Frères de sang (prologue)

10 mins

Avertissement

pour lecteurs avertis (certains passages peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes)


PROLOGUE

Nuit de la Saint-Sylvestre 1999, quelque part en Dordogne

L’impact de la Renault Clio contre le bouleau bordant la RD 939 à hauteur d’Agonac semblait se répercuter au loin sur les terres jusqu’aux maisons fermières de la périphérie de Périgueux. Pour autant, ni Angel ni son frère ou sa sœur n’exprimaient un quelconque ressentiment à l’égard du chauffeur qui s’était encastré dans l’arbre à plus de cent kilomètres à l’heure. Le frère aîné de la fratrie Bresson accélérait en direction du nord, une cigarette coincée entre ses dents et la bouche de sa jeune sœur autour de son phallus sorti par la braguette de son jean crasseux. Manu, à l’arrière et sans aucun conteste sous l’effet euphorisant d’un stupéfiant, ricanait sans cesse en voyant l’habitacle de la Clio prendre feu alors qu’Angel faisait en sorte de disparaître du paysage. Dans l’habitacle de l’Alfa Romeo, Till Lindemann martelait son Bück Dich par les enceintes placées au niveau des portières.

Un peu plus tôt dans la soirée, les frères Bresson s’étaient rendus chez Mickey, un petit dealer bien connu des services de police, maintes fois arrêté et déferré, toujours relâché avec un petit rappel à la loi par manque d’éléments. Mickey, c’était le genre de gars à montrer sa bite à l’accueil du commissariat jusqu’à se faire tabasser en cellule parce que trop défoncé pour comprendre ce qui lui arrivait et saisir où se situaient les limites du respectable. Il dealait toute sorte de stups à Périgueux, des cachetons d’ecsta à la poudre de cc en passant par les cristaux d’amphéts ou du brown sugar pour les plus atteints. Angel était un de ses clients préférés, depuis pas mal de temps à vrai dire. Ils avaient fait leur première année de collège ensemble avant de sécher et entamer un cycle infernal de conneries de plus en plus inquiétantes.

Angel aimait Mickey parce qu’il lui faisait payer moins cher. Mickey faisait payer moins cher à Angel parce qu’il avait toujours eu l’intention de fourrer son biscuit entre les cuisses de Lola, sa jeune sœur qui zonait à ses côtés du matin au soir. Mais Mickey préférait ne rien dire, il attendait juste le bon moment. Il avait même l’intention de fournir Angel en came gratos pendant un mois s’il pouvait baiser sa sœur à sa convenance. Il faisait confiance aux ragots et ces ragots mettaient en avant le manque total de pudeur de Lola, pas farouche pour un sou et capable des trucs les plus barrés en matière de cul. Untel disait qu’il l’avait vu se faire partouzer par une dizaine de blacks au hammam, Trucmuche racontait qu’elle essayait de battre un record de pipes à la chaîne dans les ruines du supermarché Continent, devenu un lieu urbex pour les amateurs de street-art. Bref, pleins d’anecdotes à son sujet, ni vérifiées ni vérifiables mais Mickey décidait de croire celles qui l’arrangeait pour alimenter ses fantasmes les plus crus. Et pour clore une décennie riche en bizness et en dingueries, il avait invité Angel et Lola pour la soirée du Nouvel An chez lui, dans son lupanar du 8e étage avec terrasse de cinquante mètres carrés équipée d’une piscine chauffée et d’un bain à remous pour les demoiselles à champagne. Il n’avait pas prévu de voir radiner Manu, le frère d’Angel, en qui il ne voyait qu’un obstacle à son désir et le sentiment que tout pourrait capoter à cause de lui. À vrai dire, seule la tronche de Manu ne lui revenait pas mais là encore, il préférait la jouer cool et ne pas décevoir Angel. Grâce à son meilleur pote, il avait fourgué une quantité de came hallucinante au cours de l’année. Mieux encore, son fournisseur lui avait accordé une rallonge et transmis les félicitations du grand patron, monsieur G. Personne ne connaissait son nom et c’était mieux ainsi.

