MERCI THIERRY le premier baiser.
Passé les premiers jours, un peu rudes pour un nouveau à l’internat du lycée Français d’Alger à la fin des années soixante, j’avais à peu près trouvé mes marques, et grâce à quelques horions bien placés, conquis ma place parmi mes coreligionnaires et je jouissais dès le début d’année scolaire d’une certaine tranquillité.
La vie de l’internat était simple, je dirais militaire, levé 6H, habillage après une toilette simplifiée aux lavabos, il fallait défaire son couchage pour le plier au carré au coin droit du lit, pour ensuite vers 7h partir en rang pour le déjeuner, 8h étude pour préparer son cartable, 8H30 départ en rang vers l’externat.
Le repas de midi se prenait au réfectoire mais à l’étage, les internes terrorisants et rackettants les demi-pensionnaires étaient séparés et avaient leur entrée réservée. Vers 16h30 à la fin des cours pour les 6émes 5émes 4émes retour sans ordre vers l’internat au foyer, en attendant 17H30 le début de l’étude obligatoire jusqu’à 19H00 pour le dîner avec départ en rang, 20H retour en rang pour un quartier libre au foyer ou sur les terrains de sport jusqu’à 22H, enfin remontée en chambre et extinction des lumières 22H30.
Pour les « petits » comme on nous appelait, il n’y avait pas vraiment de liberté, au contraire des grands qui circulaient librement pour les trajets et pour qui on tolérait le soir quelques instants de conversation après le repas avec les filles devant le réfectoire.
Dès le premier jour de mon arrivée j’avais eu le coup de foudre pour une grande fille blonde, en 4éme comme moi mais pas dans ma classe, et je la voyais parfois de loin sans pouvoir avoir l’occasion normale de lui adresser la parole seul à seule. Cependant au cours des premiers mois j’avais pris mes renseignements et nous avions de rares fois pu échanger des banalités. Un amour platonique, qui m’occupait l’esprit et le soir au fond de mon lit, la main !
Il y avait un interne plus ancien que moi dans sa classe, il s’appelait Thierry RESPAUT, je lui accordais une confiance relative au premier abord, car il avait déployé des trésors de gentillesse, pour faire ami et je ne comprenais pas pourquoi. A force je l’avais à la bonne, même si je ne lui confiais rien qui puisse me nuire.
Un jour après le petit déjeuner, au moment de la dislocation des rangs à l’externat il me tira à part pour me dire quelque chose d’important. Je le suivis à l’écart sur mes gardes au cas où ce serait un guet-apens, car j’avais quand même quelques ennemis qui auraient été ravis de me jeter à terre. Mais rien de tout cela, il prit un air de conspirateur, regardant à droite et gauche et me délivra le message.
Lui : « Tu connais Brigitte, la grande blonde qui est dans ma classe ? » Je réfléchis avant de répondre, toujours méfiant,
Moi : « oui, enfin de loin, je lui ai parlé une fois ou deux »
Lui : « elle te plaît ? »
Moi : hésitant, « c’est une belle fille »
Lui : enthousiaste, « tu aimerais sortir avec elle ? »
Moi : ennuyé « Je ne la connais pas «
Lui : à fond « mais, tu aimerais sortir avec elle ? »
Moi : excédé « oui pourquoi pas »
Il me confie alors son secret, il est son meilleur ami, et elle lui a fait la confidence que moi je lui plaisais beaucoup et qu’elle voulait sortir avec moi.
Dans notre milieu « sortir » voulait dire être officiellement en couple, enfin pour les copains et les copines. A nos âges cela se résumait le plus souvent par se tenir par la main et s’embrasser à bouche que veux-tu à la récréation dans un coin un peu tranquille de l’externat, nous appelions ça les créneaux. Notre établissement était un ancien internat de jeunes filles construit dans les années coloniales sur la propriété du château d’un riche Bey, et il y avait effectivement des créneaux défensifs donnant sur la ville qui abritaient nos idylles.
