Hors du temps – 1ère partie – 1 – Situation de départ décembre 1992

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Situation de départ décembre 1992 

    Le 20 décembre Margaux avait fêté toute seule ses 23 ans, je n’avais pas pu me libérer pour être à ses côtés, je travaillais. Cependant en fin de semaine, elle devait tous nous rejoindre, sa famille, ses amis, à Lyon pour Noël. Elle aurait dû ignorer, que nous lui avions organisé une petite fête d’anniversaire surprise, mais quelques indiscrétions lui avaient permis de l’apprendre. Nous nous étions mises d’accord Margaux et moi pour qu’elle simule un étonnement total car tous ceux impliqués dans l’organisation de cette soirée auraient été déçus dans le cas contraire et Margaux ne voulait pas leur retirer le plaisir de constater sa surprise.

    Cela faisait six mois que Margaux vivait dans le département de l’Hérault, après une histoire un peu bizarre avec un garçon qui devait l’épouser et qui le jour du mariage avait disparu. Depuis Margaux avait souhaité changer de vie, de ville, de travail, en fait elle avait tout changé dans sa vie.

    Voilà pourquoi en juillet de cette année-là, elle s’était installée à Carnon, une petite ville près de Montpellier, mais néanmoins suffisamment éloignée de la vie trépidante qui régnait dans les grandes villes. Elle aurait pu choisir Paris, cette mégapole où tout le monde est anonyme, c’est ce qu’elle recherchait en fuyant Lyon ; Paris lui rappelait trop de mauvais souvenirs… Elle avait donc loué un appartement en colocation dans une petite maison qui donnait sur la plage, et elle était ravie. Sa colocataire travaillant de nuit, elles ne feraient que se croiser ; et elle n’empiéterait pas sur le calme que recherchait Margaux. La solitude était devenue son lot quotidien depuis ce fameux jour.

    Elle avait eu si mal le jour où Marc ne s’était pas présenté à la mairie. Elle avait cru tout d’abord à un accident. Elle l’avait cherché partout, dans les hôpitaux, les cliniques, elle s’était adressée à la police qui ne semblait pas vraiment s’inquiéter ; un futur mari qui décampait juste avant de se passer la corde au cou était pour eux monnaie courante. Margaux leur avait pourtant expliqué qu’ils s’aimaient et que c’était Marc lui-même qui avait souhaité se marier, rien n’y avait fait. Après deux semaines, elle avait dû se rendre à l’évidence Marc avait disparu. Même s’il avait eu un empêchement majeur le jour de son mariage, il aurait dû réapparaître, s’expliquer. Mais non !!! Elle devait désormais se rendre à l’évidence.

    Comme nous avions tout organisé avec sa mère, nous avons dû nous charger de toutes les démarches, l’annulation de la réception, rendre les cadeaux. Les invités étaient repartis comme ils étaient arrivés. Les parents de Margaux ne comprenaient pas ce qui avait pu se produire et ils étaient persuadés que Marc avait dû avoir un problème grave. La mère de Margaux était catastrophée, bien plus que sa propre fille qui pourtant était celle qui s’était retrouvée plaquée. Ce jour-là avait dû être pénible pour ma meilleure amie. Néanmoins j’étais presque certaine qu’elle n’avait pas été si surprise. Ce mariage était pour elle un refuge, lui permettant de tracer un trait sur son passé, ce passé si inavouable …. Pour commencer une nouvelle vie.

    A partir de cette terrible date du 22 Mai 1992, tout s’était à nouveau déréglé, Margaux avait 22 ans. Et en plus d’avoir raté son mariage, elle avait perdu son travail, plus précisément, elle avait remis sa démission. Certes ce boulot n’était pas ce à quoi elle avait toujours rêvé, au moins il avait le mérite de la faire vivre. Elle gagnait bien sa vie et bénéficiait même d’un certain nombre d’avantages qui lui permettait de faire ce qui lui plaisait, en fait elle n’avait aucun passe-temps en dehors de son travail. Il était certain qu’en choisissant le métier qu’elle exerçait, elle avait dû faire une croix sur ce qu’elle s’était promis de devenir durant toute son adolescence.

