Le retour aux sources – Le cri du silence 3

7 mins

1ère partie suite

La rencontre

Edouard avait rencontré sa future femme à l’une des innombrables belles soirées organisées par la région où tous les chefs d’entreprises et personnalités des environs étaient conviés. Sophie, encore étudiante en Sciences Sociales, travaillait comme hôtesse lorsqu’elle rencontra Edouard. Ce fut un véritable coup de foudre pour Edouard, ce soir du 8 décembre 1988, il ne fut guère véritablement présent durant cette fameuse soirée. Il fit le minimum ce soir-là pour soutenir son père, et vers 22 heures tandis qu’il prononça un discours très clair et convaincant pour l’auditoire présent car il fut particulièrement applaudi, il ne trompa pas la vigilance de ses parents. Et ce ne fut que vers minuit, qu’Edouard osa se diriger vers Sophie qui s’était occupée toute la soirée d’accueillir les invités et de pourvoir à ce que les interventions des uns et des autres se déroulent admirablement bien. Désormais la manifestation prenait une tournure moins formelle, les discours avaient pris fin et tout le monde avaient fini de dîner tandis que la piste de danse commençait à se remplir. Sa prestation arrivait à son terme et elle s’apprêtait à s’éclipser quand Edouard se dirigea vers elle pour tenter d’entamer une conversation. Depuis des heures déjà, il la dévorait des yeux et à différentes reprises, Sophie s’en était aperçue. Elle n’avait donc pas vraiment été surprise lorsqu’il l’aborda pour se présenter. Edouard était indéniablement à l’aise dans le monde professionnel, il l’était infiniment moins avec les jeunes femmes surtout si celle-ci était aussi jolie. Il réussit à prononcer son nom mais pour le reste il bafouilla beaucoup. Enfin après avoir échangé quelques banalités, elle lui expliqua qu’elle travaillait pour financer ses études qui se terminaient à la fin de cette année par un stage de six mois en entreprise, Edouard profita de cette information pour lui suggérer de postuler auprès de son père. Cette proposition fit sourire Sophie qui voyait exactement où Edouard voulait en arriver. Il en était presque attendrissant tellement il était gauche dans sa démarche. Ce jeune homme si sûr de lui quelques heures auparavant lors de son discours ressemblait désormais à un albatros échouait sur le sable. Comme lui, il était très grand, vraiment très grand, il faisait au moins un mètre quatre-vingt-dix ou quatre-vingt-quinze et ses bras d’une envergure vertigineuse gesticulaient dans tous les sens, mimant les mouvements maladroits de ce si majestueux oiseau aux ailes immenses néanmoins totalement incapable de garder son équilibre. Cet animal qui était supposé faire dans sa vie plusieurs fois le tour du monde, était totalement désappointé en se retrouvant au sol, se dandinant d’une patte sur l’autre, posant parfois l’une de ses larges pattes sur la seconde provoquant ainsi sa chute. Sophie avait une vraie fascination pour cet oiseau marin, le plus grand du monde capable d’atteindre des pointes de vitesses à près de cent trente kilomètres à l’heure et susceptible de parcourir jusqu’à mille kilomètres en une seule journée. Elle travaillait régulièrement à l’aquarium de La Rochelle où ses parents possédaient une maison de vacances. Ce lieu étonnant réalisait depuis longtemps des actions notamment en faveur de la protection des oiseaux et au fil du temps, elle avait assisté à plusieurs conférences sur les Albatros, depuis elle était sous le charme de ce géant qui passait quatre-vingt pour cent son temps dans le ciel. Heureusement d’ailleurs tant il était nigaud au sol.

 Sophie prit la carte de visite qu’Edouard lui tendit, sans pour autant lui donner ses coordonnées, et s’excusa gentiment de devoir partir. Quelqu’un venait la chercher en voiture et elle lui expliqua qu’elle ne souhaitait pas le faire attendre. Elle s’éclipsa rapidement laissant Edouard plantait au milieu d’un hall déserté. Il retrouva ses parents et pris congés à son tour prétextant un mal de tête qui ne convainquit ni son père ni sa mère.

