Quel contraste ! 2009
A peine descendu de cheval et mal remis de la séparation quasi définitive avec ma jument, qui m’a accompagné durant 8 jours lors de mon périple équestre autour de l’étang de Berre, me voici remontant la passerelle d’accès du Hub de Pointe à Pitre.
Pendant le vol, l’angoisse est montée, je débarque en Guadeloupe ouvrir une succursale en compagnie de mon ami et associé Jean-Marc, et nous allons le faire dans une situation précaire où les inconnues et les chausses trappes se disputent la vedette ! Nous disposons de 70€, de notre bonne volonté et d’une voiture louée a une officine clandestine dans le (mauvais) quartier populaire du Raizet. C’est une (très) vieille Ford Escort qui nous oblige à stopper le moteur de manière aléatoire pour faire des RAZ quand, pour une raison inconnue elle se met (souvent) en sécurité moteur. Nous dépensons illico les 70 € de notre pécule car il nous faut une imprimante.
Il est 15H ici, 20H pour moi mais qu’importe, les rendez-vous s’enchaînent et nous les enfilons comme des perles du futur collier que nous espérons créer ici.
En fin de soirée, et donc en début de matinée pour moi, nous arrivons vers la villa dont nous avons loué le bas à une tante de Jean-Marc, dans un quartier d’une petite ville de l’intérieur célèbre pour son cimetière : Morne à l’eau.
Quartier typiquement antillais de petites maisons locales plus ou moins riches, au faîte d’une colline (un morne) après un vague chemin très escarpé, nous voilà devant la maison sur deux niveaux dont nous occupons le RDC.
Elle est littéralement noyée dans la végétation, le sol est jonché de mangues, de caramboles de quenettes et autres kachimans, en levant les yeux on pourrait facilement croire que l’on est dans le jardin d’Éden ! Au moins en ce qui concerne les fruits.
D’ailleurs, comme nous n’avons pas fait les courses, nous allons faire la cueillette !
Je concocte un cocktail rhum fruit et nous nous régalons de restes de poissons et de vin rouge. Chaleur et rhum, décalage horaire, il est temps de rejoindre ma couche, heureusement demain c’est samedi.
Sur le mur, une drôle de petite grenouille se tient à la verticale, ce soir il fait chaud sans d’air de la mer pour rafraîchir par saccade. Une petite scolopendre monte vers elle sur le mur brisant soudain son immobilité, le batracien minuscule saute et le gobe d’un coup : gloup !
Ce matin nous avons rendez-vous pour une négociation à la mode « Gwada » avec le leader syndical, mélange de tensions, de menaces et de promesses, stressant mais tellement jouissif !
Nous avons appliqué la méthode de la petite grenouille murale de la veille !
Jean-Marc et moi avons négocié comme au bon vieux temps en jouant, partant du principe que si l’on n’a rien à perdre, on ne peut que gagner !
Au soir nous avons finalement convaincu l’UGTC LKP de trouver un accord avec nous !!! Dans les jours qui viennent, comme le petit batracien qui a digéré le chilopode, il nous restera en ce qui nous concerne, sans doute encore quelques grosses couleuvres à avaler !
Il est vrai aussi que nous sommes corrects, carrés et réglos et que notre légende professionnelle à chacun, nous a précédée et a fait une partie importante du boulot. De retour au bercail, la fatigue cependant nous prend, à moins que ce soit le rhum, il est temps de tirer le rideau, demain est un autre jour !
Cette troisième journée a été active : du non-stop de 6h à 21H avec une concentration énorme, ce qui est pour nous la routine, car depuis longtemps, nous avons tous les deux, la réponse à la plupart des problématiques concernant notre métier. La tension est écrasante, nous n’avons pas de compte en banque, pas de trésorerie, et l’on vient d’embaucher 37 personnes ! A un moment, Jean-Marc plus conscient que moi, débordé par l’angoisse va vomir contre un arbre.
