Chapitre 7. Une visite inattendue. Partie 1

14 mins

  Faire semblant. C’était ce que ma mère m’avait enseigné. « Ne te fais pas remarquer. » « Ne dis pas ce que tu penses. » « Ne dis pas quelque chose qui pourrait blesser l’autre. » « Fais ce que l’on te dit. » « Ne te bats pas. » « Ne t’habille pas comme ça ! » « Sourie. » « Sois polie. » « Si tu ne l’aimes pas, fais semblant, cela lui ferait plaisir. » Toutes ces phrases sans cesse martelées par ma mère, pendant de longues semaines m’avaient amené à ce moment-là de ma vie.

  Une semaine s’était écoulée. Mon frère était aux abonnés absents. Anton restait sourd à tous mes appels. Noah existait seulement dans mes pensées. Quant à la confiance que j’accordais à l’homme qui partageait présentement mon lit, elle s’effritait au fil des jours qui défilaient impitoyablement sur mon existence. Les sentiments que je portais pour Charlie s’amenuisaient eux aussi, cédant leur place à une méfiance grandissante et à un dégoût amer. Il m’était de plus en plus difficile de supporter le rôle que ma raison m’imposait. Je sentais mes épaules se courber sous le poids de ce fardeau. Prisonnière d’un personnage qui s’éloignait de moi. J’avais la désagréable impression de perdre le contrôle sur ma vie. Impuissante, il me paraissait voir un épais rideau brumeux s’installer sur l’horizon de mon avenir. La vraie Kaylah se réjouissait de la tournure que prenaient les choses, percevant la fin de son cauchemar, tandis que ma raison s’inquiétait du chemin vers laquelle je l’entraînais.

  Je regardai la route défiler devant mes yeux, me perdant dans le fil de mes pensées. Avais-je pris la bonne décision en m’engageant sur cette enquête ? Avais-je raison de persévérer ? Où est-ce que tout cela allait me mener ? J’étais seule face à mes questions. Plongée dans l’incertitude, je trouvais refuge dans le silence. Ballottée par les mouvements irréguliers du bitume glissant sous les roues, je n’avais pas dit un mot depuis que nous étions montés à bord du véhicule. Charlie, qui ne supportait décidément pas cette quiétude, finit par briser le silence.

   – Tu ne vas rien dire de tout le trajet ? me demanda-t-il, ne cachant pas son agacement.

   – Qu’est-ce que tu veux que je dise ? maugréai-je, continuant à suivre l’asphalte sombre qui se frayait un chemin dans la végétation environnante.

   – Je ne sais pas. Quelque chose. Ça fait une semaine que je suis rentré, et tu ne parles quasiment pas…tu n’es pratiquement jamais là…

   – J’ai beaucoup de travail en ce moment…je suis désolée…de quoi veux-tu qu’on parle ? répondis-je pressée par ma raison, sur un ton excessivement enjoué qui sonnait faux.

 Il me jeta un coup d’œil surpris, levant un de ses épais sourcils blond. Telle une schizophrène, j’étais capable de faire volte-face en une demi-seconde. Il m’était possible de reprendre le masque que l’on m’avait confectionné au fil de toutes ces années, en un claquement de doigt. À l’instar du caméléon, je m’adaptais à l’interlocuteur qui me faisait face. Je pouvais être celle que l’on voulait que je sois. Seulement, il arrivait que ma véritable nature reprenne le dessus, laissant entrevoir les aspects les plus sombres de ma personnalité, à la plus grande surprise de mon entourage. Tous ignoraient celle que j’étais réellement. Cette femme rebelle, insouciante, aimant flirter avec le danger, dansant joyeusement avec ses pulsions, ne se préoccupant pas du raisonnable. Cette Kaylah pour qui rien n’était impossible. Cette femme qui gardait le secret espoir que sa famille puisse l’accepter et la voir comme ce fut le cas avec Edwing. Quelques jours, auparavant, ce dernier m’avait confessé son trouble.  

   – Vous savez Guajira, vous m’étonnez toujours un peu plus. Un jour, vous êtes discrète, silencieuse, presque timide, et le suivant vous êtes l’incarnation même de la fougue. Je dois avouer que je ne sais absolument pas sur quel pied danser quand je m’adresse à vous.

