Les voilà sur la route. Marie apprécia particulièrement la ballade en moto cette fois-ci. Elle n’aurait jamais imaginé une pareille chose, d’autant que durant toutes ces années, elle avait fait la guerre à ses propres enfants pour qu’ils ne passent pas leur permis moto. Elle avait un peu honte d’elle-même néanmoins elle se laissa prendre par la vitesse et le souffle du vent sur son visage. La situation était étonnante tant par la sensation de vitesse que par la promiscuité avec son chauffeur. Elle était agrippée à lui comme une ventouse, ses bras l’enlaçaient fermement, ils ne formaient qu’un et cette position était très sensuelle. Elle créait entre eux une proximité que Marie n’avait jamais vraiment éprouvée avec un autre homme que son époux. C’était tout à la fois gênant et existant. Son cœur battait la chamade comme lorsqu’elle avait quinze ans et qu’elle faisait son intéressante devant les garçons pour attirer leur attention. Dans le cas présent, nul besoin de se faire remarquer pour attirer l’attention de ce garçon. La situation elle-même laissait peu de doute …
Marie se demanda si elle était réellement maître de la situation ou si Christophe était à l’origine de celle-ci. Il utilisait vraisemblablement ce stratagème auprès des femmes qu’il voulait séduire. Et cette option ternit un peu son euphorie. Quand ils arrivèrent enfin à destination, Marie était encore dans ses pensées. Christophe se rendit compte de son absence et au lieu de le lui faire remarquer, il plaisanta.
– Vous avez été une passagère particulièrement sérieuse et vous avez suivi mes conseils à la lettre lorsque je vous avais dit que les passagers d’une moto ne devaient faire qu’un ; tant et si bien que j’ai presque eu du mal à respirer tellement vous m’avez enlacé …
– Je suis vraiment désolée, vous auriez dû me le faire remarquer, intervint Marie un peu confuse.
– Je plaisantais, ne vous inquiétez pas, mieux vaut cette situation plutôt que l’inverse, j’aurais pu vous perdre en chemin et sut été dommage !!!
Avec ces quelques remarques, Christophe avait réussi à détendre l’atmosphère et à redonner le sourire à Marie qui se mit à penser que le temps était particulièrement agréable pour une ballade sur la plage. Et comme si Christophe avait lu dans ses pensées, il lui proposa avant de rejoindre le restaurant d’aller se promener au bord de l’eau. Et les voilà qui se dirigeaient vers la plage. Malgré le week-end et l’heure avancée de la matinée, elle était presque déserte. Le soleil brillait et chauffait encore pour la saison. En arrivant en bord de mer, Marie ôta ses ballerines pour marcher sur le sable humide, elle semblait détendue et le voile légèrement maussade qu’il avait perçu à leur arrivée avait totalement disparu. Christophe resta à distance et l’observa marcher et sauter dans les flaques d’eau. Elle était comme un enfant qui pataugeait et s’amusait des empreintes laissées derrière lui. Elle était touchante et ce fut Christophe qui cette fois-ci fut pris sur le fait, en se retournant vers lui Marie eut l’impression qu’il était ailleurs. Le temps qu’il reprenne ses esprits, Marie s’était allongée sur le sable là où il était sec et chaud. Christophe vint la rejoindre et s’excusa un peu gêné et malheureux à la fois. Mais pour éviter de laisser s’installer un certain malaise il fit mine de vouloir subtiliser son sac à main comme avait pu le faire le jeune voleur la veille. Cette fois, Marie avait retenu la leçon, même si la poignée de son sac semblait à portée de main elle avait pris soin de passer la grande sangle en bandoulière dans la ceinture de son jeans. Et lorsque que Christophe attrapa son sac, il fut pris au piège, impossible de le voler. Tous les deux se regardèrent et éclatèrent de rire.
– Bravo, bon réflexe et pour la peine, je vous dois un repas au restaurant !!!