Il est crevé avec des valises sous les yeux, tellement grandes, que s’il embarquait aujourd’hui, Air France lui ferait payer un supplément de bagages ! Je ne vaux pas mieux que lui, mais comme nous avions décidé que si tout fonctionnait comme prévu au soir du 1 Août, nous irions manger une langouste, nous voilà partis vers Pointe à Pitre à la recherche d’un établissement adéquat.
Le petit restaurant qui nous accueille dans le quartier du Gosier s’appelle justement « La langouste des îles », près du bar, au mur trône une scolopendre sous verre d’au moins 20 centimètres aussi large qu’une chambre à air de vélo, en guise de décoration. Jean-Marc me fait remarquer qu’il s’agit sans doute d’un exemplaire guyanais car dit-il, ici elles sont bien moins grosses.
Nous voilà donc attablés dans la grande salle de restauration largement ouverte sur l’extérieur comme il est de coutume dans les pays chauds. Pendant que nous dégustons quelques boudins noirs et blancs en attendant notre couple de crustacés, notre voisine de table se lève brutalement avec un petit cri effrayé et les autres convives s’écartent aussi vivement en repoussant bruyamment leurs chaises.
Intrigué je me lève et j’aperçois une splendide scolopendre, à peine plus petite que son homologue guyanais encadré qui tente de traverser la salle sur le carrelage de salle de bain qui fait office de plancher du restaurant.
Malheureusement je n’ai pas le temps de la photographier car une meute de convives chaussés « fermés », c’est-à-dire pas en tongs, comme c’est le plus courant ici, la fait passer de vie à trépas avec force de claquement de leurs semelles bizarrement amorties par le corps de l’animal qui résiste un temps à l’écrasement fatal mais finit quand même par céder en répandant une flaque de liquide abdominal de couleur sombre.
Heureusement les langoustes arrivent pour nous détourner de cet hors-d’œuvre peu ragoûtant, mais au fait !? Le corps de la langouste cela ressemble furieusement à une scolopendre non ?
Dimanche on dort un peu, à huit heures rendez-vous avec Didier notre chef d’exploitation pour refaire le planning de nos 37 agents qui ont tous un problème, voire deux ou plus. C’est sans doute le point crucial de notre action et si nous ne le maîtrisons pas nous allons au désastre, enfin à l’affrontement social.
Pendant ce temps, je fais les Déclarations Unique d’Embauche sur internet, puis je les scanne pour les joindre à chaque dossier.
Nous sommes installés tous les trois sur une petite table sous la terrasse, il fait bien trop chaud à l’intérieur, la table à repasser permet de poser l’imprimante et les dossiers, comme nous avons lavé les draps et qu’il pleut par instant, ceux-ci sont étendus en travers de l’espace que nous occupons, ce qui confère à notre installation bureautique un aspect très « gens du voyage » ! Nous mangeons, entre les dossiers et devant nos écrans, du riz au piment et du vieux poulet. Le temps passe et de bug en bug l’élaboration du planning n’avance pas.
La nuit tombe, envahie des chants des criquets, crapauds et sans doute d’un oiseau dont je ne saurais dire le nom, le ballet des chauves-souris commence, nous libérant de l’invasion des moustiques, moucherons et autres insectes indigènes. Le long de mes jambes de minuscules fourmis me prennent pour l’autoroute et m’oblige à de fréquents nettoyages manuels.
En allant vers l’arbre à pain qui nous surplombe, je me fais attaquer par de méchantes fourmis plus grosses qui m’arrachent des morceaux ! Ouille ! Je dois fuir et les tuer une à une sur mes jambes et mes pieds.
Il est déjà 21h et nous sommes toujours devant les ordis pour ce maudit planning, le repas du soir sera remplacé par un verre de rhum. Vaincus par l’informatique, nous reprenons chaque poste que nous planifions à la main au crayon et au papier comme au bon vieux temps.