    A l’époque, Margaux était passionnée d’art, et plus exactement de photographie. Elle avait énormément de talent aux dires de Monsieur Ming, son professeur des Beaux-Arts avec qui elle avait suivi en parallèle de sa scolarité un cursus « l’Art dans l’image ». Monsieur Ming était un professeur de photos extraordinaire, d’après Margaux, il avait participé à de très nombreuses expositions et avait gagné bon nombre de prix. Il croyait beaucoup en Margaux, et lui avait prédit une belle carrière. Après son bac, elle s’était inscrite aux Beaux-Arts de Lyon et, grâce à son aide, elle avait obtenu une bourse d’études pour aller aux Etats-Unis faire sa deuxième année. Son dossier avait d’ailleurs été accepté. Puis du jour au lendemain, en cette fin novembre 1987 Margaux avait disparu durant un an sans que personne ne puisse la localiser. En décembre 1988, elle était réapparue sans explication. Ce qu’il s’était produit entre temps l’avait transformée définitivement. Elle n’était plus la jeune fille heureuse, souriante, fêtarde qu’elle était à l’époque juste avant sa disparition. On avait eu l’impression qu’elle avait tout oublié de son passé telle une amnésique après un accident. Ses parents avaient été tellement heureux de son retour qu’ils n’avaient pas voulu l’obliger à donner d’explications. Ils s’étaient d’ailleurs opposés aux policiers qui voulaient savoir où elle était passée et ce qui lui était arrivée. Durant près d’une année, le père de Margaux les avait harcelés pour qu’ils poursuivent leurs recherches. De fait, à son retour, ces derniers estimaient être en droit d’avoir des explications. Là encore, son père avait été très stricte. Il n’avait laissé personne perturber sa fille. Personne, pas même moi, Sonia, sa meilleure amie. Nous nous étions cependant retrouvées mais j’avais l’impression qu’elle me cachait quelque chose, une chose qui la terrifiait. J’avais bien essayé d’aborder le sujet, mais c’était toujours la même chose, elle fuyait et refusait d’en parler. Nous étions toujours amies, pourtant dès son retour, elle n’avait plus été tout à fait la même. Parfois je la voyais agir si différemment de ce qu’elle faisait à l’époque que j’avais l’impression d’être en face d’une étrangère. Elle n’avait plus jamais voulu faire de photos, ce qui me paraissait incroyable. Elle se laissait porter par les choses. En janvier 1990, Margaux allait avoir 20 ans lorsqu’elle décida de travailler dans une banque. Avec le recul, j’ai du mal à imaginer Margaux derrière un guichet, mais c’était son choix. Elle n’en avait pas fait depuis si longtemps que tout le monde fit semblant de le valider. Chaque matin elle se rendait à son travail, chaque soir elle en revenait ni réjouie ni attristée, et semblait s’en contenter. Six mois après Marc avait été embauché comme assistant de la DRH. De fil en aiguille, ils s’étaient fréquentés puis installés ensemble au bout de six mois, c’était en décembre 1990. Marc fou-amoureux avait voulu officialiser leur union. Margaux suite à ses demandes répétées, et après deux ans et demi de vie commune, avait cédé. Je ne savais pas si elle était réellement amoureuse de Marc. Lorsque je lui avais demandé pourquoi elle voulait se marier, elle m’avait répondu qu’il était gentil, patient, qu’il la gâtait et par-dessus tout, il lui faisait oublier tout le reste…

    Qu’était-ce «le reste » ? Ils devaient se marier en mai 1992 ; puis du jour de son mariage raté, elle avait fui encore une fois. Au moins savions-nous tous où elle était partie.

    Dès son installation dans l’Hérault, j’étais venue la voir à plusieurs reprises. Je l’avais aidée à faire son déménagement bien qu’elle ait loué un meublé en colocation. Je devais avouer que la vue sur la plage était plutôt exceptionnelle surtout pour moi qui n’avais jamais quitté Lyon mis à part les quelques voyages que nous avions faits avec ses parents. Contrairement à Margaux, j’étais d’un milieu très modeste, habitant dans une des tours de la Duchère en périphérie de Lyon, un quartier pas très chouette. A l’époque je vivais avec ma mère. Je me demande encore comment nous avons fait pour nous rencontrer et devenir des amies.