Quand les Bresson étaient arrivés, il était déjà plus de onze heures du soir. Manu empestait le Ricard et Lola s’était rasé toute la droite du crâne pour se faire tatouer le mot “SLUT” en lettres gothiques courbées au-dessus de l’oreille. Le genre de décision qu’était capable de prendre une nana comme Lola, sans même réfléchir à ce qu’il adviendrait de son tatouage quand elle aura quarante ans. Angel, lui, clope au bec et sapé comme pour vendre des légumes au marché, avait encore de la poudre au bord des narines. Un simple coup d’œil au décolleté de Lola suffisait pour deviner où Angel avait déposé la coke sniffée avant de rentrer. Il avait pris ses aises de suite, faisant comme chez lui. Lui et Mickey s’étaient isolés dans une pièce tandis que Lola faisait les poches des vestes assemblées à l’entrée. Les billets et la came avaient aussitôt fini dans les poches de son falzar en cuir alors qu’elle fixait Manu du regard. Les autres invités semblaient vivre dans une bulle hallucinogène. Personne ne faisait attention aux nouveaux entrants. Le grand salon, équipé d’un canapé en U capable de soutenir une vingtaine de personnes, devant un écran de télévision au format ostentatoire, accueillait une trentaine de convives, tous occupés à flirter, à se tripoter, à baiser, à se lécher, à sniffer, à se piquer. La télé était branchée sur MTV qui diffusait, pour la soirée, un mix des plus grands succès clubber de l’année, comme Lou Bega, Jennifer Lopez, Christina Aguilera ou encore Enrique Iglesias et Eiffel 65.

De quoi, avec le chauffage poussé à fond, vivre son extase de came et de cul à fond.

Lola en avait profité pour filer au milieu de l’orgie et se faire un rail sur le cul tendu d’une invitée au corps parfait. Le mec qui la butinait en levrette voulait mettre la main au panier de Lola mais celle-ci lui claquait si violemment la main qu’elle revenait s’accrocher à la hanche droite de sa partenaire. Manu, quant à lui, avait préféré prendre le frais aux abords de la piscine, tout autant fréquentée par des fornicateurs en pleine jouissance hypnotique. Une nana en maillot de bain était en train de gerber ses tripes et ses boyaux dans un pot de plantes en se tenant si fermement le bas-ventre qu’on aurait cru qu’elle allait accoucher par le bec. Manu voulait lui demander ce qu’elle avait mais quand il avait vu qu’elle gerbait aussi du sang, il avait préféré retourner à l’intérieur en grimaçant.

Aucune trace de Lola ni de son frangin.

Ces quelques minutes passées dehors lui ont fait du bien mais désormais, il avait l’impression qu’il faisait plus de quarante degrés dans le salon. Tous les corps ondulant étaient luisant de sueur. Ça couinait, ça geignait, ça râlait, ça jouissait, ça giclait de partout. Enjambant les corps moites s’assemblant et se déboîtant tels des pantins huileux, il avait réussi à atteindre la cuisine. Une rouquine était à genoux entrain de polir le mât d’un mec pas plus vieux qu’un lycéen. Les mains du boutonneux n’osaient même pas toucher la crinière couleur feu de la bombe. Il avait entendu et reconnu la voix de son frangin à côté alors qu’il descendait une bouteille de lait du frigo qui soutenait le dos du petit puceau qui découvrait les vertus de sa première pipe. La cuisine donnait sur une autre petite pièce qui servait à la fois de cagibi mais aussi de zone de stockage pour la came de Mickey. Les deux hommes discutaient normalement. Mickey avec un gros paquet bleuté à la main. Il avait une façon presque nerveuse de s’exprimer comme s’il engueulait son pote alors qu’en face, Angel tirait sur une clope avec une frénésie semblable à un camé en manque qui se ressource après des heures de sevrage. Après chaque phrase de Mickey, Angel secouait la tête sans même lui accorder un regard, se contentant de fixer un point entre son dealer et la came. Manu les avait interrompus pour savoir où était Lola mais Angel lui avait intimé de se casser d’un geste de la main. En gros, le moment était mal choisi. Alors il était retourné au grand salon et avait aperçu un escalier en colimaçon sur la droite qui menait sans doute aux chambres de l’étage. La came, ça rapportait un max s’était-il dit en imaginant combien coûtait un tel appart. À l’étage, toutes les chambres étaient occupées par d’autres camés. Ici, pas de baise à couilles rabattues, ça se défonçait grave à coup de seringues et de pistons. Fini la rigolade. Lola était dans l’avant-dernière chambre, assise en tailleur à mater un mec immense, torse nu et tatoué comme un taulard, se faire un garrot sur le bras gauche avant de s’enfoncer cinq centimètres d’inox dans une veine. Son regard sur le tatoué était empreint de fascination, comme une élève amoureuse de son prof. Le mec, en revanche, en avait strictement rien à foutre, il était là pour son affaire. Ouais, enfin c’était ce que croyait Manu sur le moment parce qu’à peine l’héro injectée dans son sang, le tatoué avait dégrafé sa braguette d’un geste lent, la tête oscillant de droite à gauche. Il avait sorti une bite longue et épaisse qui ne tardait pas à prendre une forme allongée. Bordel, la came le rendait si dur qu’on aurait cru qu’il pouvait briser des parpaings avec sa bite.

