Simulation (partie 3)

4 mins

Les premières gouttes de pluie s’abattaient frénétiquement contre les rails. De minuscules missiles, dont le cliquetis monotone avait fini par éclipser le bourdonnement citadin. Et la masse de tôle, épuisée, continuait d’encaisser les assauts, à l’instar de mon brushing de chez Dessange.

Encore quelques secondes et j’allais plaider coupable. Une femme avec des frisettes sur la tête mérite d’aller en prison.

Plusieurs minutes s’écoulèrent.

La pluie avait doublé d’intensité. Tout comme mon impatience.

Aucun policier n’avait franchi le seuil de la gare et mon manteau de vison ressemblait à un chat tout droit sorti d’un bain surprise. Les deux hommes n’étaient pas en reste, leurs visages enjoués, laissaient place à une mine déconfite, à mesure que l’horloge de la gare invitait ses aiguilles à se rapprocher de midi. Le message était limpide : la pause déjeuner à plus de valeur qu’un simple accident de valise.

C’est alors qu’une voix féminine annonça l’entrée en gare du TGV 8856 en provenance de Montpellier Saint-Roch, voie C. Consécutivement, le conducteur décroisa ses bras imposants, se pencha, puis s’approcha de l’oreille de son acolyte comme s’il allait délivrer un message de la plus haute importance. De son côté, la main sur son bouc, le petit agent effectuait des va et bien autour de ses lèvres, acquiesçant vaguement les paroles du conducteur. Le grand gaillard marqua une pause, puis jeta un coup d’œil vers l’entrée principale où des dizaines de voyageurs se précipitaient vers le panneau d’affichage.

A peine eut-il repris, que des cris résonnèrent sur le quai d’en face. Des groupes d’enfants, excités à l’idée de s’échapper de la capitale, éclataient en petit duo et se faufilaient entre les voyageurs, durant leur descente. Les parents, la figure ruisselante et les mains vissées sur des chariots trop petits pour des valises aussi monstrueuses, tentaient de suivre leur progéniture, leur intimant l’ordre de s’éloigner des rails.

« Lucien, écoute moi bon sang ! Les flics ne viendront pas ! Steve est à quai avec les parigos et l’aiguillage doit être actionné dans moins de deux minutes. Faut se magner, hurla-t-il.

Son acolyte répondit par l’affirmative, en continuant de caresser ses tympans endoloris.

Pour ma part j’essayais de réunir les morceaux du puzzle ferroviaire : selon toute vraisemblance, le TGV à destination de Montpellier avait pour mission de déposer exceptionnellement des passagers en gare de Lyon, d’où la présence de tous ces voyageurs, puis de repartir en direction de la région Héraultaise, après notre départ pour Bordeaux. Cependant, comment faire pour que deux localités profondément éloignées soit desservies depuis un même embranchement ? L’homme au regard sévère a parlé d’« aiguillage ». En effet, il a sûrement besoin d’être ajusté de sorte que nos deux TGV puissent bifurquer: l’un vers le sud ouest, l’autre vers le sud est, et, doit être actionné une fois que notre TGV sera hors de la gare.

D’un coup, une vague de chaleur me parcouru l’arrière du crâne, et me fit réaliser qu’à force d’attendre la police, mes deux geôliers en avaient abandonné leur poste respectif, si bien que des dizaines de voyageurs se retrouvaient prisonniers de leur inaction.

« Messieurs, avez-vous des nouvelles du commissariat », demandais-je en glissant une mèche de cheveux humide derrière mon oreille, tandis que mon esprit jubilait.

Les deux hommes paraissaient décontenancés.

« Êtes-vous joyeux à l’idée de bloquer deux trains surchargés ? »

Et avant même que mes lèvres atteignent le bord de mes pommettes satisfaites, Bill, dont l’odeur s’apparentait à celle d’un chien mouillé, attrapa mon bras et me secoua de la même façon que l’on calme un enfant arrogant. Il s’excusa ; les deux cheminots nous demandèrent de les suivre vers le lieu de l’incident.

Debout sur la plateforme, située à une trentaine de centimètres au dessus du quai, les deux hommes m’ordonnaient d’activer le mouvement. Lorsque les dernières affaires intimes furent rangées dans la valise, je la déposai sur le quai. Aussitôt, Bill, resté près de mes tortionnaires, s’en saisit, puis me souleva tel un monte charge. Une sensation de brûlure se répandit autour de mes aisselles. Aucun son ne sortit de ma bouche, malgré l’inconfort. Un silence qui durait depuis des mois.

Tout aussi silencieuse, notre escorte cheminesque, nous accompagna jusqu’à notre voiture, au pas de charge.

D’une main je tentais de gravir l’escalier de tôle, dont les marches ressemblaient à des pataugeoires.

« Monte, je te fais passer tes affaires », fit Bill.

« Tu sais je suis vraiment contente que tu viennes passer ce week-end avec nous, dis-je, en lui tendant ma main disponible. Seul un courait d’air froid me caressa la paume. En me retournant, j’aperçus la valise contre la porte.

« Bill, que fais-tu ?

-Je ne monte pas Missi », dit-il embarrassé.

«Qu’est ce que c’est que cette histoire ? »

-Je…..ne….. enfin…. Il me semble que tu vois où je veux en venir.

C’est alors que la masse de fer vrombit de nouveau.

-Non, Bill, je ne vois pas ! Tu sens bien que nous sommes en train de partir, dis-je d’un ton furieux.

-Elle sait, fit-il sèchement.

Un long silence.

« Elle est au courant pour nous.

-Ce n’est pas possible !

Comme il ne disait rien, je repris :

« Je te rappelle que j’ai fait exactement ce que tu m’as dit : j’ai attendu qu’elle soit suivie par quelqu’un ; qu’elle aille mieux…. C’est horrible ce que tu m’as fait subir Bill.

Il ferma les yeux et se massa les tempes.

« C’est une situation compliquée.

-Tu mens, dis-je hors de moi, Tu n’as jamais eu le courage de la quitter ! Appelle la ou c’est moi qui te quitte.

Un silence.

– Elle m’a flanqué à la porte la nuit dernière.

Une douceur exquise me parcouru le visage puis se répandit autour de mes yeux humides.

« Mes mots ont dépassé ma pensée. J’ai de quoi t’aider.

-Tu ne comprends pas, on ne parle pas d’un billet de train pour le week end. Le compte commun est bloqué. J’ai reçu un appel d’un de ses avocats ce matin : elle demande le divorce: l’appartement est à elle, tout comme les cliniques. Seigneur, et mes enfants !

Les battements de mon cœur ne cessaient de grimper les montagnes russes.

« Tu veux dire qu’à partir d’aujourd’hui, aucune transaction ne sera validée par la banque ? »

Il secoua la tête en silence.

Cette fois-ci mes joues s’enflammèrent. Le prochain virement pour les frais d’hospitalisation d’Aline devait s’opérer demain.

« Nous allons trouver une solution, dis-je pour calmer le jeu. Allons voir Aline à Bordeaux ça nous fera du bien.»

– Tu n’écoutes rien. Il n’existe plus de nous Missilia. La fête est finie.

Une nouvelle décharge électrique me parcouru l’échine.

J’avais envie de lui dire combien c’était un gros porc, un salaud, mais la sonnerie de son téléphone me coupa dans mon élan.

Il le sortit de sa poche, puis balaya la gare d’un regard inquiet.

«Je dois partir : une urgence à la clinique. »

C’est alors qu’il s’en alla : sans un baiser, ni au revoir.

Et la porte du wagon se referma, sans un mot.

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