Dans les rues de Paris, je me rends dans le quartier Bel-Air et fais un détour au bord de la Seine. Je contemple ce fleuve coulant le long de sa traversée et la pleine lune qui se reflète sur celle-ci. Je sens une brise d’air qui fait de petites vagues sur ce fleuve que j’admire d’une certaine façon. Je vois le visage de mon père, Régis, un homme grand et discret à la fois, passionné par son métier au détriment de sa famille qu’il aimait tendrement. Je me souviens de son silence surtout, mais quand il prenait la peine de m’adresser une parole, elle était toujours de bon conseil. Durant mon enfance, je ne saisissais pas la grandeur de ces mots mais en m’y attardant en tant qu’adulte, je comprends le poids de ceux-ci. Je ne peux imaginer meilleure éducation que celle de mes parents ; ils avaient cette patience de me donner les meilleurs outils pour mon avenir, et même si le paternel était aussi souvent absent, je ne me sentais jamais abandonner. Ma mère veillait à ce que je discerne la force du travail, et c’est ce que j’ai acquis au fil de toute ma vie. Leurs différences de cultures, de peau et de religion ne les avaient jamais arrêtés dans leur amour. Mon père, originaire d’Afrique du Sud, savait que rien ni personne ne pouvait l’aider dans ce pays d’ « apartheid », où la politique de race déterminait les lois. Malgré son affection pour ce grand pays magnifique, il devait le quitter et trouver un sens à sa vie, loin des siens. Il me racontait sa traversé jusqu’aux États-Unis dans les années soixante-dix, une terre d’Eldorado, à l’époque, dans laquelle on pouvait labourer, suer sans se faire trop lyncher. Et même si en cette période, le racisme y était encore ancré, il avait plus de chance là-bas que sur sa terre natale. Il a eu le courage et la détermination de se démarquer et a donc saisi l’occasion, en étudiant et en montant étape par étape dans son domaine pour briller de sa propre personne. Ma mère, Stacy, a eu la chance d’être née sous la bonne étoile ; elle a grandi dans une famille d’intellectuel aisé, dans l’état de l’Ohio, où elle a passé son enfance dans la tranquillité avec sa sœur Daisy. Des sœurs siamoises les nommait-on quand elles étaient petites. Elles n’avaient que deux ans d’écarts et celles-ci ne se quittaient presque pas. Quand ma mère a rencontré mon père, à une soirée universitaire, celui-ci a volé, en quelque sorte la place de Daisy, qui s’est senti exclu. Bien sûr, ma mère n’avait aucunement l’idée de laisser tomber sa sœur, seulement elle était amoureuse et donc a pris son envol avec lui. Mes parents ont vécu en Californie, à Bakersfield plus précisément. J’étais donc né là-bas mais avec le travail de mon père, on voyageait sur tous les continents. Il a été demandé par tous les chefs d’entreprises, les musées et même quelques politiciens. J’ai eu connaissance du dernier voyage, à Paris ; mon père devait rencontrer une personne dont j’ignore le nom, mais dans mes souvenirs, il était un haut placé de la monarchie. Ou ne serait-ce que l’imagination d’un enfant ? La seule chose dont je suis sûr : c’était la première fois que mes parents m’ont laissés sur place, sans que je les y accompagne… la dernière image que j’ai d’eux ; ma mère me tenant fort dans ses bras et me murmurant qu’elle m’aimait et mon père s’approchant de moi, et me susurra à l’oreille des mots dont je n’ai jamais compris et les ai oublié assez vite.
Un bruit derrière moi me fait sursauté, je me retourne et distingue dans la nuit éclairée par la lune, une ombre se diriger vers moi. Je regarde attentivement cette silhouette s’avancer, sans hésitation je reconnais la femme du café, de ce matin. Étonné, je lui demande ce qu’elle fait là, à cette heure-ci. Elle réplique :
« Tu as une langue, toi ? Soit, ce n’est pas ton problème ce que je fais là dans les rues de Paris, à cette heure-ci ! »
Elle me dit ça d’un ton moqueur mais elle n’a pas tort, de quoi je me mêle. Je la fixe et lui dit que je dois rentrer et avant que je fasse un pas, elle se met face à moi et me contemple tel un objet ; elle me dévisage sans me juger, elle m’examine de manière interrogatoire. Je lui demande gentiment de me laisser partir, alors elle a fait un pas en arrière et j’aperçois, sous l’étincelante pleine lune, son sourire timide. En marchant, je regarde derrière moi par curiosité, si elle me suit. Mais du coin de l’œil, elle a disparu de mon champ, je m’arrête donc pour bien confirmer qu’elle n’est plus là. Je rentre d’un pas nonchalant et m’écroule sur mon lit, sans avoir l’énergie de vérifier si Daisy dort encore.
Les semaines passent et Daisy a décidé de se rendre dans l’Ohio afin de régler les dernières paperasses dues à la mort de son mari. J’ai décidé de relouer mon appartement un moment, et de m’installer chez tante Daisy. Il lui fallait de l’aide dorénavant, Ed était celui qui s’occupait de tout en général et je me dois de l’aider à mon tour, après tout je lui en suis redevable. Je reprends mon train de vie quotidien, et en tant qu’indépendant j’ai plusieurs contrats d’entreprises à faire signer. Tous les matins, avant de démarcher auprès des entrepreneurs, je me rends dans le café du coin « l’inédit Café », je voudrais revoir cette femme intrigante qui a l’air de s’intéresser à moi. Cependant, lorsque j’ai demandé après elle, car je ne l’ai pas revu depuis la dernière fois sur le quai, on aurait dit que j’avais vu un fantôme. Les employés m’ont certifié qu’il n’y a pas eu de nouvelles recrus depuis trois mois. Perplexe, je me demande si tout cela était réel, je suis persuadé de l’avoir vu et même entendu, je ne peux pas avoir rêvé. J’ai fait mine de ne pas en faire tout un plat alors, je suis le cours de ma vie en essayant de l’oublier. Il est clair qu’elle existe, pour moi, et si j’avais su que je voulais la revoir, j’aurai pris ce numéro indiqué sur la note. Néanmoins, je l’ai rencontré à une période de ma vie assez malheureuse, la mort de mon oncle a été brutal et avec ce que m’a annoncé Daisy, sur mon père, je n’ai pas la tête à séduire. D’ailleurs, nous nous contentions d’en rester là, le sujet était clôt. Ce week-end, un ami m’a convié à une soirée et même si cela ne me dit rien, j’ai besoin de décompressé de toute façon.