François n’avait jamais voulu reconnaître que la réaction de ses parents le faisait souffrir, cependant il ne faisait que nier la vérité qui était d’autant plus dure que Margaux ne cessait de lui parler de sa propre famille particulièrement attentive. Heureusement durant toutes les années qu’ils avaient passé ensemble, un profond amour les avaient unis et malgré de dures épreuves qu’ils avaient dû subir, cet amour était resté intact. C’est la raison qui trouble tant Margaux lorsqu’elle pense que François aurait pu vouloir la quitter. Peu de temps avant sa disparition, ils avaient énormément parlé de tout ce qui avait pu se passer durant la dernière année. Ils savaient l’un et l’autre qu’ils avaient commis des erreurs provoquant ce qui s’était produit. Or ni François ni Margaux ne rejetait la faute sur l’autre. C’est la raison pour laquelle ils avaient décidé de faire table rase du passé pour recommencer à zéro leurs relations. Margaux a encore en mémoire ce que lui avait dit François à la fin de l’une de leurs longues conversations. Il voulait retourner à Bénodet, leur lieu de pèlerinage où presque chaque année ils s’évadaient quelques jours en souvenir de temps passé. Aujourd’hui Margaux se culpabilise de ne pas avoir su lire clairement en l’homme dont elle est amoureuse. Elle craint d’avoir dans le désarroi qui était le sien, depuis les échecs successifs de ses grossesses, éloigné inconsciemment la seule personne dont elle ne pouvait se passer. Son refus d’ouvrir la porte de sa chambre au cours de ses terribles mois d’angoisse où le moindre événement la terrorisait, avait certainement dû rendre François tellement malheureux et impuissant face à ses réactions si démesurées en comparaison du chagrin que lui-même avait dû ressentir sans pouvoir l’exprimer. Margaux à l’inverse avait pu se confier à son amie Valérie et avait dans le même temps évacué toute cette rancœur qui la tenaillait. Tous ces souvenirs arrivés par vague lui remettent en mémoire des instants difficiles et ne font qu’amplifier son sentiment de culpabilité. Pour éliminer ses images, elle entreprend d’ouvrir une nouvelle enveloppe :
«Clermont-Ferrand, le 14 février 1984
Mon bien-aimé François,
La prochaine fois je t’écrirai juste avant de recevoir ta réponse, mais dans quelques jours à peine nous allons nous retrouver à Bénodet. Il me tarde de te revoir sans doute autant que toi, enfin je l’espère. Nous allons pouvoir retrouver notre place de leader au sein des équipes de l’UCPA et reconquérir le trophée inter-club récupérer par Les Glénan. Quand je pense que tu as refusé de faire les dernières compétitions. Ton geste m’a beaucoup émue et même si j’ai été peinée pour toi de savoir notre coupe ailleurs qu’à l’UCPA, je dois t’avouer que j’ai été très fière aussi. Et pour toutes ces raisons je te promets que je serai encore meilleure équipière à l’avenir.
Tu es également la seule personne avec laquelle j’entretiens une telle correspondance. Et même si je me confie volontiers à ma mère ou à ma tante, je sais que je n’hésiterai pas à te confier mes secrets les plus intimes, comme le fait que je t’aime passionnément depuis le jour où je t’ai vu la première fois. Je suis sûre que très bientôt tu rencontreras maman et tante Lise et je suis certaine qu’elles vont beaucoup d’apprécier. Elles t’apprécient déjà à travers tout ce que j’ai pu leur raconter sur toi. Un jour peut-être, tu pourras les considérer comme ta vraie famille. Ma tante Lise m’a dit l’autre jour ceci : « Ce ne sont pas les liens filiaux qui font que des personnes se sentent proches d’autres personnes. Ce sont les personnes elles-mêmes qui font ce qu’elles sont et ce qu’elles offrent aux autres… ». Je crois qu’elle a tout à fait raison et la preuve en est que ma tante Lise, bien qu’elle ne soit pas vraiment ma tante par les liens du sang, est bien plus proche que les tantes que je peux avoir du côté de maman qui ne se sont jamais préoccupées de moi.
A très vite, Margaux, ton équipière préférée. »
Quand Margaux repense à la période qui a suivi le décès de sa maman, à aucun moment la famille du côté de sa mère n’a manifesté le désir de la connaitre. Personne n’est même venu à l’enterrement. Aujourd’hui elle se souvient très clairement qu’elle n’aurait pour rien au monde voulu retourner dans cette famille qui lui était totalement étrangère, néanmoins cela lui aurait fait plaisir que certains membres de sa famille biologique tentent de rentrer en contact avec elle pour lui exprimer leur peine ou des regrets. Cependant rien de tout ceci n’avait eu lieu à l’époque. La seule et unique personne qui avait été à ses côtés fut sa tante Lise qu’elle n’avait pas revue depuis si longtemps qu’elle en avait presque honte. En ouvrant la lettre suivante, Margaux se souvient dans quel état d’esprit elle avait été en songeant qu’elle allait revoir François après les nombreux courriers qu’ils s’étaient écrits :
« Nancy, le 20 février 1984
Margaux
Je te remercie pour tout ce que tu as dit dans ta lettre. Je sais combien ta tante Lise a raison. Je m’en rends compte à chaque fois que je croise mes parents. Je sais qu’ils m’aiment à leur manière pourtant j’aimerais parfois qu’ils soient un peu plus démonstratifs avec moi surtout depuis que nous nous connaissons. Grâce à toi ou à cause de toi, devrais-je dire, je sais que désormais il manque quelque chose dans ma vie, l’amour dont tu es entourée. Je n’en avais pas vraiment pris conscience avant de te connaitre. Ma vie a toujours été celle qu’elle est et je n’ai pas imaginé une seconde qu’il puisse en être autrement. Aujourd’hui c’est différent.
Quand tu recevras ma lettre tu seras certainement en train de préparer ta valise pour venir à Bénodet. De mon côté pour une fois elle est déjà prête. Je te dis à très vite.
François, ton équipier préféré. »