L’espace d’un instant où tout bascule 1ère partie 4

8 mins

Marie espérait qu’il n’y aurait pas de prochaine fois car elle souhaitait qu’il trouve aujourd’hui l’appartement qui lui convienne. Elle avait sélectionné tout ce qu’elle avait en portefeuille, ce serait dommage qu’il aille chez un confrère quoi qu’il n’y en ait pas vraiment beaucoup par ici. Elle aurait aimé également lui faire visiter de beaux terrains pour éventuellement démarrer une collaboration avec sa société ce qui arrangerait bien ses affaires en ce moment, mais elle devait procéder par ordre et ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Alors que Monsieur Duchemin se dirigeait vers la porte d’entrée, dos à Samantha, elle en profitait pour motiver sa patronne en faisant mine de se frotter les mains comme si l’affaire était déjà faite. Mais à quel genre d’affaires faisait-elle référence ? Marie connaissait parfaitement sa collaboratrice depuis presque deux ans qu’elles travaillaient ensemble. Elle pensait plus à la bagatelle qu’aux affaires à cet instant précis, Marie en était certaine vu le sourire coquin que Samantha affichait sur son visage. Les voilà partis. En chemin Marie parla de la région, de l’accueil de la population. Sa famille était originaire d’ici, ainsi elle connaissait tout sur tout ou presque, même si son départ pour la capitale l’avait définitivement éloignée des gens avec qui elle avait grandi, ici on n’aimait pas ceux qui désertait. Pour ces raisons, elle avait encore du mal à comprendre leurs réactions. Néanmoins, elle aimait vivre ici.

Discrètement, elle cherchait à en savoir un peu plus sur lui et sa société sans vraiment poser de questions. Les visites se poursuivirent toute la matinée sans que son client ne lui fasse entrevoir qu’il aurait pu trouver ce qu’il cherchait. Ses remarques étaient pertinentes, un peu trop de bruit, ou trop éloigné du centre, étage trop élevé sans ascenseur, un peu trop grand, pas assez lumineux, …

Vers treize heures Marie proposa d’interrompre les visites durant une heure et, elle s’apprêta à le ramener à sa voiture lorsqu’ils passèrent devant le restaurant de Maïlis situé à quelques minutes de l’agence. Spontanément elle suggéra cet endroit à son client :

– Si vous voulez trouver un endroit délicieux pour dîner ou déjeuner, allez de ma part dans ce joli petit restaurant, c’est une amie d’enfance qui en est la propriétaire, elle fait la cuisine comme personne.

Il fit arrêter Marie et en sortant de la voiture se retourna vers Marie.

– Vous disiez tout à l’heure que vous aviez prévu de me consacrer votre journée, avez-vous prévu quelque chose pour le déjeuner, car j’ai horreur de me retrouver seul au restaurant. Vous ne voudriez pas vous joindre à moi ?

Marie prise de court répondit :

– Je pensais que vous aviez envie d’être un peu seul mais si ce n’est pas le cas, j’accepte volontiers votre proposition.

Marie savait que, de toutes les façons, si elle retournait au bureau elle ne prendrait pas le temps de déjeuner, comme à son habitude. Par ailleurs, elle était plutôt en bonne compagnie et serait ravie de prouver à son amie Maïlis qu’elle devait cesser de se faire du souci pour elle…. Tous ces amis avaient tendance ces derniers mois à la pousser à sortir, à se distraire, et tous avaient dû se passer le mot car les uns après les autres l’invitaient à rencontrer leurs amis respectifs encore célibataires, ou divorcés.

Le déjeuner fut agréable et chacun appris un peu plus sur l’autre. Monsieur Duchemin ou plutôt Jean-Marc, puisqu’il avait insisté pour qu’elle l’appelle ainsi, avait cinquante-cinq ans, il était divorcé et père de deux garçons. Spontanément, il lui raconta sa vie. Le plus jeune avait vingt-deux ans et l’aîné vingt-quatre ans, son cadet était en quatrième année de médecine tandis que l’autre venait de finir son école d’ingénieurs. Tous les deux étaient des passionnés de ski mais les circonstances de la vie les avaient fait vivre au bord de la mer. Dès son divorce, il y avait de cela environ cinq années, Jean-Marc passant le plus clair de la semaine en voyage, avait souhaité que son ex-femme garde leur maison. Ses enfants encore jeunes vivaient toujours avec eux à l’époque, et il n’avait pas voulu les perturber davantage en les déracinant. Il savait que la séparation de leurs parents, même si tout se passait plutôt très bien, n’était pas un moment facile à vivre pour eux. Il avait préféré que sa femme et ses enfants continuent à vivre dans leur maison de Bénodet, en Bretagne, maison dont il avait hérité de son père, qui lui-même l’avait héritée de son propre père. Quant à lui, il avait rapatrié ses affaires dans son chalet à Avoriaz. C’est là-bas qu’il vivait lorsqu’il n’était pas en déplacement, cela ne devait pas représenter plus de trente jours répartis sur l’année, et son retour aux sources le ravissait toujours autant. Ses parents avaient acquis ce chalet au début de leur mariage, il y avait grandi avec son frère et sa sœur mais c’était le seul qui y revenait encore, son frère vivait à New-York avec sa femme et ses deux filles et sa sœur avait suivi son mari dans tous ses déplacements. Il était militaire et passait lui aussi son temps à voyager partout dans le monde. Elle n’avait pas eu la chance d’avoir d’enfants.  

