Chapitre 7 : La femme violée

6 mins

Daphné entra dans mon bureau avec une allure de star. Elle se déhanchait comme à notre première rencontre à la maison d’arrêt. Les cheveux lâchés, elle les brossait avec ses doigts. Elle s’affala sur le fauteuil et me dit :

 – On commence docteur ?

– Oui si vous voulez. Mais pourquoi êtes-vous allongée ?

– Vous devez faire votre truc là…

– L’hypnose ?

– Oui voilà. Sofia m’en a parlé. Bah, je me souviens de tout mais si vous y tenez !

Elle était plaisante à voir. Sa présence mettait une bonne ambiance dans la pièce.

 – Et bien si vous voulez rester coucher, il n’y a pas de problème.

– Oui, je suis plus à l’aise. Je dois fermer mes yeux ?

– Vous n’êtes pas obligée. Alors vous voudriez vous confier à quel sujet ?

– Rhoo…on dirait que je suis dans un confessionnal..

– Non, évidemment. Juste si vous avez besoin de parler de quelque chose qui vous tracasse pour commencer.

Elle se mit à réfléchir. Alors je débutai avec une question sensible :

– Dans les textes de Sofia, j’ai pu comprendre que vous avez été violée ?

– Oui… vous voulez en arriver où, docteur ?

– Peut-être est-ce trop dur d’évoquer cela ?

– Non, un garçon m’a forcé la main. Je suis passé outre et c’est classé.

– Donc pour vous, c’est juste clôt ?

Daphné se redressa et s’assit de manière élégante. Elle me répondit très calmement en me fixant :

 _ Je pensais que ce serait plus amusant les séances avec vous. J’ai rien à dire à ce sujet, de toute façon il n’est plus là…

Interloquée par cette annonce, je pensai à Sofia. Je me disais qu’elle était, pendant toutes ces années, assiégée par des entités si fortes les unes que les autres. Toutes des femmes à caractère puissant qu’elle ne pouvait qu’être perdue. Cependant, je persévérai avec Daphné car de ce que j’en avais vu, elle était la plus énigmatique.

– Alors parlons de ce que vous souhaitez.

– Et si vous me demandiez mon âge pour commencer…

– OK. Quel âge avez-vous ?

Elle gloussa et me dit :

– Devinez…

– Je dirais dans la trentaine.

– Détrompez-vous. Je dois avoir votre âge !

 Elle avait une hardiesse sans limite. Je ris tellement elle me surprenait. Je poursuivis :

– Dites moi Daphné, avez-vous un compagnon ?

– Oh non ! Mieux vaut être seule qu’être mal accompagnée !

– Oui, c’est vrai.

– Et vous docteur ?

– On est pas là pour parler de moi…

Daphné tentait de me persuader qu’il pouvait y avoir une confiance entre nous que si je m’étalais un peu. Bien sûr, je ne voulais pas tomber dans une relation qui dépassait ma profession. Or, elle n’avait pas complètement tort. Je lui confiai que j’étais divorcé et que je me concentrais sur mon travail.

 – Mmmh… intéressant et vous avez des enfants ?

Elle touchait une corde sensible. Mais je lui avouai que j’avais eu un enfant qui malheureusement, était mort lors d’un tragique accident. Daphné me regarda avec compassion et s’exclama :

– Maintenant, on est sur la même longueur d’onde, docteur !

Il y avait comme une expression de plénitude sur son visage. Quand je voulais trouver des similitudes entre ces personnalités, je fonçais droit dans un mur en constatant leurs différences. Une était trop buté alors que l’autre était confiante. Je laissais les choses se produire de manière naturelle, sans savoir combien de temps cela allait prendre. J’explorais les esprits en espérant déceler celui de Sofia.

Daphné avait été violée mais elle faisait comme si cela n’avait plus d’importance. Je l’observais dans ma clinique déambuler comme une mannequin. Elle restait sereine et béat. Je n’avais même pas besoin de la mettre sous médicament, elle ramenait une bonne humeur à tous le corps médical. Pourtant, il fallait la mettre sur la voie qu’elle évitait. Je m’obstinai à lui proposer l’hypnose. Ça avait l’air de l’amuser.

– Ah je vais enfin tester un truc nouveau !

– Vous n’aviez jamais fait ça avant ?

– Non, j’ai des clients qui m’ont massés, qui m’ont appris comment mieux connaître mon corps…mais l’hypnose, jamais !

 Je ne saisis pas ce qu’elle voulait dire par “clients” mais je m’abstins de le lui dire.

– Je voudrais que vous vous détendiez. Fermez les yeux, cela vous aidera. Remontez le plus loin dans votre passé et dites-moi ce que vous voyez.

Daphné prit une grande respiration et le silence régna dans la pièce.

– Que suis-je censé voir, au juste ?

Elle n’était pas du tout en méditation et explosa de rire en se relevant. Je lui dis :

– Si vous ne prenez pas ça au sérieux, je ne vois pas pourquoi le faire.

– Bon, ce n’est pas fait pour moi, alors je vous propose autre chose.

– Je vous écoute…

– Et si je vous raconte à chaque session, un passage de ma vie ? En échange, je veux que vous me dites ce que vous avez fait pendant votre week-end.

Une suggestion inhabituel pour moi, mais à quoi bon lutter ? J’acceptai donc sans savoir où cela mènerait.