Marie se leva et tous les deux se dirigèrent vers le « J », le restaurant où Christophe avait pris la peine de réserver la veille. Marie pourrait prendre un apéritif puisqu’elle ne conduirait pas au retour mais pour accompagner Maxime, ils ne prirent qu’un verre de Chablis qui se marierait parfaitement avec le plateau de fruits de mer qu’il avait pris le soin de commander lors de sa réservation. Il avait bien compris lors de leur précédent repas que son invitée adorait les crustacés et fruits de mer et il avait prévu un plateau royal magnifique, aux yeux, aux odeurs et bientôt aux papilles. Le repas se passa dans une ambiance sympathique et bon enfant parsemée de longs silences, où chacun en profitait pour déguster tous ces mets délicieux, et d’échanges où ils apprenaient petit à petit à mieux se connaitre, tout ceci entrecoupé de fous rires. Le plateau était si imposant qu’ils eurent bien du mal à aller jusqu’au bout mais l’envie était plus forte que tout, et avec plus de temps que prévu, ils finirent leur plateau. Il était presque seize heures quand ils commandèrent deux cappuccinos. Toutefois le repas fut un peu plus arrosé que prévu, c’est la raison pour laquelle Christophe proposa à Marie d’aller faire un tour au port pour digérer. Et les voilà partis main dans la main comme deux copains de longue date. Marie se sentait heureuse mais s’aperçut que Christophe était ailleurs. L’intimité de ces quelques heures la rendit quelque peu indiscrète, elle interpella Christophe :
– Vous me semblez lointain tout à coup, aurais-je dit ou fait quelque chose qui en soit à l’origine, si c’est le cas, j’en suis navrée, je ne l’ai pas fait intentionnellement, je …
Marie n’eut pas le temps de terminer sa phrase que Christophe s’excusa pour son attitude et lui confirma qu’elle n’y était pour rien. Il lui expliqua que la situation elle-même lui remettait en mémoire des souvenirs difficiles à se remémorer. Marie ne voulut pas être indiscrète en lui posant quelques questions qui la démangèrent pourtant, mais elle laissa Christophe décider du moment où il choisirait de se confier à elle. Un profond silence s’installa alors qu’ils marchaient sur un quai animé par un va-et-vient de jeunes enfants qui échappaient à des parents visiblement soucieux que l’un d’entre eux ne trébuche et se retrouve dans l’eau du port. Christophe les observait avec un regard attendri presque nostalgique et mille réponses aux questions que Marie n’avait pas posées lui vinrent à l’esprit. C’est ce moment que choisit Christophe pour reprendre la conversation. Il l’attira vers un banc tout proche resté vide pour prendre place. Il tortillait ses doigts comme s’il avait du mal à trouver ses mots, il était à la fois tendu, soucieux et pourtant au moment où il se mit à parler, il avait un petit sourire au coin des lèvres et ce n’était que quelques minutes plus tard que Marie comprit à quoi ce sourire faisait référence, des souvenirs heureux même si la situation actuelle ne l’était pas vraiment…
– Je suis désolée pour mon attitude mais des moments comme ceux-ci me rappellent d’autres moments où j’aimais venir en bord de mer me promener avec ma fille.
A cet instant Marie s’attendait à tout, sauf à ce genre de confidences or elle n’en laissa rien paraître et resta attentive à ce que Christophe allait lui dire.
– Il n’y a pas si longtemps, à peine deux ans, je venais me promener régulièrement avec ma fille, Mia, en bord de mer, elle adorait comme vous retirer ses chaussures et sauter dans les flaques en riant à gorge déployée lorsqu’elle réussissait à me mouiller. C’était notre jeu favori. Elle avait trois ans alors….
Marie craignait le pire en supposant que sa fille avait pu avoir un accident, peut-être même avait-il perdu et sa fille et sa femme. Elle n’osait même pas imaginer ce qu’il aurait pu ressentir alors. Un frison lui parcourut le dos tandis que Christophe la regardait comme s’il avait compris ce qu’elle avait imaginé, il poursuivit son histoire.
– Non, ce n’est pas ce que vous imaginez. Sa mère, avec qui je m’entendais parfaitement même si nous ne vivions plus ensemble, a disparu du jour au lendemain. J’ai fait des recherches auprès de toutes les personnes que nous connaissions, la police, elle-même, a ouvert une enquête mais elles sont restées introuvables. Nous avons même fait appel à l’ambassade de Bogota car la mère de ma fille est colombienne. Beaucoup d’amis ont pensé qu’elle avait dû rejoindre sa famille qu’elle n’avait pas vue depuis longtemps mais personne là-bas n’avait eu de nouvelles. Cela fait maintenant deux années que je ne sais pas où se trouve ma fille et j’en rage. Je voudrais au moins savoir si elle est en bonne santé, je me sentirais soulager car parfois j’ai si peur qu’elles aient pu avoir un accident et qu’un jour on vienne frapper à ma porte en m’annonçant qu’on a retrouvé leur corps sans vie….
