côté protecteur et justicier en même temps. Aux Etats-Unis, j’enfilerai une combinaison flashy et un masque pour porter secours à la veuve et l’orphelin. Ou pas. Bref, j’ai essayé de toquer à sa porte mais c’est une autre fille du groupe, Amélie, qui m’a ouvert. Elle est même ressorti de la piaule en fermant la porte pour me parler, comme s’il ne fallait sous aucun prétexte que j’entre. Il y aurait eu une pancarte “Hommes Interdits” que cela aurait été la même. Amélie me demande de la laisser un peu tranquille, qu’elle est fatiguée mais que demain tout ira mieux. Je cherche pas la petite bête, j’acquiesce et lui demande de transmettre un message à Lucy. Et je rentre me changer. Tenue discrète oblige, j’opte pour du noir et gris, c’est idéal dans la nuit. Un bonnet noir, des gants noir et c’est parti. Il est presque onze heures du soir quand je quitte l’hôtel. Par chance, j’ai entendu une des filles évoquer le nom du bar dans lequel elles ont passé la soirée d’hier. Je cherche pas plus loin, je m’y dirige directement. J’y suis en quinze minutes. Un attroupement dehors attire mon attention. Quelques jeunes bien éméchés hurlent dans la rue. Des polonais à en croire l’exubérance des consonnes. Peu importe, je rentre et commande une bière belge.

Assez curieusement, il y a de la place ici et là dans le bar. Au vu du monde dehors, je m’attendais à rester au comptoir tout en croisant les doigts pour ne pas croiser le couple anglais. Je jette un coup d’œil à l’assemblée mais je ne vois pas la trace du branleur des champs. Je me positionne de sorte à voir qui sort et qui rentre du bar. La bière est tellement froide qu’elle m’en fait mal aux dents. Le bar diffuse une musique pop que j’ai déjà entendu. Il me faut une longue minute pour remettre le nom du duo de chanteuses : T.A.T.U. A défaut d’être originales et talentueuses, ces donzelles n’avaient rien trouvé de mieux que de jouer à fond la carte de l’ambiguïté sexuelle les concernant, alimentant par ailleurs l’ancestral fantasme de l’homme : coucher avec deux jeunes filles lesbiennes. Et ça avait plutôt bien fonctionné vu le tabac qu’elles ont fait. Bon c’est un peu passé de mode aujourd’hui mais elles ont réussi à faire quelques tubes. J’arrive à mi-bière quand le branleur des champs se pointe, accompagné par deux potes à lui, tout aussi rouleurs de mécanique que grandes gueules. Je garde la tête baissée pour éviter d’être reconnu. Ils commandent un soda light. Quelle blague ! Y a pas à dire, ces mecs sont la virilité incarnée. Alors qu’il descend son soda à la paille comme un môme qui accompagne papa dans un troquet PMU, je ne peux m’empêcher de penser à Lucy et si Amélie lui a bien transmis mon message. Si c’était le cas, je pense qu’elle m’aurait envoyé un texto. Mais je n’ai rien reçu. Bizarre.

Après vingt longues minutes à attendre que ces messieurs aient enfin terminé leur flotte gazeuse au sucre et, à défaut d’avoir une clientèle féminine à se mettre sous leurs dents, les trois mousquetaires se lèvent enfin et quittent le bar. Je laisse un billet à côté de mon verre vide. Tant pis pour la monnaie, je sors à mon tour pour les prendre en filature, mains dans les poches. Ils se dirigent vers mon hôtel alors je prie pour qu’ils continuent. J’ai dû passer par une ruelle mal éclairée pour venir alors ça sera le lieu idéal pour en découdre. Et au moment de passer la ruelle, un des gars quitte le groupe. C’est ce gars qui passe par la ruelle. Merde. Tant pis, je continue. Plus loin, un lampadaire est en dysfonctionnement, faudra sauter sur l’occasion. Mais juste avant, le branleur des champs s’arrête et se retourne.

– Tu comptes nous suivre jusqu’où comme ça connard ? dit-il en prenant un air méchant qui inquiéterait peut-être un bambin. Parce que si c’est pour faire des saloperies de pédé, compte pas sur nous !

Là-dessus, il se met à rire comme une hyène. Aussitôt, son pote rigole aussi. Bah oui, sinon il risque de prendre une claque s’il ne fait pas tout comme lui.

– Je vous laisse vous faire des mamours tous les deux, je suis pas là pour ça.

– Oh, mais c’est qu’il est français en plus ce con. Bah ça alors, merde, le monde est p’tit on dirait. Et qu’est-ce que tu veux dugland ?

– Des excuses.

Encore un rire de hyène et quelques pas vers moi.

– Des excuses ? Mais des excuses de quoi ? dit-il en écartant les bras. Je veux bien me faire pardonner tous les péchés que j’ai commis mais encore faut-il que je sache quelle horrible chose j’ai pu te faire étant donné que j’te connais pas.

– Ouais, t’as pas tort. Sauf que c’est pas à moi que t’as fait une crasse. Mais à ma… à une copine. Hier soir. Tu te souviens ?

Le branleur des champs arrête de rire et met sa main sur le poitrail de son pote, en signe de retrait. Comme s’il lui disait “t’y touches pas, ce con est à moi”.