   – Mon Cher Edwing, ne vous inquiétez pas. Vous pouvez danser sur vos deux pieds, avais-je répondu, un sourire amusé sur le coin de mes lèvres.

  Depuis que j’avais repris l’enquête, je ne prêtais plus attention à l’image que je pouvais renvoyer. Je ne cachais pas ma détermination, ni même la folie qui me rongeait depuis des années, frôlant parfois les limites du raisonnable. Cela ne lui avait visiblement pas échappé. J’acceptais chacune de ses propositions, assumant ouvertement le danger de plus en plus grand. Je me souvenais de sa mine abasourdie, le lendemain du cocktail, lorsque j’avais posé devant lui le Dictaphone qui fournissait la preuve que j’avais menée à bien la mission qu’il m’avait donnée. Il avait écouté silencieusement les paroles terribles d’Andrew Van Hood avant de m’accabler d’un déluge de questions. J’avais répondu à chacune d’entre elles, avec justesse et sans omettre un seul détail. Sa plus grande interrogation restait sur le fait que personne n’ait pu soupçonner ma présence. Je lui avais argué avec une assurance sans borne que j’avais plus d’un tour dans mon sac, sans lui préciser que la seule personne qui avait réussi à percer mon secret était Noah.

Elizabeth Hawkwood avait eu une réaction semblable, ayant eu de cesse de me féliciter pour mon incroyable performance. Quant à Jack et Simon, lors d’un de nos échanges par mail, m’avaient fait part de leur admiration sur mon infiltration réussie ainsi que sur le travail que j’avais fourni. Néanmoins, tous m’avaient prévenu du danger auquel je m’exposais, confiant leurs inquiétudes sur le déroulement de l’enquête. Ils avaient conscience d’avoir sous-estimé l’ennemi. Cependant, aucun de leurs mots ne parvint à entacher ma détermination. Je m’étais jurée de faire tomber Andrew Van Hood et rien, ni personne n’arriverait à m’en détourner.

    – Tu m’en veux, encore ? reprit Charlie, la mâchoire crispée, comme s’il redoutait ma réponse.

   – Comment ça ? Relevai-je, en regardant les hauts arbres défiler derrière la vitre.

   – De ne pas avoir pris ta défense devant mon père, lors du dîner…mais tu sais comment il est…

   – Atroce, persiflai-je tentant d’apercevoir la cime invisible de ces pins qui semblaient s’étendre à l’infini.

   – On peut dire ça, soupira-t-il. Écoute, je sais que tu ne le porte pas dans ton cœur, mais c’est mon père et j’aimerais que cette journée se passe normalement.

   – Développe, répliquai-je en me tournant enfin vers lui, concentré sur la route.

   – Une journée sans cri, sans scandale, sans provocation. Bref, que vous agissiez comme deux adultes.

   – Est-ce que tu lui as dit la même chose qu’à moi ?

   – Kay ! Arrête de penser que je suis contre toi. Je ne veux pas choisir un camp. Je fais tout ce qu’il y a en mon pouvoir pour que tout se déroule le mieux possible, aussi bien de notre côté que du sien. Tout ce que je te demande, c’est de mettre un peu du tien, de te tenir tranquille.

   – Bien. Seulement, sache que si je le fais, ce n’est ni pour toi, ni pour lui, c’est uniquement pour Julie, je le suis, répondis-je, bougonne.

   – Ça me va, répliqua-t-il amusé, alors que nous arrivions à Plymouth.

 La maison familiale des Van Hood, se trouvait à une heure de Boston, loin des sombres desseins d’Andrew Van Hood. Sur un terrain neutre. C’était ce que voulait Julie Van Hood. Il était interdit, en sa présence du moins, de parler business. Il était prohibé de faire mention de VANHOOD Industries ou de tout ce qui pouvait s’y apparenter. Elle avait conçu cette maison comme un havre de paix. Un endroit où on pouvait se recueillir, oublier tous les tracas du quotidien. Andrew possédait un appartement dans le centre de Boston, dans lequel il pouvait faire ce que bon lui semblait, mais ici, c’était Julie la maîtresse de maison.  