Le Bruce Lee du zguègue !

Sans dire un mot, sa grosse paluche se posait sur le crâne rasé de Lola et la rapprochait de sa poutre. Pendant qu’elle lui travaillait le gourdin, lui s’allumait une clope et voyait enfin Manu qui assistait, comme un spectateur ahuri, à la scène. Il jurait que le tatoué lui avait souri alors qu’il s’enfonçait toujours davantage dans la gorge de sa sœur. Manu revenait à lui et fermait la porte, conscient qu’il était inutile d’en voir davantage. Il croisait finalement Angel en redescendant vers l’entrée. Son frère lui refilait le fameux paquet bleuté en l’intimant de le planquer quelque part. Faute de mieux, ils avaient décidé ensemble de choper une bagnole pour le retour et de planquer la came que Mickey lui avait refourgué dedans et finir la soirée là-haut. Manu s’était dispensé d’évoquer Lola avec trente centimètres de saucisson entre les dents alors qu’ils remontaient les étages. Par ailleurs, les autres appartements ne semblaient pas être à la fête tant le silence régnait à chaque palier.

Angel voulait s’amuser. Il avait saoulé son monde avec le passage à l’an 2000, comme quoi ça allait être la fiesta du siècle parce que peut-être que le monde allait crever à minuit et toutes ces conneries de prophéties. Dans une vingtaine de minutes, la fin du monde allait sonner et pour Angel, il était hors de question de crever sans tirer un dernier coup. Aucune femme ici présente n’était assez bien à ses yeux. Pour lui, seule une femme comptait, une seule avait ses faveurs et le faisait vibrer. Lola. Il s’était mis à la chercher dans le baisodrome de Mickey. Manu se sentait obligé de lui révéler qu’il l’avait vu en haut en espérant que Saucisson en avait terminé. Peu de temps après, Angel revenait sans Lola. Inutile de demander aux serial fuckers du salon alors il s’était mis à chercher Mickey qui devait sans doute l’avoir vu redescendre. Les recherches les avaient amenés au cagibi au moment où Mickey essayait de glisser une main dans le décolleté de Lola qui tentait difficilement mais gentiment de le repousser. Mickey souriait, une lueur dans les yeux qui le classait dans la catégorie des prédateurs. La jouer cool n’avait duré qu’un temps. Bon Dieu, elle était apparue devant lui, du foutre partout sur la tronche et avait doucement murmuré un « t’as pas du sopalin Mickey chéri ? » de sa voix parfois si juvénile. Après lui avoir essuyé le visage, il avait commencé à la toucher. D’abord les mains, les bras puis les seins. Quand Angel était arrivé, Mickey avait dans l’idée d’arracher son décolleté pour mater ses nichons pendant qu’elle le sucerait. Sauf que…

Sauf que, le frangin était revenu. Et le drame était arrivé.

