La boule quadrillée 1962
La drôle de boule quadrillée noire roulait sur le plateau du camion de déménagement entre les pieds de chaises cannées entassées tête bêche. Elle faisait un « tac » à chaque rebond, comme le gros calot de mon sac de billes, quand je le faisais tomber sur le carrelage de notre petit appartement d’Alger.
Le camion était garé dans le fond de la petite ruelle en impasse où se dressait l’immeuble de mes parents. « Tac » ! Le bruit caractéristique m’a intrigué et m’a fait redresser alors que je jouais avec mes petites voitures, accroupi, derrière le véhicule, j’avais 6 ans.
Une grenade est une petite bombe dont la mise à feu est, contrairement à une mine, déclenchée volontairement par un dispositif pyrotechnique. C’est une arme particulièrement efficace contre un groupe d’ennemis dans un milieu relativement clos.
Ce matin-là, j’étais chez les ennemis. Ce fut un grand silence et des odeurs. Puis le son revint et aussi le sang, les cris et la mort.
Ce matin-là je fus le seul survivant, les trois pauvres bougres, sur les quatre manœuvres que l’explosion n’avait pas tués furent achevés au pistolet mitrailleur.
Le temps d’une déflagration, j’ai appris une des réalités de la vie : La vie est un intervalle, un espace de temps entre deux instants, celui de la naissance et celui du décès, sa durée est une variable inconnue.
Le temps d’un souffle, je suis entré en résilience.
Encore aujourd’hui, j‘utilise cette échelle de temps, pour ma vie de tous les jours, cette façon de vivre sans durée, pour ne pas laisser une miette de respiration, une once de joie, un fragment de plaisir, une bribe de lumière.
Maintenant, je sais le long ennui qui agrège l’existence, et cela ne me détourne pas.
D’autres leçons me furent nécessaires, pour me guider sur ce chemin, mais ça, ce sont d’autres histoires…