Dès lors que nous franchîmes la grille en fer forgé, empruntant ce petit chemin de gravillons blancs, toutes mes tensions se dissipèrent pour laisser place à un sentiment de quiétude. J’observais ces arbres qui s’élevaient autour de nous, baissant ma vitre pour sentir l’odeur du bois sec, de l’herbe encore humide, écoutant les cailloux craquer sous les pneus de la voiture. Face à nous, on pouvait apercevoir la pelouse parfaitement entretenue dont le vert perçant tranchait avec les plantations florales qui bordaient l’allée menant au perron de cette immense demeure, aux grandes baies vitrées dont les contours sombres se mariaient parfaitement avec le bois de la façade. Un balcon en bois et en fil de fer longeait tout le premier étage, tandis qu’une terrasse, aux grands carreaux clairs, se situait à l’arrière, s’achevant devant une piscine à l’eau turquoise. Au fond du jardin, un escalier en bois descendait la falaise nous menant à une plage privée. C’était d’ailleurs là que j’avais vécu mes plus beaux moments. Je me souvenais de tous ces moments de joies lors des feux de camps que Julie organisait sur la plage les soirs d’été, les barbecues de Charlie sur la terrasse, les délicieux repas de Noël préparés avec amour par Juanita.  

  Charlie arrêta la voiture sur le petit parking aménagé devant l’immense bâtisse, sous le regard pétillant de sa mère. Je m’empressais de quitter l’habitacle pour sentir l’air frais caresser ma peau, les embruns salés de l’océan venant titiller mes narines, écoutant le chant des oiseaux qui s’alliait au bruit de la houle puissante que l’on pouvait entendre derrière la forêt. Je pouvais voir les nuages gris flotter dans le ciel, effleurant presque la cime des arbres qui s’étiraient à quelques mètres du sol. Le cœur léger, dans ma robe jaune, un petit gilet en laine sur mes épaules, je m’avançai vers elle, ignorant Andrew qui se tenait derrière son fauteuil. Son sourire chaleureux trahissait son impatience. Cependant, je pouvais noter qu’elle était toujours aussi radieuse. Ses longs cheveux blonds tombant le long de son visage ovale aux traits fins, effleurant ses épaules dénudées. Elle portait une robe rose poudrée aux larges bretelles, une ceinture de soie encerclant sa taille, une jupe de mousseline dévoilant ses jambes immobiles, ses ballerines reposant sur les cale-pieds de son fauteuil roulant.

Le handicap de Julie était un sujet tabou dans la famille Van Hood. Personne n’osait l’évoquer, pas même Charlie. Ce terrible événement qui avait rendu Julie paraplégique il y a trois ans, quelques mois avant notre rencontre, était un sujet sensible qui réveillait des blessures encore douloureuses. Tout ce que je savais, c’était que sa mère avait eu un accident de voiture, à cause d’un chauffeur ivre et qu’il nourrissait une colère inimaginable envers cet homme. La première fois qu’il m’avait présenté à sa famille, j’avais pu constater que cet incident avait littéralement brisé sa famille. Charlie tentait de faire face, mais son regard trahissait toute la tristesse qu’il éprouvait à voir sa mère dans cet état. Quant à Andrew, à ses côtés, c’était un homme différent. Il était loin de l’homme d’affaire arrogant, froid et calculateur que le monde connaissait. J’avais pu déceler cette fragilité, cette pointe de culpabilité qui le rongeait, à tel point qu’il redoublait d’attention pour sa femme. Ce jour où j’avais fait la connaissance de Julie, il m’avait confié sa main serrant celle de son épouse, que s’il avait été là, s’il n’avait pas fait passer l’entreprise avant elle, rien de toute cela ne serait arrivé.

  Andrew et Charlie s’infligeaient des souffrances indicibles, à la différence de la principale concernée. En effet, Julie ne semblait pas partager leur fardeau, bien au contraire. Jamais je ne l’avais entendu maudire, le responsable de son invalidité. Elle affirmait que cet état était son destin et qu’elle l’avait accepté. Jamais je n’avais connu une femme aussi sage, supportant les affres de la vie avec philosophie. Elle ne se paraissait pas se laisser abattre. Son sourire resplendissait toujours sur ses lèvres fines, ses grands yeux marron pétillaient toujours autant, et ses éclats de rire semblaient trahir un amour profond pour la vie. Cependant, je n’étais pas dupe. À plusieurs reprises, j’avais surpris ces moments d’absence où la tristesse inondait son regard. Ses silences qui cachaient une profonde blessure. Néanmoins, je n’avais jamais osé lui demander où s’égaraient ses pensées dans ces moments, craignant de réveiller des souvenirs bien trop douloureux.