Marie était sous le choc et aucun mot n’arrivait à exprimer ce qu’elle ressentait ; elle n’osait imaginer le chagrin qu’il devait vivre quotidiennement. Elle se sentit coupable d’être aussi égoïste en pensant à elle-même qui avait tant de chance de pouvoir profiter de ses enfants. Elle songea que son époux aurait sans doute proposer son aide à Christophe s’il avait encore été là avec elle. Et tout aussi spontanément, elle s’adressa à Christophe avec beaucoup de sincérité.
– Si je peux vous aider, n’hésitez pas à me le dire, mon époux faisait partie de l’état-major du Ministère de l’Intérieur et il avait de nombreuses relations à l’étranger car durant les dernières années, il était en contact avec les ambassadeurs en poste en Europe mais également en Amérique latine, il était détaché auprès du Ministère des Affaires Etrangères.
– Merci Marie mais je crois que nous avons frappé à toutes les portes, toutefois puisque vous avez la gentillesse de me le proposer, je vous transmettrais toutes les informations que j’ai en ma possession aujourd’hui, qui sait, tout est bon à prendre et un miracle peut se produire. Je donnerais tout ce que j’ai pour la retrouver, ma vie s’il le fallait….
Marie était touchée par ses paroles, elle le comprenait, elle-même aurait réagi comme lui et ses nouveaux éléments lui prouvaient que Christophe était quelqu’un de bien. Tout ce qu’elle avait pu imaginer lors du trajet lorsqu’elle serrait Christophe entre ses bras, pensant qu’il l’avait prise avec lui sur sa moto pour faciliter sa séduction, avait disparu définitivement. Christophe sortit de son portefeuille la photo de sa fille. Une jolie petite poupée châtain clair avec les mêmes boucles que son père et les mêmes yeux aussi. Elle avait visiblement hérité du teint mat de sa mère.
Ils poursuivent la fin d’après-midi à visiter les petites rues de Carnon qui s’étaient emplies de monde. La commune organisait une journée porte ouverte sur l’art avec la participation de tous les commerçants ; chacun ayant pris soin d’exposer dans leur boutique des œuvres d’art de jeunes artistes de la région. La journée fut très agréable et se termina autour d’une immense soirée crêpes mise en place par le comité des fêtes de la ville. Vers vingt-trois heures, Marie et Christophe se décidèrent à regagner la moto pour rejoindre Montpellier. Le temps s’était légèrement rafraîchi et heureusement que Christophe avait dans ses top cases le kit du parfait baroudeur sortant un blouson et un gros pull capable de résister au grand froid. Marie enfila le blouson, plus chaud et Christophe mit le pull et les voilà partis. Un air frais et vivifiant giflait le visage de Marie qui pour se réchauffait enlaçait encore plus fort Christophe. Elle songeait à ce qu’il lui avait dit plus tôt dans l’après-midi et tentait de fouiller dans sa mémoire pour trouver parmi les relations de son mari, la personne susceptible de l’aider à retrouver sa fille. Prise dans ses rêveries, elle fut bientôt surprise quand Christophe stoppa la moto devant chez elle.
– Gardez le blouson, vous me le rendrez la prochaine fois. J’espère que vous avez passé une bonne journée, en ce qui me concerne, il m’a été très agréable de la passer en votre compagnie.
Marie ne savait pas s’il était de bon ton de proposer à Christophe de monter boire un ultime verre tandis que Christophe s’excusait de devoir prendre congés car le lendemain il devait prendre le train de très bonne heure pour assister à une réunion importante à Paris.
Christophe pris Marie dans ses bras et l’embrassa très affectueusement en lui disant au creux de l’oreille, qu’il la remerciait pour cette magnifique journée dans sa globalité. Il la raccompagna jusqu’à l’entrée du petit hôtel particulier dans lequel elle vivait puis il enfourcha sa moto et s’éloigna à toute allure.