Évidemment tous ces détails pratiques m’étaient inconnus en tant que nouveau, ce qui est sûr c’est qu’à partir du moment où il me parla d’elle je perdis absolument toute méfiance envers lui et cette bouleversante nouvelle me fit planer jusqu’au soir.
Cela ne changea rien pour moi, sauf en frustration, maintenant que je savais que la belle en pinçait pour moi, c’était encore plus dur de ne pas pouvoir lui parler. A la récréation elle était avec son groupe de copines, aucun garçon, moi à l’opposé avec ma classe, donc contact impossible.
Thierry me reprit à part quelques jours plus tard toujours avec son air de comploteur et me dit qu’il avait une formidable nouvelle à m’annoncer.
Lui : « elle m’a dit de te dire que »
Et il part dans un scénario que mon émotion l’oblige à répéter plusieurs fois. Je comprends dans un brouillard d’adrénaline et de testostérone que la belle est d’accord pour sortir avec moi et que pour cela il suffise qu’à la prochaine récréation c’est-à-dire dans quelques heures, j’aille la trouver que je lui dise « c’est d’accord » et que je l’embrasse sur la bouche !
A l’extérieur je suis impassible, à l’intérieur c’est le bordel ! Je ne comprends pas tout mais le bon camarade insiste et m’explique que si je ne fais rien elle considérera que je ne suis pas d’accord.
Toute la première partie de la matinée est perdue pour l’éducation nationale ! La récréation commence, rien en apparence ne change de d’habitude, je la vois au loin dans son groupe d’amies, je suis pétrifié de trouille comment faire ? je répète dans ma tête, j’attends le moment propice elle va peut-être se mettre à l’écart pour m’attendre ?
Je tergiverse tant et si bien que la cloche finale tinte me faisant émerger de mon indécision, je comprends que je n’ai plus que quelques secondes pour agir, elle arrive avec son groupe de copines pour se mettre en rang, je suis à l’opposé, les élèves se mettent en rang entre elle et moi, je m’élance et je fends la foule comme un brise lame, bousculant les groupes, je me plante devant elle, elle s’arrête interloquée, moi j’enchaîne mon scénario je la regarde droit dans les yeux, je lui dit distinctement en détachant les mots comme pour un mot de passe : « je suis d’accord » un peu trop fort car tout le monde se retourne et je l’attrape par les épaules pour lui rouler un baiser de cinéma, un peu trop long qu’elle me rend.
Sans plus attendre je tourne les talons refendant la foule des élèves médusés et je rejoins sans me retourner les rangs de ma classe.
Le soir à la fin des cours je l’attends à la sortie de l’externat et je lui prends la main jusqu’à l’entrée de l’internat.
Nous eûmes une belle histoire d’amour d’adolescent pendant deux années scolaires et même des années plus tard un épisode torride ensemble.
Ah oui et le Thierry alors ? Je me rappelle plus la suite avec lui sauf que je ne l’ai plus trop fréquenté, un jour que nous évoquions avec Brigitte les bons moments que nous avions partagés elle me dit :
Elle : « quand même t’étais gonflé à l’époque de venir comme ça m’embrasser devant tout le monde ! et je n’ai jamais compris pourquoi tu m’as dit c’est d’accord ! »
Moi : « Mais comment ? c’est toi qui m’avais dit de le faire !?
Elle : « Quoi qu’est-ce que tu racontes on ne s’était pas parlé avant ! »
Moi : « Mais si tu as demandé à Thierry RESPAUT de me faire la commission »
Elle : « Jamais je ne lui ai dit ça moi ! Thierry était un bon copain mais sans plus et il n’arrêtait pas de me demander de sortir avec lui, je n’allais pas lui demander ce genre de service ! »
Je me souviens de la fin d’une fable, ça disait il me semble, : « qui est pris qui croyait prendre ! » merci Thierry.