Sans crier gare, Mickey avait vu rouge. Alors qu’il n’était qu’un dragueur un peu trop entreprenant qu’il fallait calmer à coup d’eau froide sur la tronche, il était devenu en un instant un violeur en puissance, défoncé à la came. Du revers de la main, il retournait une claque monumentale qui envoyait Lola valser sur un carton dos à son agresseur. Celui-ci ruminait des insanités en déboutonnant son jean dans l’espoir de forcer le destin. Sans se rendre compte qu’Angel était sur le pas de la porte, allumant une cigarette, calme. Manu savait que les rares moments de calme de son frère n’annonçaient rien de bon. Au moment où Mickey, persuadé d’être seul avec Lola pour plusieurs minutes, lui baissait son froc en cuir jusqu’en haut des cuisses, Angel lui tombait dessus. D’un uppercut du droit d’une puissance incroyable, il envoyait son ex-meilleur ami contre une étagère contenant des sachets de came. La pommette ouverte et la bouche en sang, Mickey ouvrait les yeux, sans comprendre ce qu’il se passait. Comme si le démon qui l’avait habité s’était soudain fait la malle. Lola se rhabillait à la hâte, un doigt sur sa lèvre fendue qui saignait, regardant avec un sourire malsain le calvaire de Mickey. Celui-ci essayait bien de communiquer mais, alors qu’il avait juste prononcé le nom de son ami et allié, il avait reçu la pointe coquée de la Rangers droite d’Angel au menton. Dans un craquement aussi sec que foudroyant, la mâchoire de Mickey cédait et son visage cognait le mur avec force. Angel l’empoignait désormais par le col de la chemise, le mettait dos à terre et s’asseyait sur son torse en le coinçant entre ses genoux. Mickey était dans les vapes et immobilisé. Les poings d’Angel s’abattaient sur le visage tuméfié du dealer jusqu’à en avoir les phalanges en sang. Mickey, quant à lui, n’avait plus de nez, plus de mâchoire, plus de dents, perdu un morceau de langue et sans doute l’œil gauche, à moitié sorti de son orbite.

Manu savait que personne ne touchait Lola.

Lola c’était leur sœur à tous les deux mais c’était surtout la nana d’Angel. Lien du sang, lien du cœur, il n’en fallait pas plus à l’aîné des Bresson pour flanquer quinze ans d’amitié en l’air en quelques secondes de violence incontrôlable.

Sans un mot, le trio quittait l’appartement sept minutes avant le compte à rebours fatal, celui de la fin d’un monde qu’il ne regrettait déjà plus. Une fois à bord de l’Alfa Romeo, il ne s’attardait pas dans le coin. Des associés de Mickey, présents à la fête, allaient bientôt sonner l’alerte. Lola, assise à la place du mort, taisait son épisode avec Saucisson mais, visiblement pas rassasié, entreprenait l’ouverture de la braguette de son grand frère pour finir l’année 1999 de la meilleure et, en ce qui les concernaient, la plus juste des manières.

Ils se lançaient hors de Périgueux, sur la RD 939 au moment où éclatait dans le ciel d’un noir d’ébène un petit feu d’artifice annonçant le passage à l’an 2000. Angel avait allumé une cigarette et enclenchait la radio, bloquée sur la lecture d’une cassette de Rammstein et son album Sehnsucht. Devant lui, les phares d’une voiture. Alors que Lola pompait sans vergogne, Manu, qui s’était fait quelques petits rails de poudre que sa sœur avait volé dans les vestes, se penchait en avant pour regarder. Angel se tournait vers lui et indiquait la voiture qui arrivait en face. Sans se rendre compte de sa réponse, Manu avait validé une mise à mort. Gratuitement et inconsciemment. Angel se déportait sur la voie de gauche et éteignait ses phares en poussant le cri d’une victoire annoncée. Soit il allait mourir à l’aube de l’an 2000 dans un accident qui enverrait ad patres sa fratrie dans un dernier acte de jouissance, soit il allait purger sa colère en châtiant un pur inconnu qui se retrouvait au mauvais endroit au plus mauvais moment. Sans quitter les phares face à lui qui grossissaient à mesure que la voiture s’approchait en klaxonnant, Angel tenait fermement les cheveux de Lola, sentant venir son orgasme. Il allumait à nouveau ses phares et se rabattait au dernier moment sur la voie de droite alors que le conducteur face à lui bifurquait sur sa droite, espérant être arrêté par des fourrés. Hélas, c’était un arbre qui arrêtait sa course et l’Alfa Romeo continuait sur la RD 939. Au loin, les rires d’Angel paraissaient comme la marque du diable qui entrait de plein pied dans une nouvelle ère.

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3 Commentaires
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Noelle Nolwen
3 années il y a

J’aime le ton et l ambiance ! Au début, "en voyait l habitacle" ce n’est pas plutôt en "en voyant " ? et ”sans un mot les trois frères "pourquoi pas le trio ? J attends la suite !

Ibrahim Najuev
3 années il y a

C’est bien !

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