Demain nous irons à Basse Terre pour rencontrer le responsable préfecture pour l’agrément, réputé pour ses accommodements avec la règle pour peu que l’on soit convaincant. Il est hors de question de céder aux discrètes menaces qu’il nous a déjà faites et la discussion risque d’être particulière. Je ne pense pas qu’il nous attaque de face, nous verrons bien.
La nuit ici à Morne à l’eau est extraordinaire ! Nuit noire des caraïbes envahie de la cacophonie des insectes et oiseaux. C’est quelque chose que j’avais oublié et me ramène à d’aussi vieux souvenirs que moi !
Le séjour se termine et nous avons livré bataille sur bataille, nous avons gagné sans conteste la partie « débarquement », par contre, il va nous falloir durer et progresser sur le terrain, construire une trésorerie, nous doter de bureaux et de véhicules, gérer le quotidien, ce sera beaucoup plus difficile car c’est bien moins motivant que la confrontation sociale !
Après cette histoire rien ne sera plus jamais comme avant et il semble qu’une partie de moi va devoir s’intégrer ici.
Nous avons avec Jean-Marc longuement débattu de l’avenir, il risque d’être agité, mais le challenge est intéressant, peut être devrais-je être plus souvent présent de ce côté-ci de l’océan ? Beaucoup d’inconnues pour l’avenir, mais le choix sera à faire dès le 15 Septembre.
Je suis presque déçu que cette première partie ai été si facile, mais patience, il y aura bien quelques pièges dans l’avenir. En attendant je vais aller dormir bercé par cette musique d’insectes de nuit à nulle autre pareille !
C’est le dernier soir, la journée a été bizarre, nous sommes restés coincés plus de 3h à cause du tour cycliste de Guadeloupe !
Nous sommes tristes à l’idée de nous quitter mais de grands projets nous attendent ici, alors pa di poblem !(pas de problèmes en créole)
Il est 15H17 dans quelques minutes je dois aller à l’aéroport, au moment de monter dans notre épave de location, nous nous apercevons qu’elle a une roue crevée, pa di poblem, on va mettre la roue de secours, zut elle est dégonflée ! L’aventure n’est pas finie !!!
Une voisine compatissante nous prête sa voiture. Nous partons sur les routes encore bloquées par le tour cycliste et comme c’est une petite île, fatalement les routes empruntées sont les seules existantes et donc on bloque sans possibilité de déviation. Tour cycliste / grèves même combat !
Jean-Marc me dépose, au moment d’embarquer mes bagages, je dois payer un surcoût de poids pour les ananas que je ramène, ça va faire cher de l’ananas au final !
Dans la file d’attente pour passer la police, j’observe les passagers pour passer le temps, un spécimen de touriste européen patiente en engloutissant un Big Mac, il porte des sandales de « jésus », un jean aux pattes retroussées, une chemise à carreaux avec une grosse ceinture banane et une valise à roulette. Son épouse, elle, a choisi une tenue de sport exactement comme si elle venait de quitter le cours de tennis, elle tance d’un : « Voyons Kevin attends ton tour ! » son enfant qui pourtant ne s’agite pas plus qu’une plante d’intérieur.
Il faudra que j’essaye de m’habiller comme ça la prochaine fois que je vais en vacances ! Dans la file encore, un couple en tenues sportives mais « habillées » attend son tour, la dame la trentaine que l’on pourrait prendre pour une cheftaine de scout ou un professeur des écoles, baille à s’en décrocher la mâchoire, comme si tous ses voisins étaient dentistes !
Il faudra que j’essaye de toujours mettre la main devant la bouche avant de bailler, d’autant que l’état de ma mâchoire pourrait offrir du boulot pour un amphi complet d’étudiants en dentisterie.
Voilà, dernière fouille, dans quelques heures, retour à la maison, provisoirement.
Pointe à Pitre le 09/08/2009