  Je m’avançai donc vers elle, pensant comme à mon habitude, qu’elle ne méritait pas un homme comme Andrew Van Hood, même si elle prétendait le contraire. Pour elle, Andrew était l’homme de sa vie. Aucun ne pouvait rivaliser avec lui. Selon elle, aucun homme n’aurait pu lui donner tout le bonheur, toute la joie qu’il lui avait procuré durant ses quarante ans de mariage. Un soir d’été, sur la plage, les étoiles dans les yeux, elle m’avait raconté cette rencontre qui avait bouleversé sa vie. Cette soirée déguisée à laquelle elle avait été contrainte de se rendre et où elle avait croisé son regard. Elle s’était souvenue, avec tendresse, des heures qu’elle avait passé à cette table devant un verre de jus d’abricot, à parler de tout et de rien avec lui avant qu’il ne l’entraîne au-dehors, rejoignant leurs amis dans cette foule New-Yorkaise qui célébrait la fin d’un millénaire. Elle s’était rappelée, de ce baiser qu’ils avaient échangé sous les feux d’artifices éclatant dans un ciel sombre, les acclamations autour d’elle. Elle n’avait rien oublié de ce nouvel an et des années qui avaient suivis, sans que son amour ne s’efface. Elle aimait son mari, à un point qu’il était difficile de quantifier. Le plus étonnant, était que la réciproque semblait vraie.

   – Regardez qui voilà ! Ma belle Kaylah, se réjouit Julie en me tendant ses longs bras fins.

   – Joyeux anniversaire Julie, chuchotai-je en la serrant contre moi, forçant Andrew à retirer sa main protectrice sur l’épaule de sa femme. Tiens, c’est pour toi, ajoutai-je en sortant de mon sac un petit paquet emballé dans un papier sombre que je posai sur ses genoux.

   – Oh. Mais il ne fallait pas ! Mon Dieu, il est magnifique, s’extasia-t-elle en découvrant le collier en argent avec une perle nacrée couleur ivoire, enfermé dans un écrin de velours noir.

  Elle me remercia en me prenant une fois de plus dans ses bras avant que son fils apparaisse derrière moi. Elle l’étreignit, pendant que je me dirigeais froidement vers Andrew, serrant sa main de toutes mes forces. J’ignorais la rage qui faisait bouillir mon sang dans mes veines, le saluant hypocritement. Dans son pull beige en col V s’associant avec son pantalon chiné noir, il en fit de même. C’est à ce moment-là, que je vis ce corps élancé foncer droit sur moi, ses bras se jetant à mon cou. Prise par surprise, je reculais de trois pas. Pourtant, celle qui m’enveloppait vigoureusement, ne m’était pas inconnue. Je reconnaissais son parfum floral, ses épais cheveux blonds retenus par un élastique, cette silhouette sculptée par des années de gymnastique. Elle finit par se détacher de moi, arborant un immense sourire, semblable à celui de Charlie. Elle avait d’ailleurs ce même nez fin, ces mêmes lèvres charnues, ces joues creusées par les années, ces mêmes yeux en amandes. La seule différence était ses iris d’un marron crémeux.

Cette ressemblance n’était pas banale, puisqu’il s’agissait de la sœur jumelle de mon fiancé. Willow. Dès notre rencontre, nous nous étions tout de suite plu. Elle voyait en moi, la sœur qu’elle n’avait jamais eue. Pour ma part, elle représentait tout ce que je voulais devenir.

