Un rêve nommé Russie. Partie 18

5 mins

Tandis qu’Amélie inspectait le couloir, j’enfilais mon jean et un pull difficilement avant de couvrir mes pieds de mes grosses bottes en cuir. Le plan, que je savais foireux à l’avance, venait d’être dicté au téléphone. Julie avait manifesté son désaccord sans plus attendre mais je m’étais montré à la fois ferme et intransigeant : retrouver Lucy ne se ferait pas en attendant des secours ou par la bonté de ses ravisseurs. Après tout, ils me croyaient hors d’état de nuire, j’avais donc un avantage sur eux. Ils ne s’attendaient pas à ce que le toutou débarque. Ils s’y attendaient moins en tout cas. Quand Amélie assura un signe de la main, la voie était libre et je quittai cette chambre carcérale. Les douleurs qui transperçaient mon corps de part en part me donnaient nausée et vertige, aussi longer ce long couloir d’un blanc immaculé revenait au chemin de croix du Christ. Chaque seconde je dus contenir bile et chute jusqu’à atteindre les escaliers. Hors de question de rester bloqué dans un ascenseur qu’utilisaient chaque blouse blanche de cet enfer suintant le désinfectant. 

Amélie paya un taxi conduit par un kazakh moustachu vieillissant qui ne parlait même pas anglais. Amélie parvient tout de même à se faire comprendre grâce à une application de traduction vocale sur son smartphone. Vingt minutes plus tard, Sherat – c’était le nom du chauffeur écrit sur sa licence – nous déposa devant l’hôtel alors que la tempête avait nettement baissé en intensité.

– La direction de l’hôtel est prévenue ? demandai-je à Amélie sur le trottoir.

– Julie s’est occupée de tout.

– Et les issues de secours ?

– Toutes fermées à l’exception du parking au sous-sol, comme prévu.

– Très bien alors c’est parti. À tout à l’heure. Je n’ai plus mon téléphone donc inutile de m’appeler.

– J’avais pas ton numéro, répondit-elle en souriant.

Sans un mot de plus, je me rendis au parking sans allumer la lumière et me posta derrière un pilier situé face au seul accès valide en dehors de l’entrée principale. Je n’avais alors plus qu’à attendre et, si besoin, me faufiler tel un fantôme dans l’édifice vidé de ses âmes. Enfin, de presque toutes.

La sirène d’alarme à incendie se mit à retentir, résonnant dans mes oreilles et rebondissant dans mon crâne atrophié comme une bille de flipper. Le bruit assourdissant dura de longues minutes et personne ne sortit par le parking. Si tout se passait comme prévu, la voie était libre. J’entrai à mon tour dans l’hôtel fantôme non sans condamner derrière moi la seule voie disponible vers la liberté grâce à une cale en parpaing. Les sous-sols dans lesquels le blouson noir s’était amusé sur ma tronche devaient se trouver juste sous le parking, au niveau des longues galeries menant aux évacuations des égouts. Il devait s’y trouver également la chaufferie et quelques pièces de stockage et de canalisations.

Alors que j’avançai à pas de loup, me faisant le plus discret du monde quitte à retenir mon expiration, un bruit d’objet tombant au sol claqua derrière moi, suscitant un sursaut immédiat. Plongé dans une quasi obscurité (seuls les lumières de sorties de secours éclairaient vaguement les ténèbres), je ne parvenais pas à distinguer ce qui avait chuté et qui en était le responsable. Marquant un temps d’arrêt qui me sembla durer une éternité, je tendis l’oreille et cru entendre une voix, étouffée, lointaine, calme. Alors que ma raison se positionna sur la présence d’un rongeur égaré à la recherche de quelque nourriture, je continuai ma route discrètement en tâchant de m’approcher de cette voix. Un homme. Il semblait parler seul alors j’en déduisis qu’il parlait au téléphone. Plus j’approchais et plus cette voix m’était familière. Finalement, après quelques foulées supplémentaires, je vis un faisceau lumineux sous le pas d’une porte en acier fermée. Et cette voix, je parvenais enfin à lui attribuer un nom, tout du moins un visage : le cogneur du branleur des champs. Celui qui m’avait envoyé à l’hosto dans un état léthargique.

