Un rêve nommé Russie. Partie 20

5 mins

Jamais je n’aurai imaginé que les souterrains de l’hôtel puissent être aussi labyrinthiques, dotés d’une apparence austère et d’un aspect pour le moins ténébreux. Personnellement, je ressens chaque pas comme une avancée vers l’enfer. Les néons alignés au plafond semblent parfois indiquer la direction à suivre et, alors que la confiance revient peu à peu, soudain ils s’éteignent et nous plongent, le cogneur et moi, dans une obscurité poisseuse. S’il n’avait pas de briquet sur lui, nous avancerions à l’aveugle et serions perdus à tout jamais. Le rat nous a évidemment semé rapidement mais, par chance, d’autres sont apparus, ce qui nous a fait croire qu’une voie était possible.

– Tu sais où nous mènent ces saloperies de rats ? m’interrogeai-t-il d’une voix qui avait perdu son allant.

Le regard coincé sur les rongeurs qui grouillaient au sol, je ne portai pas spécialement attention à ses paroles et n’émis qu’un simple grognement pour signaler que j’avais entendu mais que j’étais sans réponse.

– Au métro. J’sais pas si tu connais l’histoire du métro moscovite mais dis-toi une chose, si ta copine et mon fric arrivent au métro avant nous, on peut faire une croix dessus.

Mes jambes cessèrent d’avancer et je me tournai vers lui, incrédule.

– De quoi ?

– Le métro de Moscou est réputé pour ses magnifiques stations mais surtout pour ses canaux abandonnés. Je te parle pas de petits tunnels entre Clémenceau et Roosevelt dans Paname, je te parle de centaine de kilomètres d’allées abandonnées et livrées à une population underground, les bannis du régime soviétique si tu préfères.

– Et qu’est-ce que ça change, putain ?

– T’écoute ce que j’te dis ? S’ils se font la malle dans ce dédale, c’est impossible de remettre la main sur eux. Pourquoi ces milliers de gens ont décidé d’y vivre en reclus d’après toi si c’est pas pour échapper aux milices de Poutine ? Si tu veux réellement disparaître, tu vas là-bas et tu attends. Je le sais et il le sait aussi. C’est forcément son point de chute pour disparaître.

– Et c’est maintenant que tu le dis…

– Je pouvais pas savoir que les rats allaient…

– Mais les rats c’est une chose mais si toi tu savais ça, tu aurais pu le dire plus tôt, on aurait gagné un temps précieux !

– Ouais bah j’y ai pas pensé.

– Je vois ça… Pfff, et comment on rejoint le métro d’ici ? En dehors de suivre ces putains de rats.

– Y a un accès à l’étage inférieur normalement qui nous mène en ligne droite, ça évite les détours.

– Alléluia, fis-je d’un ton ironique. Après toi alors.

A la recherche de cet accès, nous nous sommes retrouvés dans une impasse lorsque les rats ont entrepris de courir vers trois trajectoires différentes à l’orée d’un carrefour faiblement éclairé. Sous un boitier électrique dans un sale état, un banc métallique offrit une place que je m’attribuais de facto. Epuisé et convalescent, je m’affalais de tout mon poids et fis résonner un écho de ferraille lorsque mon dos cogna la cloison.

– J’adore ta discrétion.

– Ah oui ? Et moi ton sens de l’orientation, ça tombe bien. Alors me les brise pas, je suis claqué.

– C’est ta copine après tout, pas la mienne.

– En fait, c’est pas vraiment ma copine. On se connaît depuis peu de temps mais… je sais pas, je suis pas indifférent mais je pense qu’elle s’en fout. Ou alors elle a pas calculé.

Le cogneur alluma une Marlboro et se mit à ricaner avant de cracher sa fumée.

– Les femmes, ça fonctionne pas comme nous. Quand elles montrent de l’intérêt, bien souvent, ça veut dire qu’elles en ont rien à cirer de nous et qu’elles veulent, éventuellement, être amie. Mais si elles sont indifférentes tout en restant proche, alors dis-toi que t’as nettement plus de chance.

– Mais c’est quoi ces conneries, dis-je d’un ton lassé.