Le 12 février 2013 tombait un mardi. Comme John et moi travaillions le lendemain, nous avions convenu de ne pas tarder. Il ne comprenait pas pourquoi on devait faire ça. Il s’était remis en couple et sa nouvelle compagne ne cessait pas de lui en vouloir de me revoir. Je me levai de table et le laissai en plan dans le restaurant. Ce soir-là, je me consolai seule chez moi, avec ma bouteille de vin blanc, ce qui me valait une semaine de maladie. J’étais dépassée par l’attitude de John et avec les patients à gérer à la clinique… J’avais l’impression d’être au bord du gouffre. J’en profitais pour me reposer et vider la tête.

Je revins au boulot avec plus de volonté. Sofia n’était pas ma priorité, son sort était de rester sous ma responsabilité le temps qu’il fallait. Je me disais que la phrase que j’avais lu n’était que la conséquence de tout garder pour soi. Elle avait du sang sur ses mains, c’était normal quand on savait ce qu’elle avait fait pour se trouver ici. Je devais la considérer comme les autres patients qui sont enfermés pour leur crime. Ralph ne manquait pas de me le rappeler. Il entrevoyait à mon allure que toute cette histoire me fatiguait. Il m’invita à prendre du recul avec Sofia afin de prendre le relais. Je me déchargeais de ce poids et comme Daphné n’était pas le genre à détester les hommes, je testais donc cette approche.

Le mois d’avril se présenta à nous, et je soufflais depuis que Ralph prit en charge Sofia. Il m’expliqua ses entrevues avec celle-ci et était surpris de ses rendez-vous exquis. Je fus hébété par le discours de Ralph.

 – Elle m’a carrément draguer ! Enfin ce n’est pas la seule mais je m’y attendais pas. Par rapport à ma première séance avec elle, il y a deux ans… Par contre, elle ne m’a rien dit sur le viol, juste qu’elle a travaillée comme prostituée.

Étonnant de sa part de s’être confié à ce sujet avec Ralph. Mais j’avais décidé de délaisser ce dossier, un temps. Les histoires de mes patients étaient tout aussi captivants, et au moins ils n’avaient pas commis de meurtre. Malheureusement, le cas de Sofia me hantait malgré moi. Je m’empêchais d’y penser mais j’avais été tenté, comme une voix qui me murmurait que je risquais de passer à côté de quelque chose d’important. Le jeudi 11 avril, je m’introduisis dans la chambre de Sofia pendant qu’elle était avec Ralph. Je lis ce carnet que je lui avais offert et je tombai sur ce passage :

« Je n’ai pas toute suite percuté l’anecdote de Daphné, ce soir là. Il faut dire qu’on a un peu bu sans vider la bouteille. On a surtout parlé de son passé et des hommes. Elle m’a fait comprendre qu’ils ne sont rien sans nous, c’était sa façon de voir les choses et je respecte ça. Je ne sais pas comment on est arrivé à ce sujet cependant ça m’est resté en tête. Daphné m’a expliqué comment cacher un corps sans que personne ne sache quoi que ce soit. Sur le moment, j’ai rigolé et je lui ai dit pourquoi je voudrais cacher un corps. Elle n’a plus sourit et m’a regarder franchement dans les yeux en me tenant la tête et a dit : “Crois-moi, ça te servira en temps et en heure… ”

Jamais je n’aurais pu tuer une personne et encore moins dissimuler un corps. Elle a fini par me raconter ce que je n’aurais pu croire. Daphné m’a avoué avoir revu son violeur, par hasard dans cette boite de nuit à Uccle. Elle a continué à ma relater la soirée : “Tu sais, il ne m’a pas reconnu et quand je lui ai dit qui j’étais, il était juste subjugué par ma beauté, comme il me l’a dit. Il était le même, juste entouré de plusieurs de ses amis. Il m’a présenté et m’a invité à danser. Je ne pensais pas faire ce que j’ai fait mais tu sais le voir tout souriant comme si de rien était m’a rendu dingue ! ” Je pensais qu’elle allait s’arrêter là, mais elle m’a juste dit une phrase qui est resté imprégner dans mon esprit : “Attends qu’il soit bourré, amène le loin du monde, à une heure tardive, et là…tu peux l’abattre.” Daphné n’est pas allée plus loin et on a terminé la soirée à se faire un karaoké. Avec le recul, je me demande si je ne connais pas déjà cette histoire. J’ai des flashs qui me viennent à l’esprit, peut-être que ce n’est qu’un rêve.

Il y avait beaucoup de terre sur mes chaussures. »

Je venais peut-être de découvrir un autre meurtre à son actif. Sofia s’emmêlait dans son journal et je ne sus plus où donner de la tête. Je demandai à Ralph de déchiffrer le carnet avec moi, il me proposa d’attendre que toutes les personnalités se déclarent avant d’en conclure à une quelconque théorie farfelue. Il me dit :

 – N’oublies pas que c’est une patiente inculpée d’homicide. Volontaire ou pas, si elle est présente ici, c’est parce qu’elle a une maladie mentale.

Il était vrai que je me précipitais dans des hypothèses sans preuve. Et puis, ça ne restait que des notes sans but, juste un endroit où je donnais à Sofia l’opportunité de se distraire.

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3 Commentaires
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Galindo Gaëlle
4 années il y a

C’est vraiment bien. Franchement je suis carrément dedans à chaque fois !

Galindo Gaëlle
4 années il y a

Non mais vraiment j’adore que ça passe d’une personnalité à une autre. On sait jamais sur laquelle on va tomber. On a l’impression à chaque fin de texte qu’on s’approche du but et au final toujours plus de mystère !

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