“… dû faire sonner l’alarme pour évacuer, ouais… Hein ? Putain parle plus fort ça capte mal ici, j’vais… Attends, ho, deux secondes, je bosse pas à l’œil moi trou de balle alors tu vas me… Ouais… Bon alors je bouge pas d’ici mais si dans une heure j’ai pas mon blé, toi et tes potes allaient passer un… Putain d’enfoiré, il a raccroché !…”

Une légère dissension dans les rangs semblait-il dont il fallait à tout prix tirer profit. Sans réfléchir, je toquai à la porte. Les semelles lourdes du cogneur résonnèrent sur le béton et soudain la barrière d’acier s’ouvrit dans un grincement sonore. Qu’elle fut pas la surprise sur son visage lorsqu’il vit le mien, amoché mais présent dans ces abysses interdites.

– Toi ?? Mais… Bordel c’est quoi ce truc ?!

– Je suis pas venu pour me venger, juste pour faire un marché.

Il se mit à rire et alluma une Marlboro en soutenant mon regard, sûr de lui.

– Toi, tu vas me proposer, à moi, un marché ? Mais qu’est-ce qui te fait croire, primo, que je vais t’écouter et pas te finir et, deuzio, que ça pourrait me brancher plus que te péter les os ?

– Passe moi une clope et je t’explique.

Il s’écarta de la porte et me laissa entrer, sans doute convaincu que je n’avais pas bafoué les ordres médicaux pour un deuxième round. Il m’offrit une Marlboro et me pointa son gros doigt dans ma direction avant de parler en crachant la fumée :

– Des petits rigolos, j’en ai connu quelques-uns dans ma vie mais des petits rigolos avec une paire de couilles, pas encore alors vas-y petit, surprends-moi avec ton marché.

– J’ai cru comprendre que les jeunes qui t’avaient employé pour me tabasser ne t’avaient pas encore payé, je me trompe ?

– Pour le moment non, continue.

– On désire chacun une chose que la même personne possède à l’heure actuelle, cachée quelque part dans cet hôtel que j’ai rendu désert donc on pourrait s’entraider pour récupérer ce qu’on désire. Tout le monde y gagne.

– Et en quoi tu pourrais, toi, m’aider ?

– Il s’attend pas à me voir débarquer. Comme toi, il me croit sous morphine à l’hosto pour un petit moment donc l’effet de surprise le prendra de court et ça te laissera le temps nécessaire pour lui mettre la main dessus avant qu’il se tire comme un voleur.

– Mouais… c’est tout ce que t’as à proposer ?

– Écoute, je suis pas ici pour faire le deal du siècle, OK ? J’ai ma… une amie à retrouver avant qu’il lui fasse je ne sais quelle saloperie et j’imagine que t’as pas envie qu’il se tire en douce avec ton pognon alors soit tu acceptes soit tu fais une croix sur ton fric. Mais décide-toi vite parce qu’on perd assez de temps comme ça.

Il écrasa sa clope sous ses semelles dont j’avais goûté l’amertume dans mes côtes il n’y a pas si longtemps. Son regard avait ce petit quelque chose d’effrayant, de déstabilisant, si bien qu’il m’était impossible d’anticiper la moindre réaction de sa part. Était-il en train de cogiter ou juste de contenir un accès de colère contre moi ?

– Je lui ai donné une heure.

– Oui j’ai entendu. Il s’attend donc ni à me voir débarquer ni toi. Il faut juste qu’on le trouve avant la fin de cette heure mais faut le faire maintenant.

– OK, ça me va, acquiesça-t-il d’un ton qui se voulait subitement plus humain.

– Très bien alors on doit quadriller ces sous-sols, il ne doit pas être bien loin. Mais juste une chose avant : je récupère la fille en premier.

– Putain mais pourquoi ?

– T’es suffisamment armé pour lui refaire le portrait s’il esquisse le geste de se tirer alors que moi, dans mon état, je peux plus faire grand chose maintenant.

– Je vois pas le rapport mec !

– On s’en fout du rapport, je te dis juste que je récupère la fille avant que tu t’occupes de lui.

– Ouais, ouais, ouais, si tu veux. Allez, on y va.

En quittant ce débarras dans lequel il s’était planqué, nos regards se sont conjointement braqués sur un énorme rat tenant dans sa gueule quelque chose de petit et mou dont on aurait été bien incapables de définir. Et comme il est de coutume de suivre les rats en cas de problème, nous réglâmes nos pas sur les pattes du rongeur pour explorer l’estomac de l’hôtel.

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2 Commentaires
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Magdala Hathor
3 années il y a

Juste une petite remarque : le cogneur ne devrait il pas parler en russe à son commanditaires au téléphone puisque les 2 sont à priori russe et qu’ils sont en Russie, non ? Et en ce cas ça foire un peu la suite du héros qui n’aurait donc pas compris ce qu’ils se disaient au téléphone et par là même n’aurait pas pu proposer le "deal" au cogneur, non ?

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