De retour chez Marie
Quelques brefs coups de sonnette avaient fini par réveiller Marie. Qui diable pouvait-il venir si tôt sonner à sa porte un samedi matin. Et c’est en jetant un œil sur le réveil qu’elle s’aperçut qu’il n’était pas tôt du tout. Onze heures, cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas dormi aussi tard. Alors qu’elle enfilait un jogging, la sonnette de son interphone se remit à tintinnabuler de plus belle. Marie déclencha l’ouverture de la porte après avoir entendu son fils l’interpeller. Cette fois-ci la porte d’entrée se mit à trembler tandis que son fils tambourina pour une ouverture plus rapide ….
– Une minute, j’arrive, dit Marie en se tenant les tempes tant le tintement bourdonner dans sa tête.
Instinctivement elle regarda à l’œilleton, elle vit son fils lui faire une grimace.
– Alors, Mamoune, qu’est-ce que tu faisais ? Tu es seule ? Tu viens de te réveiller ou quoi ? Tu as fait quoi hier pour avoir dormi si tard, ce n’est pas ton habitude. Tu as bu hier ou quoi ? Tu as une sale….
Jules ne lui laissa pas l’occasion de répondre et tandis qu’il l’interrogeait tel un inspecteur de police soupçonneux, il faisait le tour de son appartement ; son attitude s’apparentait à une véritable inspection, aucune pièce ne fut épargnée, même les toilettes, tant et si bien que Marie dut lui demander s’il cherchait quelque chose.
– Non, non, je m’inquiète juste pour toi, tu vas bien ?
– Oui, mon cœur, que t’arrive-t-il ?
– Je viens chercher mes affaires, je n’ai pas eu une seconde hier et j’en ai besoin ce week-end.
C’est le moment qu’il choisit pour la serrer dans ses bras, l’embrasser tendrement, lui dire enfin bonjour et la remercier pour son linge. Elle aurait aimé lui demander pourquoi dès lors où il s’était installé avec sa petite amie et qu’ils avaient acheté une machine à laver le linge, il continuait encore à lui donner son linge à laver. Elle aurait aimé savoir si Stéphanie donnait son linge à laver à ses parents, elle aussi. Mais elle s’abstint, et lui fit juste remarquer qu’elle avait consolidé quelques boutons branlants, recousu une emmanchure prête à céder et repris l’ourlet de son pantalon noir. Ce qu’elle avait fait, lui avait valu un « Je t’aime Mamounette ». Elle savait qu’il l’aimait, c’était cependant tellement agréable de l’entendre le lui dire à chaque fois, même si parfois elle aurait aimé l’entendre à d’autres moments que lorsqu’il la remerciait pour quelque chose qu’elle lui avait faite. Elle exagérait sans doute un peu mais il était vrai qu’il fut une époque où elle entendait ses petits mots d’amour dès qu’ils se croisaient, matin, soir, pour un oui et pour un non. Désormais une autre femme avait cette chance d’entendre susurrer à son oreille ces mêmes petits mots d’amour. Ceci était un cycle normal, les parents avaient des enfants qui devenaient à leur tour eux-mêmes des parents puis des grands-parents. Entre chaque génération l’amour restait pourtant il évoluait en fonction de l’arrivée d’un conjoint qui pouvait soit à tisser des liens encore plus forts avec la famille, soit à les éloigner… Les conjoints n’étaient pas les seuls à influencer ces liens, les événements de la vie de chacun laissaient une empreinte qui renforcerait ou pas cet amour. Les enfants de Marie trouvaient leur père un peu trop envahissant et vindicatif et par-dessus tout trop paternaliste. Il est vrai que son mari était un homme très consciencieux, très exigeant et surtout persuadé qu’il avait la responsabilité de prendre en charge l’organisation matériel, la logistique de la famille même une fois que les enfants avaient grandi. Il n’avait pas su voir que ses aînés étaient devenus presque des adultes susceptibles de prendre leurs propres décisions. Parfois cette attitude agacée son fils et il n’avait pas toujours été tendre avec son père à ce sujet juste avant qu’il ne disparaisse. Ce n’était sans doute pas facile à vivre aujourd’hui avec le recul et désormais sans s’en rendre compte, il avait lui-même cette attitude vis-à-vis de sa propre mère. Sa réaction de ce matin en témoignait parfaitement, Marie le laissait faire, elle aimait qu’il s’immisce un peu dans sa vie. Il fut un temps où ils étaient si proches que la distance qu’il avait mise dès qu’il était entré en classe préparatoire et qu’il devenait chaque jour davantage un jeune adulte la rendait parfois nostalgique, elle regrettait sa complicité passée mais elle comprenait aussi cette distance.
Avant de repartir avec toutes ses affaires, il prit quelques minutes pour boire avec elle un petit café. Il en profita pour lui poser avec beaucoup d’habileté quelques questions sur ce qu’elle avait fait la veille, et sur ce qu’elle prévoyait de faire à propos de son voyage en Scandinavie, si elle partait seule ou accompagnée, questions dans lesquelles, il n’hésiterait pas à impliquer ses sœurs comme si tous les trois s’étaient rendu compte de son indisponibilité de ces dernières semaines. Avant même qu’elle lui réponde, il précisa qu’ils trouvaient tous les trois normal qu’elle se change les idées. Marie reconnaissait ici parfaitement son fils et sa diplomatie. Elle le remercia pour toute sa sollicitude et lui promis de le tenir au courant. En lui précisant à son tour que leur oncle l’accompagnerait vraisemblablement en Scandinavie, elle le sentit à la fois rassuré et surpris, peut-être souhaitait-il qu’elle lui annonce son départ avec un beau et séduisant inconnu.