Jean-Marc travaillait dans le groupe Turquoise depuis presque trente ans. Jeune diplômé de HEC, il avait été affecté comme assistant auprès d’un directeur commercial d’une des filiales pour gravir petit à petit les échelons au sein du groupe et devenir directeur de cette filiale puis directeur commercial du groupe Turquoise. A l’occasion de ce voyage, il aurait pu déléguer l’un de ses collaborateurs mais il aimait la région de Montpellier, et il n’avait jamais eu l’occasion d’y séjourner. Il adorait les challenges et ce nouveau défi l’enthousiasmait beaucoup. Le groupe Turquoise consacrait l’essentiel de ses activités dans le domaine des assurances et notamment auprès des séniors. Mais au cours des dernières années le groupe avaient étendu ses activités notamment dans la réalisation de programmes immobiliers haut de gamme pour les jeunes retraités. 

Marie avait écouté avec attention ce que Jean-Marc avait bien voulu lui dévoiler. A aucun moment, elle ne l’avait interrompu. Occasionnellement, elle hochait la tête ou souriait pour manifester son intérêt et l’inciter à poursuivre son récit. Sa voix était agréable, plutôt douce et chaque événement les plus anodins qu’il évoquait, était raconté avec tant de sincérité et de spontanéité qu’elle avait l’impression de les vivre en direct…. Marie, quant à elle, se laissa aller, elle aussi, à quelques confidences ou plus précisément elle répondit volontiers à l’interrogatoire somme toute parfaitement formulé par son charmant client. Et si les premières questions firent référence à tout ce qui était lié à son travail et à diverses banalités, elles prirent un tournant plus personnel délicatement. Ce monsieur Duchemin savait y faire pour mettre à l’aise ses relations, et de fil en aiguille, Marie se prêta au jeu des questions-réponses. Elle se fît surprendre à dévoiler certains faits plutôt intimes de sa vie.  

C’est ainsi qu’elle évoqua ses relations avec son père, chose très étonnante car il faisait partie d’un épisode de sa vie dont elle parlait assez peu. Pourtant elle savait qu’en parler lui faisait du bien. Elle avait, fut un temps, eu le besoin de s’exprimer auprès d’une personne extérieure à son entourage, personne ne portant aucun jugement sur les événements mais susceptible de l’aider à surmonter ces moments difficiles à vivre. Effectivement, à l’âge de douze ans lors du divorce de ses parents, elle avait pris fait et cause pour sa mère sans chercher plus loin. Trente années plus tard, elle avait repris contact avec son père, ce qui lui avait valu une perte de repère.
..

L’heure du déjeuner empiéta largement sur le début d’après-midi. Il était presque quinze heures quand, après un long silence, ils prirent conscience du temps qui s’était écoulé. Durant ces quelques secondes, ils furent étonnés de la complicité qui s’était installée entre eux. 

Et c’est dans une ambiance quelque peu différente que se poursuivit le reste des visites. L’un des biens proposés parut correspondre aux attentes de Monsieur Duchemin pourtant il n’avait pas souhaité se décider et il avait poursuivi ses visites. Il est vrai que le temps imparti à celles-ci avait été un peu chamboulé par la longue pause-déjeuner, ce qui avait eu pour conséquence de ne pouvoir visiter l’ensemble des biens que Marie et Samantha avaient sélectionnés. Mais ce n’était sans doute pas la seule raison qui poussa ce cher Jean-Marc à remettre à plus tard sa décision.

Le lendemain, il devait se rendre pour quelques temps à Paris, au siège du groupe Turquoise pour quelques rendez-vous et réunions importantes mais il promit de revenir poursuivre les visites dès qu’il le pourrait. L’un et l’autre prirent congés avec regret.

