Ultime Visite 26 Août 2011
C’est toujours surprenant, comme, de petits détails, peuvent vous faire d’un coup, prendre conscience de la réalité.
Au début, la maladie, le cancer, on n’arrive pas vraiment à y croire, peu de signes extérieurs, et hormis une sourde angoisse les premiers mois, on se met finalement à imaginer que tout va bien se passer.
Après tout, nous avons, tous, été témoins, dans notre entourage familial ou social, de cancer vaincu, disparu, moyennant quelques traitements désagréables, alors pourquoi pas nous ?
Après, le combat s’inscrit dans la durée, il y a des hauts et surtout des bas, alors, j’ose dire, on s’habitue.
C’est rassurant, on intègre la maladie et la porteuse, ce n’est plus « Cathy ma sœur », mais le « Cancer et Cathy », une sorte de deuxième personne qui prend la première place.
En arrivant ce matin chez ma petite sœur, pour ce que je pense être une des dernières visites, je suis tout de suite frappé à la vue d’un déambulateur. Quoi ? Il y a un vieux ici ?
Ensuite dans la chambre je découvre une petite peau blême et enflammée, tendue maladroitement sur un squelette.
Seul le regard, son regard, n’a pas changé, j’y plonge vite, un « bonjour sœurette » que je lâche immédiatement, avec une mauvaise plaisanterie, « dis donc t’as pas pris un gramme toi ! » pour masquer mon début de panique.
Ce n’est pas le moment de lui casser le moral et j’ai inventé une excuse bidon professionnelle pour expliquer ma venue pour le moins inhabituelle dans la capitale.
Pour m’honorer elle décide de se lever et de venir au salon, je dois la lever avec précaution et la soutenir, je la tiens par le bras. La dernière fois que je l’ai vue elle marchait juste appuyée à mon bras, aujourd’hui elle avance à petits pas comme une centenaire soutenue par les deux bras, pour rejoindre son fauteuil aménagé il s’écoule une éternité.
Nous parlons de tout et de rien, elle s’endort, se réveille, nous reprenons notre bavardage, elle s’assoupit une nouvelle fois. Pour me faire plaisir elle s’assoit à table et tente de manger une bouchée, mais finalement sauf un petit verre de vin pour la frime, elle renonce et on la raccompagne dans sa chambre.
La maison de ma sœur est un pavillon, traduction de « villa » en parisien, sur deux niveaux. En bas le domaine des parents, en haut celui des enfants. Comme ma cadette dort épuisée par la morphine et d’autres drogues pas du tout festives, je monte à l’étage, à la salle de bain, pour éviter de la déranger. Les enfants sont absents depuis quelques semaines pour les vacances.
Ma sœur c’est plutôt genre « fée du logis » enfin c’était, comme je pénètre dans la salle d’eau, j’aperçois un coton-tige tombé à côté de la corbeille, quelques kleenex froissés et un tiroir resté ouvert. Machinalement je remets tout en ordre, et à ce moment et seulement là, face à ces détails insignifiants, je prends conscience de la réalité, ces tous petits riens provoquent immédiatement une avalanche d’émotions, qui heureusement n’a pas de témoin.
Peine et sentiment d’impuissance, mais aussi : affolement, « il y a tant de choses que je ne lui ai pas dites et tant de choses qu’elle ne m’a pas racontées ». Trop tard.
Il faut partir, dans ses yeux un peu de lassitude, pas de peur non, elle s’en fout maintenant, elle attend, pour combien de temps encore ? Elle s’endort, je fuis doucement vers ma vie comme sa vie lentement fuit d’elle.
18 Septembre 2011
J’attends, le coup de téléphone qui m’annoncera sa mort. J’y pense en me levant, en mangeant en me couchant.
Je fouille dans ma mémoire, comme dans un grenier à la recherche d’une relique : mes souvenirs d’elle les plus anciens, une trace de complicité avant que le destin et la géographie nous séparent.
Depuis ma dernière visite elle est aux soins palliatifs d’un bel hôpital de la vallée de Chevreuse, construit en 1918 pour les blessés de la grande guerre.
9 octobre 2011
Elle n’en finit plus de mourir, elle ne reçoit plus de nourriture par voie veineuse et ne mange plus non plus, les tumeurs lui compressent le cerveau, mais elle vit toujours. Parfois elle est consciente et nous échangeons, surtout nous, pas trop, elle.
Dans un moment de lucidité elle porte le regard sur son poignet, comme pour regarder l’heure. Pas de montre. Dans ce moment-là, on se sent tellement impuissant et ridicule face à la maladie, que d’un coup si une problématique simple se présente, nous nous précipitons pour y répondre. Nous voilà tous saisis de frénésie de recherche de la montre dans sa petite chambre de fin de vie.
Las, impossible de la trouver, il nous faut voir l’infirmière, peut-être l’a-t-elle rangée. Cathy porte un tricot à manches longues et soudain son mari remonte la manche et nous trouvons sa montre sur son biceps, ou plutôt, à l’emplacement où autrefois où il y avait ce muscle.
Dans les airs
12 octobre 2011
Je décolle de Roissy à 14H. Je suis dans le ciel entre Paris et Lomé ; depuis 16H ma sœur vole avec moi et je ne le sais pas.
La vie appartient aux vivants.
Ma petite sœur a rejoint notre mère, le 12 octobre à 16H alors que je volais entre Paris et Lomé, je ne savais pas qu’elle volait avec moi.
Pour nous tous qui l’aimons, c’est dur de ne plus l’avoir, la voir. Mais elle continue à vivre et chanter dans nos cœurs car chacun à un moment ou à un autre de chaque jour qui passe nous l’évoquons et son âme alors, scintille et flamboie comme la flamme d’une bougie.