Photo et montage Mahé
Les feuillets
Stéphanie comme chaque matin regagnait sa maison d’éditions en vélo. Elle arrivait toujours la première et partait toujours la dernière. Sa vie toute entière tournait autour de son travail. Elle adorait ce qu’elle faisait et arrivait à transmettre à tous ceux qu’elle croisait cette passion qui animait sa vie. Elle allait avoir 20 ans et depuis qu’elle était enfant, les livres la fascinaient, ils représentaient pour elle toutes les merveilles que le monde pouvait lui offrir. Ils lui permettaient de voyager dans des mondes si extraordinaires qu’ils la faisaient rêver. Toute petite déjà, elle réclamait à sa mère, dès que cela était possible, de lui lire une histoire. Puis très vite dès qu’elle fut en âge de lire toute seule, elle s’était réfugiée dans des histoires qui se terminaient toujours par une fin heureuse. Était-il possible qu’elle cherche à oublier ce qu’elle avait vécu alors qu’elle n’avait pas tout à fait trois ans, c’était une éventualité que Sophie, sa maman, n’avait pas exclue. Elle avait certainement tant de choses à dire qu’elle n’avait pourtant jamais exprimées. À maintes reprises, Sophie fit de nombreuses tentatives restées infructueuses. Ce fut la raison pour laquelle, sa maman lui consacrait l’essentiel de son temps libre, infiniment plus qu’à son petit frère qui bien que turbulent, n’en n’était pas moins épanoui. Tous ceux qui le connaissaient, trouvaient qu’il s’exprimait pour eux deux. Stéphanie n’avait aucune raison de s’exprimer, son frère le faisait pour elle. Ce fut un des motifs qui poussa Sophie à accepter la proposition de la maîtresse de Stéphanie de la faire participer à sa première classe de neige tandis qu’elle n’était encore qu’en CM1/CM2. Ces quinze premiers jours loin de sa famille furent pour elle l’occasion d’écrire ses premières impressions de voyage sur un cahier à pages roses que lui avait offert sa maman. Par la suite, en entrant en 6ème, les mots la faisaient tant rêver qu’elle avait voulu écrire à son tour ses propres histoires cependant elle était si exigeante que rien de ce qu’elle produisait n’avait une quelconque valeur à ses yeux. Adolescente, sa mère se chamaillait parfois avec elle quand elle jetait systématiquement les nouvelles qu’elle écrivait. Maintes Sophie avait fait du tri dans la poubelle de sa fille pour recueillir les pages qu’elle avait froissées et jetées. Sophie avait même caché dans sa chambre au fond d’un placard un carton sur lequel il était inscrit « A conserver » sans autre indication. Et régulièrement avec énormément de discrétion, elle alimentait celui-ci des pages griffonnées par Stéphanie. Souvent ces feuillets regroupaient deux, trois ou quatre pages, qu’elle prenait soin de défroisser et d’agrafer ensemble. Or elle avait surpris sa fille à jeter des nouvelles d’une dizaine de pages parfois beaucoup plus. Sophie aurait tant aimé les transmettre à un éditeur ou un rédacteur pour qu’il puisse lui donner son avis. Néanmoins elle n’osait pas le faire, elle aurait eu l’impression de trahir sa fille. Elle s’en voulait parfois tellement pour ce qu’elle faisait en cachette, en fouillant la corbeille, toutefois elle prenait soin de ne garder que les feuillets roses sur lesquels Stéphanie avait pris l’habitude de rédiger ses textes et seulement ceux-là. A aucun moment elle n’avait pris d’autres documents. Stéphanie faisait acheter régulièrement à sa mère ces ramettes de feuilles roses. Un jour sa maman lui avait demandé pourquoi elle utilisait ces feuilles de couleur rose et non pas les blanches sur lesquelles elle faisait ses devoirs ou d’autres choses encore. Stéphanie lui avait tendu le cahier à feuilles roses qu’elle lui avait offert lorsqu’elle était partie en classe de neige tandis qu’elle n’avait que neuf ans et demi. Sophie avait supposé que ce ton pastelle favorisait son inspiration, quand bien même au bout du compte, elle jugeait bien médiocre ce qu’elle y notait. Sans doute ne voulait-elle pas mélanger les textes qu’elle inventait avec le reste de ces notes, que ce soit pour l’école ou des choses plus personnelles. De ce fait Sophie ne pouvait pas se tromper, néanmoins elle se sentait un peu coupable et indiscrète. Pourtant elle n’avait jamais lu aucune des pages qu’elle mettait de côté ou qu’elle laissait dans sa corbeille à papier. La plupart du temps, Stéphanie aimait faire lire ses histoires à sa maman, elle savait combien sa proposition lui faisait plaisir cependant jamais elle n’avait attendu en retour ses impressions sur ses textes, elle savait trop ce qu’elle lui dirait. Tout au long de ces années, Sophie avait rempli un premier carton puis un autre et encore un autre sans jamais éveiller les soupçons de quiconque. Elle espérait trouver le bon moment pour offrir tous ces cartons à sa fille et peut-être pouvoir espérer les lire un jour avec elle. Durant toutes ces années, elle avait eu cette impression qu’un jour peut-être, tous ces textes pourraient aider sa fille ou simplement lui faire plaisir. Sophie ne savait au juste pourquoi elle avait agi ainsi néanmoins elle sentait au plus profond de son être qu’elle devait le faire.
Durant toute sa scolarité et jusqu’au passage de son bac, Sophie poursuivit sa quête des feuilles chiffonnées. Stéphanie à l’inverse de son frère n’avait jamais voulu s’éloigner de sa maman. Puis Stéphanie était partie poursuivre ses études à la faculté de lettres de La Rochelle et ce ne fut qu’après être rentrée en maîtrise lorsqu’elle trouva un travail dans cette petite maison d’édition qu’elle avait pris un petit studio dans lequel elle ne vivait que la semaine. Le week-end, la plupart du temps, elle rentrait chez elle à la Flotte où elle avait toujours vécu avec sa maman et son frère avant qu’il ne prenne lui-même aussi ses quartiers sur La Rochelle où il se plaisait infiniment mieux que sur l’île. Il avait eu l’impression d’être totalement isolé du monde sur l’île, ainsi à la fin de son CM2, il n’était encore qu’un « petit » garçon, il avait demandé à sa mère d’être interne.