 Sur le chemin du retour, il s’en voulut d’avoir été si stupide. Il repensait à ce qu’il avait dit, et rien ne lui semblait cohérent. A vingt-huit ans, il vivait toujours chez ses parents même s’il avait un appartement indépendant dans une aile de leur propriété. Il avait bien eu quelques histoires sentimentales qui n’avaient guère duré longtemps, pourtant c’était un beau garçon, immense et svelte, bien qu’il ne soit pas un grand sportif depuis qu’il avait quitté le lycée. Il avait l’allure physique de son père et ressemblait en tous points à sa mère et notamment au niveau de son caractère. Il était plutôt un solitaire sentimental. Et sa vie tranquille au sein de l’entreprise familiale lui convenait à merveille. Or ce soir-là, Edouard avait vu sa vie basculer. Il était tombé amoureux de cette fille qu’il connaissait à peine. Et durant un temps infini, il resta allongé sur son canapé à répéter en boucle ce prénom : « Sophie, Sophie, Sophie, Sophie, … » Il se repassa également en mémoire toute cette soirée où il ne l’avait pas quittée des yeux un seul instant. Elle était si jolie, avec ses yeux d’un vert indescriptible, et sa bouche parfaitement dessinée inondait son visage quand elle lui avait souri, dévoilant des dents d’un blanc immaculé. Elle portait ses cheveux attachés en un chignon banane particulièrement chic qui laissait tomber sur sa nuque quelques boucles blondes. Edouard aurait aimé savoir dessiné à cet instant présent tant l’image de Sophie lui était apparue clairement. Toutefois il n’avait pas de compétences dans ce domaine alors il se contenta de l’admirer les yeux fermés. Son regard progressivement descendait le long de ce corps parfaitement proportionné. Son cou était fin et chaque fois qu‘elle parlait, elle créait sur sa gorge de petites vibrassions qui l’avaient charmé. Elle était particulièrement élégante, elle portait un tailleur noir très cintré sur les hanches. On distinguait à peine sous sa veste un bustier fin sans doute en soie blanche laissant apparaître un décolleté discret qui devait cacher des seins aussi parfaits que le corps merveilleux qui se mouvait devant lui. Il avait eu envie d’ouvrir les yeux tant l’image était réelle cependant il les avait refermés rapidement, l’image étonnamment réelle avait failli s’évaporer. En descendant lentement son regard sur ce corps sublime, il agissait désormais tel qu’il n’avait pas osé le faire tandis qu’il s’était retrouvé face à elle, il distingua de longues jambes féminines gainées d’un voile gris perle perchées sur de hauts talons. Ce fut sur ces images de rêves qu’Edouard trouva enfin le sommeil, il était tard ce soir-là ou plus précisément très tôt ce matin-là. Ce n’était que vers quatre heures du matin qu’il s’était définitivement assoupi à bout de force d’avoir repassé en boucle les images qu’il avait eues de Sophie au cours de cette soirée. Il avait bien peur d’être passé pour un idiot avec sa carte de visite et sa proposition de stage. Sophie avait sans aucun doute déjà un fiancé, peut-être celui- là même qui était venu la chercher en voiture. Il n’avait même pas osé lui demander ses coordonnées et s’il l’avait fait les lui aurait-elle données ? Il avait eu l’occasion de pouvoir la toucher, l’émouvoir, il n’en avait rien fait si ce n’était se ridiculiser en bégayant et en lui offrant d’écrire à son père pour un stage. Sa chance était passée, il en était certain, vraisemblablement n’aurait-il jamais le loisir de lui dire tout ce qu’elle représentait déjà pour lui. Edouard en fut terriblement affecté et ce fut à partir de ce jour, qu’il s’étourdit davantage encore qu’à l’accoutumé dans son travail pour éviter de penser à elle, ne plus penser à elle. Toutefois à chaque coup de téléphone, Edouard bondissait sur le combiné, son attitude ne trompa personne et surtout pas sa mère. Toute la semaine passa sans aucun signe de Sophie. Mille fois, il avait eu envie de contacter ses amis à la Région pour leur demander de lui trouver les coordonnées de l’hôtesse de la soirée. Il aurait pu invoquer la mise en place d’une magnifique manifestation pour accueillir