– C’est pourtant simple, si elles montrent de l’indifférence, c’est justement pour ne pas avoir à morfler au cas où leur attirance n’était pas réciproque. Alors elles prennent déjà du recul. Les mecs ont tendance à foncer tête baissée. Donc si ta meuf semble s’en foutre ou ne pas te calculer mais tient assez à toi pour rester avec toi, t’as tes chances.

– File moi une clope au lieu de me faire un cour sur le comportement des femmes, tu seras sympa. Je suis pas venu ici avec toi pour entendre ces conneries.

Le cogneur haussa les sourcils et écrasa sa clope sous une semelle aussi épaisse que rigide.

– Comme tu veux. Je dis ça pour toi puisque tu sembles…

– Tu me dis ça alors que je sais même pas si je vais la retrouver. Tu me pousses à rêver alors que je suis en plein cauchemar. Si on la retrouve pas, t’as idée dans quel état je serai ?

– Pas pire que maintenant mais au moins si t’y crois, ça te fera lever ton cul parce que c’est pas assis que tu vas remettre la main sur elle, ni moi sur mon blé alors tu te bouges ou j’avance seul.

Alors que je m’apprêtais à faire cet insoutenable effort pour lever ma carcasse endolorie, un choc et une voix étouffée nous parvenaient de ce côté du couloir. Le cogneur aussi semblait l’avoir entendu car il s’arrêta net en tournant la tête.

– C’était quoi ce bruit ?

– J’ai cru aussi mais ça doit être un ou plusieurs rats dans les tuyaux.

– Non, non, non.

– Mais si bordel, allez, viens.

– Attends, ça parle un rat maintenant ?

– Va savoir avec toute la gnôle qu’ils s’enfilent, répondit-il dans un sourire mesquin.

– Très drôle… Moi je te dis que j’ai entendu une voix, ils sont pas loin.

– OK, alors allons voir ça et si c’est un rat, tu auras perdu 30% de chance de remettre ta main sur le petit cul de ta meuf.

– J’ai jamais mis ma…

– On s’en fout, bouge.

Plus nous avancions contre la marée de rats et plus le bruit que j’avais entendu me parut comme un mirage en plein désert. Je voulais tellement y croire que je perdis presque l’ensemble des forces de mes jambes. Je me traînais, l’oreille tendue, priant pour entendre la voix du branleur des champs ou celle de Lucy. Et puis, la voix est revenue. Plus près. Beaucoup plus près. Presque à portée de main. Le cogneur me fit un geste de tête pour approuver ma théorie et d’un signe de main, me désigna une porte d’accès vers les escaliers. Le fameux accès vers le niveau inférieur pour rejoindre le métro.

“… pas envie qu’on en arrive là mon cœur mais si tu me forces j’aurai pas le choix, il faut avancer”, prononçai le branleur des champs. “J’ai tellement mal aux pieds David, on pourrait faire une pause en bas s’il te plait ? Et je ferai tout ce que tu veux ensuite” répondit Lucy d’une voix étonnamment calme.

Comment se faisait-ils que leur échange semblait dénué de menaces, de peur, de contrainte. Suivrait-elle ce connard de son plein gré ? J’eus soudain un haut-le-cœur et vomit un peu de bile sur le bitume.

Le cogneur prit les devants et ouvrit la porte avec une délicatesse que je ne lui connaissais pas. Décidément, après sa sensibilité concernant les réactions des femmes, voilà qu’il savait ouvrir une porte sans arracher poignée et gonds. Il me fit signe de le suivre et, en bas, une porte se referma dans un claquement. Nous pouvions désormais les suivre de près et mieux leur tomber dessus. Ce n’était plus qu’une question de minutes. Mais je redoutais à présent la réaction de Lucy si celle-ci suivait ce type de sa propre initiative. Me serai-je fait des films ? Quelle serait ma réaction, à moi, en apprenant ça ? Plus le temps de réfléchir, il faut désormais agir. Et le cogneur romantique mit allégrement les pieds dans le plat en arrivant dans le couloir.

– Hey, p’tit con ! Surprise… Tu vas pas te débarrasser de moi aussi facilement que tu le crois. Où est mon pognon ?

Seul dans le couloir, je compris que je pouvais les prendre à revers en suivant le sens de sa main droite, vers une porte de local technique.

Quoi qu’il arrive, ces événements doivent prendre fin ici et maintenant.

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