    Des amies si proches, qu’en septembre 87, grâce à elle, j’entreprenais ma première année à la faculté de médecine avec enthousiasme. Dès la disparition de Margaux deux mois plus tard, je n’avais plus eu d’entrain, de goût, de motivation pour quoique ce soit, et encore moins pour mes études. Je devais reconnaître que sans Margaux, la vie n’avait pas le même sens. C’était elle qui me permettait de me dépasser, de croire en moi. C’est à cette période que j’ai commencé à écrire tout ce qui me passait par la tête, sans doute parce que les longues conversations que nous avions eues ensemble toutes ces années me manquaient, et créaient en moi un vide comme je n’en avais jamais ressenti auparavant, même à la mort de ma mère. C’est terrible à dire mais c’est la pure réalité. Depuis que j’avais rencontré Margaux, elle m’avait redonné goût à la vie, comme si ce jour-là j’avais choisi de renaître à nouveau pour ne me souvenir que de ce qu’il allait se produire à partir de cet instant. J’en avais presque oublié d’où je venais, et qui j’étais avant de croiser son chemin. Cette année sans elle avait été un échec total pour moi jusqu’au jour où Margaux était revenue. J’avais même espéré un temps que tout allait reprendre comme avant, que nous allions redevenir les meilleures amies du monde, « les inséparables » comme le disaient ses parents. Nous étions restées amies mais plus rien n’était pareil. A l’époque Margaux aurait certainement refusé que j’abandonne mes études de médecine, ou que je baisse les bras, elle m’aurait obligée à refaire une seconde première année, pas cette fois. Quand je lui avais annoncé que j’entrais à l’école d’infirmières, elle avait acquiesçait sans plus. Elle-même ne voulait plus reprendre les Beaux-Arts, elle s’était mise dans la tête d’arrêter ses études pour travailler dans une banque. Nous étions si proches avant, que je ne comprenais pas ce qui avait pu se passer durant l’année où Margaux avait disparu. Elle refusait de se confier, même à moi. Depuis son retour, elle était différente comme si elle avait oublié une partie de son passé, un peu comme j’avais pu le faire avec le mien. C’est aussi pour cette raison que je n’avais pas voulu la forcer à parler. Je savais trop combien il est difficile d’évoquer ces moments qui nous remettaient en mémoire des événements pénibles.

    Et voilà comment depuis septembre 1988, je suivais des études d’infirmières à l’Institut de Formation en Soins Infirmiers à Lyon dans le 7ème arrondissement. J’avais décidé de préparer toute seule mon concours infirmier l’année de la disparition de Margaux. C’était en grande partie grâce Marilyne, la mère de Margaux que j’avais participé aux portes ouvertes de l’IFSI, puis j’avais passé le concours en mars, et j’avais eu les résultats en juin juste avant le retour de Margaux.

    De son côté elle avait « glandouillé » pendant quelques mois, passant l’essentiel de son temps dans sa chambre. Ses parents ne savaient plus vraiment quoi faire cependant ils ne voulaient surtout pas la brusquer. J’étais d’un avis contraire mais je ne voulais pas être en désaccord avec eux. Je les aimais beaucoup. Ils avaient été si adorables avec moi, encore plus à la disparition de Margaux. Ils avaient reporté sur moi toute leur l’affection, j’avais rempli un vide qui leur était insupportable. Depuis le retour de leur fille, au lieu d’avoir retrouvé leur joie de vivre, je les voyais encore plus malheureux qu’avant. Ils étaient déroutés. Souvent nous parlions de Margaux avec sa mère pendant qu’elle se retranchait dans sa chambre durant des heures sans adresser la parole à aucun d’entre nous. Marilyne aurait parfois aimé que je fasse quelque chose, d’un autre côté elle avait peur que si je la bousculais trop, elle s’enfuit à nouveau. La situation était insoluble pour moi. Ce fut à ce moment-là que Margaux se décida à travailler dans une banque où elle rencontra Marc. Je devais reconnaître qu’il était sympathique mais je pensais qu’il n’était pas fait pour elle. Ils étaient totalement opposés. Bien qu’un dicton prétende qu’en amour les opposés s’attirent, l’avenir devait nous prouver le contraire.

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