Chapitre 6 : La femme battue

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Je reconnaissais Ariane car elle portait dans ses bras un coussin enroulé d’une petite couverture. Dans sa conception de la réalité, elle avait accouchée d’un petit garçon qu’elle nomma Eli. Lorsqu’elle entrait dans mon cabinet, elle marchait de façon sûr. Elle me disait toujours qu’une femme se devait d’être digne quoi qu’il arrive. J’essayais de la mettre en confiance. Je la trouvais méfiante et durant des mois, elle parlait juste de son bonheur d’être mère. Et puis, vint ce jour où elle s’ouvra à moi en me racontant son histoire. Ariane me décrivit la torture qu’elle avait subit avec son compagnon. En réécoutant mon dictaphone, on pouvait entendre sa voix trembler.

– Vous savez docteur, j’ai tendance à vouloir manger quand une personne à côté de moi se goinfre. Je lui ai juste demandé une part de pizza, peut-être n’aurais-je pas dû… 

Je la laissai se lâcher sans l’interrompre :

– En présence de son ami, il m’a tendu une pizza qu’il a dévoré, il m’a laissé moins de la moitié, alors, par fierté et parce que je suis un humain… Une femme mais un humain avant tout, j’ai refusé et lui ai dit que je voulais une part entière. Il a prit ces grands airs et m’a dit que si je souhaite une part entière il fallait que je termine son reste. Comme toute femme qui se respecte, j’étais furieuse et lui ai dit qu’il avait qu’à bouffer sa pizza seul et je me suis levé pour me rendre dans la chambre et me changer. Oui, je suis sorti énervée parce qu’on ne me traite pas comme ça et encore moins devant un étranger ! 

Après un long silence, elle poursuivit : 

– En ouvrant la porte, j’ai entendu ses pas derrière moi… Pendant une minute je n’ai pas compris ce qui se passait. Je me suis retrouvé par terre et je me rappelle juste ses coups de pieds et ses cris me demandant de me relever. Il m’a soulevé pour me plaquer contre le mur et m’étrangler. Ensuite il m’a jeté du haut des escaliers. Je me rappelle de ces escaliers car il n’y avait pas de rampe, je vois encore aujourd’hui ce carrelage gris recouvert d’un bord métallique. Mes yeux observaient, en une fraction de seconde, le sol sur lequel mon visage allait s’écraser. Par chance, ou  par miracle, mon bras a frôlé le mur, ce qui a freiné ma chute. J’étais en bas de ces marches avec un mal de chien au pied. Assise devant la porte de l’immeuble, j’ai pensé à fuir, il suffisait juste que je me relève, ouvre la porte et courre sans me retourner. Mais il aurait sûrement eu le temps de me rattraper… Mon pied était trop faible pour filer et, vu sa taille, je n’aurais pu lui échapper à temps. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps et lui en haut, me regardait avec un air suffisant. Alors, j’ai crié qu’il devait arrêter, que j’étais désolé. Il s’était calmé d’un coup.

Oui, c’est à moi de m’excuser car c’est moi qui l’ai provoqué, je n’aurais pas dû le mettre en rage, ça c’est ce que j’ai entendu quand il est arrivé vers moi pour me consoler. il s’excusait toujours, après m’avoir frappé, mais je ne devais pas dire qu’il me battait car il y avait pire que moi et que je ne devais pas me plaindre. Son excuse ? Il était saoul et donc il ne se contrôlait plus, il ne savait pas ce qu’il faisait. Vous vous demandez si son ami est intervenu pour stopper un fou furieux qui était prêt à me tuer ? Sachez qu’il n’a même pas levé le petit doigt, car on ne se mêle pas des histoires de couple… 

Je ne constatais aucune larme prête à couler. Elle avait juste un regard perdu et elle finit par me dire :

– Voilà, c’est ce que vous vouliez entendre, docteur ? Une femme qui se plaint ?