  Willow était une vraie tornade de liberté. Elle ne se gênait pas pour dire ce qu’elle pensait, se fichant des conséquences que cela pouvait avoir. À bien des égards, elle était considérée comme la rebelle de la famille Van Hood. D’ailleurs, elle ne se faisait pas prier pour critiquer sa famille. Elle n’hésitait pas à les confronter à leur constante hypocrisie, lassée de voir sa mère souffrir des absences de son père, des secrets que ce dernier cachait, et même de l’admiration aveugle dont faisait preuve son frère envers le patriarche. Elle le décrivait comme le chien de garde d’Andrew, rappliquant à chacun de ses appels, mettant tout en œuvre pour satisfaire le moindre de ses désirs dans l’espoir de recueillir toute l’attention qu’il lui devait. À une époque, il me semblait que ses propos étaient excessifs, désormais, avec toutes mes connaissances, je me demandais si elle n’avait pas tout simplement raison.  

Willow était une jeune femme indépendante qui souffrait du nom qu’elle portait. Elle avait cherché par tout moyen de se détacher de l’emprise patriarcale, avec le souhait de ne pas finir malheureuse comme sa mère. Lorsqu’elle eut seize ans, elle décida de quitter le foyer familial pour suivre ses études en Europe, à l’instar de Julie. Elle commença par étudier à Séville avant de poursuivre ses études de médecine au sein d’une prestigieuse faculté à Paris où elle en sortit avec les honneurs. Par la suite, elle s’engagea en tant que médecin généraliste au sein d’une organisation non gouvernementale, parcourant le monde pour venir en aide aux plus démunis. Après avoir quitté le cocon familial pendant plus de dix ans, elle n’hésita pas à interrompre ses missions pour venir s’occuper de sa mère désormais handicapée. Elle était persuadée qu’un jour la comédie de son père se terminerait et redoutait que sa mère n’en soit que plus vulnérable. À aucun moment, nous pensions que ce jour arriverait si vite.

Aujourd’hui, je ne pouvais m’empêcher de me demander, si elle avait connaissance des sombres projets que partageaient son père et son frère, même si Charlie ne semblait pas avoir conscience des conséquences que cela pouvait avoir.

   – Willow, soupira Andrew agacé par les enfantillages de sa fille, laisse-leur le temps d’arriver au moins.

   – Je suis tellement contente de te voir, avoua-t-elle en prenant mon visage entre ses mains.

   – Allons, rentrons avant que vous n’attrapiez froid, renchérit Julie en frappant dans ses mains.

  Willow m’entraîna avec elle, ne me lâchant pas la main, me posant mille et une question. Nous entrâmes dans la maison baignant dans une chaleur agréable. Nous empruntâmes le petit corridor qui s’achevait sur un escalier en verre, sur lequel était installé le long de la rambarde un siège pour que Julie puisse y accéder. Sur notre gauche, se trouvait la salle à manger avec au centre une longue table en érable qui pouvait vraisemblablement accueillir une dizaine de personne. La pièce était assez grande, les murs peint en beige supportaient quelques photos de famille dans des cadres sombres, une baie vitrée donnant sur une partie du parking et de l’allée principale qui menait jusqu’à la maison. Face à elle, à notre droite, le séjour, où les cloisons blanches se mariaient parfaitement avec les planches de parquet claires. C’était un endroit spacieux avec dans le fond une cheminée en pierre aux mille nuances de gris, qui portait en son sein un feu crépitant derrière une vitre sombre. Dans un coin, trônait fièrement un piano à queue immaculée, devant une autre baie vitrée qui offrait une vue sur l’autre parcelle du terrain. Contre un pan de mur, une imposante bibliothèque supportait divers ouvrages. En longeant celle-ci, sur la gauche, se trouvait l’entrée de la grande cuisine fonctionnelle avec son îlot en marbre gris, ainsi que sa porte vitrée coulissante, permettant d’accéder à la terrasse et son salon de jardin. C’était aussi par ce chemin, que nous avions l’habitude de passer pour rejoindre la plage. Seulement le froid de cette fin de mois d’octobre, nous contraignait à rester à l’intérieur.

