On arrivait en bagnole. Dehors un temps épouvantable, les allers-retours frénétiques des essuies-glaces me paraissaient interminables. J’avais peur et froid, J’allais commencer ce stage avec une légère appréhension. J’avais envoyé mes candidatures au monde entier : organismes humanitaires, missions locales, foyers de réinsertions, ce monde entier semblait frileux à accepter ma requête jusqu’à ce que le centre social Joey Starr de Drancy-La-Meule m’accorde un entretien d’embauche téléphonique. En toute honnêteté, mon éloquence mêlée à cet air convaincu de commercial houleux avait fait forte impression à mon interlocuteur, laissant tomber progressivement la carapace de l’austère recruteur. Mon CV était partiellement bidon, l’attente permanente de retours inexistants à mes postulats m’avait poussé vers le mensonge cynique, j’ajoutais à ma formation des supposées expériences humanitaires dans des pays d’Afrique centrale, en pleine guerre civile. Sur ce coup là, j’avais frappé dans le mille, j’étais engagé. Il est facile de séduire un directeur d’établissement social, il suffit de lui servir le refrain de la gentillesse, de l’ouverture, de recracher habilement le potage infâme des valeurs républicaines sournoisement apprises de la maternelle jusqu’à la fac. Le bâtiment était infâme, infâme de modernité soviétique, gris, de béton, à en faire pâlir de jalousie les plus délicieux blockhaus allemands de la seconde guerre mondiale. Après avoir admiré ce spectacle architectural, je me dirigeais vers le secrétariat du lieu, faisant signer ma convention de stage. Il n’y avait évidemment, aucune rémunération, réalité froide du statut de stagiaire, statut suffisamment encré pour faire passer l’envie de cogner un poing rageur sur un comptoir administratif dépourvu de charme.
J’étais là en observation, et pour toutes les autres tâches à la con, du classement informatique, de registres, par ordre alphabétique, en somme, le quotidien tragique de ce fonctionnaire à 35h pas plus, qui a complètement le temps de remuer intérieurement ses projets de vacances à la montagne, son amour déçu voire son prochain suicide !
Parfois pour m’évader, on m’armait du balai et de sa petite pelle en plastique afin de brûler quelques calories dans une activité “concrète”. Alors, je chantais à voix basse, je riais discrètement, la tête bloquée dans des histoires de soirées, celles où l’on ne fête jamais rien d’important en ingurgitant à chaque fois des quantités industrielles d’alcool. Les collègues riaient avec moi, ces idiots, si seulement ils savaient le nombre de choses horribles qui se bousculent là haut, ils feraient certainement profil bas, même si je ne peux objectivement pas leur vomir dessus, ils se comportaient bien dans l’ensemble.
Certains m’épaulaient, avec bienveillance, d’autres un peu plus taquins jouissaient de m’envoyer deux, trois vacheries quand je peinais à utiliser le logiciel. Là, il fallait être patient, je ne supportais pas la taquinerie, à la manière d’un autiste qui cerne difficilement les comportements humains, je me bloquais complètement, gêné, d’immaturité. Entre deux tâches réverbatives, je m’appliquais à compléter ce mémoire de l’étudiant paumé appelé sobrement : rapport de stage. Cet instrument inutile de déforestation avancée était censé relater mes “exploits” au centre social. Il fallait donc, mentir, encore et toujours, inventer des activités fictives, tant le travail en lui même était d’un ennui tragique. Parfois, un éducateur spécialisé me prenait sous son aile, me sortant de ces sables mouvants informatiques. L’ennemi premier rôdant ici selon lui ? L’ennui, c’est l’ennui qui est le plus grand facteur de délinquance me répétait-il. Le public ici était difficile, pas plus exigeant que celui des villes aux alentours mais dans la même veine. Des demandeurs d’emplois, alcoolisés ou non, drogués ou non, seuls, bien souvent connus des services de polices municipales. Parmi eux, il y avait un véritable souci avec les “racailles finlandaises”, sobriquet douteux donné par deux trois éducateurs à la pause clope. Il s’agissait en fait de jeunes nordistes attachés éternellement à la religion Wicca, dont l’harmonie avec la république s’avérait de plus en plus délicate pour de nombreux autochtones. On recensa de nombreux actes terroristes en Europe dernièrement, tous au nom de l’emprunte sacrée du druide et de dame nature.
SOCIAL FUCKER : PROLOGUE – GENTIL STAGIAIRE
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