La fin de la journée se déroula sans surprise et, même si Marie savait que Max était en déplacement, elle espérait malgré tout un appel de sa part. Le jour suivant dans l’après-midi son frère était arrivé et elle s’était confiée à lui. Lorsque qu’ils parlaient ensemble, elle en éprouvait intérieurement une grande joie. C’était la seule personne avec laquelle elle parlait sans retenue, sans complexe et sans crainte qu’il ne la juge. Les examens médicaux passés, elle attendit patiemment les résultats en sa compagnie. Le rythme de sa semaine s’en trouva un peu moins routinier qu’à l’habitude. Elle prit le temps de rentrer déjeuner avec son frère et elle tâcha de ne pas s’éterniser à l’agence pour aller se promener comme ils aimaient tant le faire. A l’époque où tous les deux vivaient en région parisienne, tous les samedis soir s’il faisait beau, ils allaient marcher en bord de Seine et en profitaient pour parler longuement de la vie. En règle générale, son époux les laissait seuls tous les deux, jamais il n’avait fait de remarque à ce sujet, il savait combien l’un et l’autre avait besoin de cette complicité. A partir de son installation dans le sud de la France, ces moments uniques avaient énormément manqué à Marie. Certes, elle avait quelques amis, des relations précisément d’ailleurs, mis à part son amie Maïlis, or entre son restaurant, ses enfants et son mari, il ne lui restait guère de temps pour folâtrer au bord de l’eau. Souvent Marie passait la voir au restaurant le matin boire un café ou déjeuner néanmoins à cette heure-là c’était souvent le coup de feu et elles se voyaient en coup de vent. A sa grande surprise et pour son plus grand plaisir aucune anormalité n’était apparue dans ses résultats. Le surmenage était sans doute à l’origine de ses troubles sans grande incidence lui avait laissé entendre son médecin. Comme à son habitude, elle lui suggéra de se détendre et de prendre un peu de repos. Son médecin pensait qu’elle pouvait subir le contrecoup du décès de son époux seulement aujourd’hui car elle s’était organisée jusqu’à présent pour ne pas y songer en prenant en charge tout ce qui avait dû être fait. L’essentiel ayant était réalisé, son organisme avait besoin de souffler et lui envoyait un message d’alerte au travers de tous les événements qu’elle avait vécus ces jours derniers. Heureusement que Marie n’avait pas fait part de ce qui lui était arrivé avec ses hallucinations car son médecin l’aurait mise sous antidépresseur ou elle aurait souhaité la faire hospitaliser chez les fous pour avoir parlé à des personnes qui apparaissaient ou disparaissaient à volonté. Décidément, ils avaient tous le même verdict qu’elle devait prendre un peu au sérieux. Les vacances arrivaient et ses enfants avaient terminé leur année scolaire avec brio. Elle était une mère comblée. Son fils partait avec sa petite amie rejoindre ses futurs beaux-parents pour une semaine de camping dans les Alpes. Sa fille, Emilie, sac sur le dos, moto chargée comme un mulet partait avec son chéri pour une ballade d’une dizaine jours dans les Pyrénées. Quant à sa cadette après cette année de labeur, elle rejoignait des amis pour dix jours de folie à Bayonne et dix autres à la montagne toujours avec la même bande. Marie et son frère s’étaient donc retrouvés en charge des animaux de compagnie de chacun, la lapine et le cochon d’Inde de sa cadette et la chatte de sa benjamine. Il ne lui manquait plus que quelques petits enfants et elle deviendrait une véritable mamie gâteau. A y repenser, elle ne se sentait toujours pas encore prête à devenir cette grand-mère idéale. Sans doute n’aurait-elle pas son mot à dire lorsque la situation se présenterait. Son frère aussi devait rentrer chez lui, il lui promettait de revenir très vite. Les quelques jours en sa compagnie avaient filé trop rapidement. Jérôme devait repartir pour La Rochelle où mille choses l’attendaient. Les jours suivants retrouvèrent une routine qui lui parut un peu triste désormais. Puis, elle reprit le rythme de ses activités. Le souvenir de Max s’était doucement estompé.
Dix jours de solitude interminable allaient défiler. Que n’aurait-elle donné pour avoir quelques jours de solitude à l’époque où ses enfants étaient petits pourtant à y repenser plusieurs fois son mari lui avait proposé de partir tous les deux en laissant les enfants à leurs grands-mères. Ils l’avaient rarement fait. Elle adorait être avec ses enfants même si parfois une semaine ou dix jours avant chaque vacance scolaire, elle accusait un coup de fatigue.
Chaque jour Marie espérait un coup de fil qui ne venait pas. Puis chacun rentra et reprit ses activités. Marie ne les voyait pas plus que d’habitude, elle les sentait là, présents, cela lui suffisait pour ne pas se sentir seule. Elle avait cessé ses sorties entre amis dès lors où elle avait passé avec Max cette soirée inoubliable. Il est vrai que la plupart d’entre eux partaient en été et ne reprendraient leurs habituelles sorties qu’à la rentrée.