 Charlie, Willow et moi-même prîmes place sur le canapé d’angle en cuir ivoire, devant la table basse en verre, nos pieds reposant sur un tapis moelleux gris clair. Andrew s’assit sur son fauteuil face à nous, aux côtés de sa femme, pendant que Juanita disposait devant nous l’apéritif. Juanita était la gouvernante des Van Hood. Willow la considérait comme sa seconde mère. Elle avait toujours veillé à ce que toute cette famille vive sereinement. Il y avait d’ailleurs une belle complicité entre ces trois femmes. Nous pouvions sentir l’amour qui les liait. Julie considérait Juanita comme sa sœur, et cela était réciproque. Néanmoins, il fallait admettre que Juanita n’était plus toute jeune. Elle avait bien une soixantaine d’années, ses pieds étaient usés, son dos cassé, ses cheveux bruns étaient devenus blanc, son visage jovial marqué par les rides du temps et ses yeux bleus se voilaient de temps à autre de la tristesse des âges. Plusieurs fois Julie et Willow lui avaient proposé de rendre son tablier, mais elle n’avait jamais voulu. Les Van Hood étaient sa véritable famille et sans eux, elle n’avait nulle part où aller. Elle discuta donc brièvement avec nous avant de s’éclipser en cuisine pour surveiller la cuisson de ses plats.  

   – Andrew m’a dit que tu étais en train de réaliser une enquête sur les vétérans de guerre ? me demanda Julie, la main de son mari posé sur sa cuisse.   

   – Oui, c’est très intéressant. Après, c’est beaucoup de travail, donc je n’ai pas vraiment le temps de me reposer, répondis-je, assise entre Charlie et Willow qui dévoraient les petits fours, chacun leurs tours.

   – C’est moi maintenant qui suis tout seul, ajouta Charlie, la bouche pleine. 

   – Dis-toi que je vis la même chose avec ton père. Il n’arrête pas de me promettre que sa retraite est pour bientôt, mais ça fait trois ans que je suis toute seule dans cette maison, renchérit-elle lançant un regard lourd de reproche à son mari.

   – Julie…soupira-t-il tandis que Charlie baissait les yeux.

   – Sympa pour moi, maugréa Willow, faussement blessée par la confession de sa mère.

   – Chérie, tu vois très bien ce que je veux dire. Il serait grand temps que ton père prenne sa retraite et que toi, tu te trouves un mari.

   – Oh, merci, maman de me voir comme une femme désespérée, répliqua-t-elle sur un ton sarcastique.

   – Julie, on en a déjà parlé. Il me faut régler les derniers détails avant que Charlie prenne la relève.

   – Ce n’est plus qu’une question de mois, maman, assura ce dernier.

   – Oui, enfin, j’espère que tu ne délaisseras pas ta future épouse, comme le fait ton père.

   – Sinon, ma chère Kaylah, une vie malheureuse et solitaire t’attend, ajouta Willow en faisant les gros yeux, ce qui me fit sourire.

   – Willow ! s’exclama Andrew sur un ton autoritaire.

   – Quoi ?! C’est la vérité, non ? s’emballa Willow en défiant son père une nouvelle fois.

   – Mais quand vous dîtes quelques mois, c’est-à-dire ? osai-je demandée en regardant tour à tour Andrew et Charlie.

   Seulement aucun des deux n’eut le temps de répondre. Quelqu’un venait de frapper à la porte. Tous se turent, saisis par la stupéfaction. Je ne manquais pas de remarquer le visage brusquement blême d’Andrew qui se cramponnait à son siège.

     – Tu attends quelqu’un ? demanda Julie en se tournant vers son mari.

     – Non, répondit ce dernier sur un ton laissant supposer qu’il ne savait rien, bien que mon instinct criait au mensonge.

     – J’y vais, assura Willow en sautant du canapé avec l’agilité qui la caractérisait.

   Nous restâmes silencieux, épiant le moindre bruit. Juanita se tenait à l’entrée de la cuisine, visiblement tracassée aussi. Nous écoutâmes les talons de Willow claquer sur le sol avant de s’arrêter devant la porte. Nous entendîmes le cliquetis de la serrure, puis la porte s’ouvrir effleurant le carrelage dans l’entrée. Il ne restait plus que quelques secondes avant qu’une tempête ne s’abatte sur la famille Van Hood.

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Note de l’auteur : En raison d’un déménagement, la publication des chapitres est momentanément perturbée. Cela dit à partir du 15 juin, je publierais de manière plus fréquente. En attendant, si cela vous plaît continuez de partager autour de vous, de réagir et de me suivre sur les réseaux sociaux. Bonne journée à vous tous !

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