tous les fournisseurs et les clients de l’usine textile de son père cependant autant de fois il s’était ravisé. Il se souvint de ce que sa mère lui avait maintes fois répété lorsqu’Edouard, adolescent, l’avait interrogé sur la façon dont ses parents s’étaient rencontrés. C’était à l’époque où les filles commençaient à le préoccuper, il devait avoir douze ans à peine, les années et quelques conquêtes jusqu’ici, ne lui avait rien appris, il n’en savait pas beaucoup plus sur la façon d’aborder La fille, celle qui lui serait destinée. Sa maman lui avait dit à l’époque, il s’en souvenait parfaitement encore aujourd’hui : « Nous n’aurions jamais dû nous rencontrer avec ton père, tout nous opposait, notre milieu, nos goûts et cependant, un jour, nous nous étions retrouvés l’un en face de l’autre, dans le cabinet du docteur Georges, ton père avait accompagné une des ouvrières de la filature qui s’était légèrement blessée à la main et moi, je m’étais méchamment entaillée un doigt en ouvrant une boite de conserve. Ce jour-là, il y avait énormément de monde dans la salle d’attente du docteur Georges et durant le temps où nous avions patienté, discrètement l’un après l’autre et parfois l’un et l’autre, nous nous observions. Puis ce fut à ton père de passer avec l’ouvrière, il s’adressa à moi, voyant que je perdais du sang, en me proposant de passer devant eux. L’ouvrière n’avait rien de bien méchant mais j’avais vu sur son visage un peu de colère malgré tout. Elle n’osa toutefois rien dire. Dès lors que j’étais ressorti du cabinet, nous nous étions croisées avec l’ouvrière tandis que ton père la laissait aller seule, il restait assis. Je me décidais à aller vers lui pour le remercier pour son geste. Et de ce jour-là, nous ne nous étions plus jamais quittés ». Si son père avait fait le premier geste, c’était sa maman qui avait fait le second en allant vers lui après la consultation, sans ces événements rien ne se serait peut-être produit. C’est cette image qu’il avait dans l’esprit tous ces derniers jours. Il espérait que Sophie l’appellerait et qu’eux également ne se quitteraient plus jamais. Edouard vécut la semaine la plus terrible de sa vie de peur de ne jamais revoir celle qui était dans ses pensées jour et nuit depuis cette soirée. La deuxième semaine avait largement débuté et il était toujours sans nouvelle, il commençait à perdre espoir quand enfin Sophie appela. Ce fut sa mère qui répondit et proposa à Sophie de faire parvenir son CV par courrier ou de le déposer directement à l’accueil. Quand Edouard fut mis au courant de cela, il était fou furieux de ne pas avoir pris le combiné et les jours qui suivirent, il resta à l’affut au cas où il apercevrait Sophie à l’accueil. Le surlendemain, elle s’était effectivement présentée et venait de déposer son CV quand Edouard semblant sortir de nulle part se trouva comme par hasard devant elle. Il osa jouer l’étonnée néanmoins cette fois il ne perdit pas tous ses moyens puisqu’il proposa à Sophie si elle en avait le temps de lui faire visiter l’usine. C’est là qu’il apprit que celui qui était venue la chercher le soir de la manifestation n’était autre que son père.

Après qu’ils aient commencé à se fréquenter régulièrement, il avoua à sa femme que ce jour avait été le plus beau de sa vie, même si, quelques années après, lors de leur mariage, il lui fit la même remarque et quatre ans après encore, à la naissance de leur fille, Stéphanie, il réaffirma à nouveau que c’était le plus beau jour de sa vie. Cette remarque faite à chaque événement marquant de la vie d’Edouard faisait beaucoup rire Sophie, elle le savait foncièrement sincère. Et lorsque naquit Marc, cette fois Sophie le devança en lui disant qu’elle savait que ce jour-là était pour lui le plus beau de sa vie. Depuis qu’il avait rencontré Sophie, Edouard vivait les plus beaux jours de son existence. Il ne cessait de remercier Sophie pour la chance qu’il avait eu de croiser son chemin le 8 décembre 1988. Il répétait sans cesse que sans elle, sa vie n’aurait eu aucun sens.

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