Je répondis que non, mais que connaître son histoire pouvait aider Sofia. Elle s’élança dans un monologue : 

– Je suis reparti chez mes parents, le lendemain. Mais ils ne savaient rien. Pour mon pied, j’ai inventé que je suis tombée. Je me suis rendu aux urgences accompagnée de ma mère. Les ligaments presque déchirés, c’est plausible pour la famille. De toute façon, qu’est-ce que j’aurais pu leur dire d’autre ? Parce qu’on n’aborde pas ce genre de sujet dans mon entourage. J’ai choisi cet homme, à moi de me débrouiller avec.

Comme n’importe quelle personne censée, je rétorquai qu’elle pouvait s’en allé, tout simplement. Ses yeux me fixaient avec haine et elle riposta : 

– Vous pensez qu’il a pris le risque de me traiter ainsi, dès le premier jour de notre rencontre ? Non mais vous vous foutez de moi ! Il m’a prise par surprise, il a attendu que je sois dans son univers. Il a tout fait pour que je n’ai plus d’échappatoire… 

– Vous avez portez plainte ? 

Avec un rire sournois, elle dit : 

– Vous croyez naïvement à la justice… 

Dans ce contexte, je pensais parler à Sofia. Donc, je lui demandai si elle se souvenait du jour du meurtre. D’un rire hautain, elle objecta : 

– Haha ! Docteur, je vous croyais naïve mais pas aussi stupide !  Vous pensez vraiment que j’ai tué Sami ? Il ne m’a rien fait à moi, pourquoi je m’en serais prise à lui ? Et puis j’aurais pas utiliser un couteau à viande… 

Sans le savoir, elle venait de me parler d’un indice crucial. L’arme du crime n’avait pas été retrouvé, comment pouvait-elle être au courant de ça ?  

Au mois de juin 2012, je progressai avec la personnalité d’Ariane. Elle narrait son récit. Je n’avais même pas besoin de tenter l’hypnose, elle devenait, à force de nos rendez-vous, un vrai moulin à paroles. Elle contait ses périples avec son ex-compagnon, comme des reliques lointaines.

– J’aurai été jusqu’au bout du monde avec lui. Je l’ai laissé pénétrer mon âme. Il représentait tout le contraire de mon entourage ; les apparences, on s’en fou, les gens ça lui était égal ce qu’ils pouvaient penser de nous. J’adorais l’adrénaline qu’il me procurait. Avec rien, on se contentait de tout…

Je lui suggérai d’écrire comme Sofia pour pouvoir extérioriser ce qu’elle ressentait. Ariane me dit que cela appartenait à Sofia et qu’elle avait bien été éduquée pour intérioriser ses émotions. Elle n’avait plus que sa colère et son fils pour rester en vie.
Il lui avait fallu du temps pour m’avouer être parti seulement quand elle avait appris pour sa grossesse.  

– J’ai vu le clin d’œil de la mort à plusieurs reprises dans les mains de cet homme. Je n’avais rien à perdre jusqu’au jour où j’ai su que j’étais enceinte. Toquer à la porte du commissariat ne m’a rien apporté. Quand le flic en face de vous se demande ce qu’a poussé un homme à lever la main sur vous… Je vous ai dit, je n’avais plus d’échappatoire.

– Vous avez donc décider de vous en aller, c’est bien. 

– Oui, seulement on ne m’a pas prévenue que la suite allait être tout aussi dur

Je ne comprenais pas ce qu’Ariane voulait dire par là, alors je l’encourageai à m’en dire plus. 

– Il est rentré en prison pour des broutilles. Oui, parce qu’un vol à l’étalage est plus important qu’une vie humaine…Je me suis préparée à sa sortie, je sentais qu’il allait me retrouver.

Notre dernière entrevue s’arrêta sur ses révélations et l’année 2012 s’acheva. Je demandais mes congés en décembre. Je n’étais pas apaisée pour autant, je n’arrivais pas à sortir de mes pensées la phrase du carnet de Sofia, une trouvaille opportune. Un hasard qui m’embarquait dans une spirale infernale : « Il y a beaucoup de sang sur mes mains… » 

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