Marie rentra à l’agence sans prêter attention à quoi que ce soit autour d’elle. Quand Samantha assise derrière son bureau s’enquit du résultat des visites, elle répondit sans plus s’étendre sur le sujet. Marie n’avait visiblement pas envie de parler de ce rendez-vous écourté et encore moins des raisons pour lesquelles elle avait fait si peu de visites. La fin de la journée se déroula calmement et même si Marie semblait s’afférer à de très nombreuses tâches comme d’habitude, elle était ailleurs. Elle réalisa qu’elle n’avait pas pris une seule minute pour elle et ce dès lors où elle avait tout assumé après le décès de son époux. Et là en quelques semaines à peine, elle avait fait la connaissance de deux hommes, somme toute différents mais dont elle était sous le charme. Et c’est ainsi qu’elle se remit à pensait à Max.

La vie était pleine de surprises parfois et surtout quand on s’y attendait le moins. Il était vingt-deux heures lorsque Marie leva les yeux sur l’horloge de son bureau. Elle n’avait pas vu passer le début de cette soirée et maintenant elle était déchirée entre rentrer chez elle pour passer la soirée avec un bon livre au fond de son lit ou passer voir Maïlis au restaurant. Mais elle savait qu’elle l’obligerait à dîner tout en la submergeant de questions sur le bel inconnu qui avait, semble-t-il, retenu toute son attention lors de leur déjeuner. Elle n’hésiterait pas non plus à refuser d’admettre que Marie s’obstinait à lui faire croire que ce client n’était qu’un simple client… et de là, il s’en suivrait une soirée entre filles qu’elles aimaient se faire à cet âge où elles commençaient à sortir avec des garçons. Elles avaient appelé ces réunions ironiquement : « Les soirées confessions intimes ».

Elles avaient quinze ou seize ans à l’époque, et chaque semaine elles se retrouvaient chez l’une ou l’autre. Il y avait Marie et Maïlis évidemment puis aussi, Sarah, Corinne, Sandrine, Natacha, d’autres puisqu’elles étaient au moins une dizaine d’adolescentes à refaire le monde au travers de leurs relations amoureuses. Ces soirées pyjamas laissaient penser à leurs parents qu’elles étaient là pour se goinfrer de friandises et voir des films romantiques ou tristes à pleurer, où elles pouvaient sans jugement aucun fondre en larmes tout leur saoul. Ils n’avaient pas vraiment tort mais les rares films qu’elles se faisaient, n’étaient autre que les histoires que chacune d’entre elles racontaient. Et au lieu de pleurer, elles riaient beaucoup, elles se moquaient en particulier des garçons qui en prenaient pour leur grade. Elles étaient sans doute naïves mais elles avaient l’impression que durant ces réunions, elles jouaient leur vie.

Toutes ses rêveries menèrent Marie jusqu’à minuit sans qu’elle s’en aperçoive et c’est ainsi qu’elle rentra chez elle. Elle avala un thé avec un petit gâteau et après une bonne douche, elle se glissa entre ses draps avec un bon livre.

Elle ne dut pas lire longtemps avant de plonger dans un profond sommeil et ce ne fut que vers neuf heures, qu’elle émergeât enfin. Elle qui dormait si peu ces dernières années et se levait presque chaque jour vers six heures trente, resta interloquée en voyant l’heure. Elle avait l’impression de ne pas avoir dormi ainsi depuis une éternité. Elle se sentait reposée et sereine, encore plus que d’habitude. Elle entreprit de prendre une douche et après un café rapide, elle s’habilla et fila à l’agence. Sa journée se déroula comme hors du temps, elle passa de rêverie en rêverie, de souvenir en souvenir, faisant renaître un passé enfoui très profondément dans sa mémoire au point qu’elle pensait l’avoir oublié…

Elle se retrouva en fin de journée au bord de la mer dans son petit bar préféré où quelques touristes se languissaient au soleil. Elle se prit à faire quelques photos, cela faisait des mois qu’elle avait délaissé ce qui fut à une époque la première occupation dès qu’elle avait une minute. Elle fut même surprise d’avoir entre les mains son appareil car elle ne se souvenait même pas de l’avoir mis dans son sac mais sans doute l’avait-elle pris la veille ou l’avant-veille pour ses visites. Elle avait besoin de parler à son amie comme autrefois alors elle se décida à joindre Maïlis dont le restaurant était exceptionnellement fermé ce mercredi, pour l’inviter à dîner ensemble. Elles se donnèrent rendez-vous vers vingt-heures trente chez Marie qui pour une fois allait préparer à son amie un petit pique-nique moquette. Elle lui avait proposé de venir avec son pyjama pour rester dormir chez elle. Avant de rentrer, Marie passa faire quelques courses et se surpris à mettre dans son chariot des chips, du soda et quelques friandises. C’était à l’époque au menu des soirées entre filles, quand l’une d’entre elles avait besoin de l’aide de ses copines, elle les invitait à se goinfrer en leur exposant une situation compliquée pour laquelle elle avait besoin du conseil de l’une ou l’autre de ses amies.

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