– C’est toi que j’ai vu cet aprem jouer les sauveurs de ces dames au Kremlin, hein ?

– Possible oui. Et tu vois, je suis seul et je t’ai retrouvé.

– Et qu’est-ce que ça peut me foutre connard ?! Ouais, t’es tout seul c’est pas très malin ça. T’as peur de rien on dirait hein…

– Peur de toi certainement pas et encore moins de ton blaireau de pote qui sait pas encore s’il doit se tirer en courant ou tremper son froc. Alors si je t’ai retrouvé, c’est pour que tu fasses des excuses à cette amie. Après, je te fous la paix, t’es libre. Mais ces excuses, tu vas lui faire ce soir. Tu peux décider si ça sera cool ou douloureux. A toi de voir.

Le rire de hyène reprend de plus belle. Ce merdeux ne me prend pas au sérieux. Il avance vers moi, tranquille, inconscient du danger qui rôde devant lui en cet instant. Je ne pense plus aux médocs, au psy, à Moscou ni même à Lucy en ce moment. Juste à lui. Il devient ma proie. Et au moment où son rire s’éteint et qu’une grimace d’effort lui tord le visage, lorsque son bras s’abat sur moi, j’oublie jusqu’aux conséquences de mes actes.

Esquive, droite, gauche, esquive, uppercut, coup de genou. Le branleur des champs est à terre et me donne un gros coup de savate qui me fait reculer. Il essaie de se relever mais mon genou plaqué sur sa cage thoracique l’incite à rester calme au sol. Son pote, comme prévu, a fini par se tirer en courant. Pas très courageux.

– Alors, tu m’accompagnes pour t’excuser ? J’ai très envie d’entendre ta belle voix.

– Va chier… connard… jure-t-il en manquant de souffle.

– Je crois pas que ça soit la bonne réponse ça.

Mon genou l’écrase un peu plus, il tente de repousser ma jambe mais rien n’y fait. Finalement, il abdique en tapant au sol.

– C’est bon, c’est bon. Je vais le faire, OK. Oh putain…

– Tu vois, c’était pas compliqué. Tu m’aurais dit oui tout de suite, ça t’aurait évité ça. Allez viens.

Je l’aide à se relever tout en gardant un œil à une éventuelle riposte. Tellement courant de faire croire qu’on abandonne pour profiter d’une baisse de vigilance. Mais là, non, on dirait qu’il en a prit assez pour son matricule. Il ne parle pas, ne cherche même pas à se tirer, il marche à côté de moi, le regard vide. Comme si c’était la première fois qu’il prenait une dérouillée. S’il avait été au club de boxe que j’ai fréquenté, ça lui aurait fait prendre conscience de certaines choses. Mais lui appartient à la catégorie des grandes gueules, des parleurs, des types qui se la racontent mais sont incapables de passer à l’action, préférant courir et t’insulter quand ils sont assez loin. Pathétique.

Mon téléphone vibre, c’est un texto. Je regarde. C’est Lucy. Elle me dit “mess bien recu mai me suis endormi lol si ty arrive ta droit a un gros bec

Juste en haut, je relis mon message “suis parti retrouver le con qui t’a frappé hier soir et le ramène pour qu’il s’excuse, attends moi, bisous

Une clope lui et moi avant d’entrer dans l’hôtel. Je lui demande s’il est toujours décidé il répond en hochant la tête. Il veut en finir vite et ne plus jamais me revoir à mon avis. Il va devoir trouver une belle histoire à raconter à ses potes qui le croit imbattable. 

Nous arrivons devant la porte de Lucy. Elle nous a sans doute vu ou entendu, elle est déjà là, habillée mais pas coiffée. Elle me regarde avec un air du genre “t’es complètement dingue” qui semble à la fois l’inquiéter mais lui plaire. Le gars lui marmonne des excuses mais je suis obligé de l’inciter à parler distinctement. Il finit par formuler une belle phrase qui convient à Lucy. Il quitte l’hôtel en courant et en se tenant les côtes.

– T’es vraiment givré comme gars. Je savais pas que tu pouvais être méchant. Ça me rassure pas des masses en fait.

– Uniquement avec ceux qui veulent te faire du mal. Avec toi, jamais.

– Hum…

– Et mon gros bec alors ?

Elle me regarde en souriant, ouvre sa porte de chambre et entre. La porte se ferme et se bloque quelques centimètres avant de se clipser. J’attends quelques secondes et j’ouvre sa porte à mon tour. Je la referme entièrement derrière moi quand les cloches de la cathédrale du Christ-Sauveur sonnent les douze coups de minuit.

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6 Commentaires
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Magdala Hathor
3 années il y a

Un peu violent pour mon gout, mais bon… t’es un mec, hein ?! Faut bien jouer des fois le preux chevalier lol

Magdala Hathor
3 années il y a

Mouai lol Ca fait quand même un peu du fantasme 2 en 1 ça non ? Genre à la fois le "badboy" et le preux chevalier. A un moment donné faut savoir choisir son camps, hein ?! mdr

Magdala Hathor
3 années il y a

Il ne l’est plus (badboy) mais tu laisses sou entendre que dans le passé c’était un peu le cas, non ? Ma petite critique ne faisait que dire que les 2 sorti en même temps ça faisait un peu "trop beau pour faire vrai". Mais ça n’est que mon avis en même temps, hein ?!

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