Retour aux sources – Le cri du silence 9

9 mins


2 ème partie

La reprise

La maîtresse annonça à Sophie que Stéphanie finissait sa scolarité en CM2 et passerait sans difficulté en 6ème l’année suivante. A l’inverse de son frère, Stéphanie heureuse d’être au collège ne souhaita pas être interne. Elle préférait prendre tous les matins le car qui passait devant chez elle à la Flotte et qui la menait à La Rochelle, place de Verdun. Elle se levait tôt le matin pour attraper son bus vers sept heures et le soir, il arrivait que sa maman soit obligée de venir la chercher lorsqu’elle avait des cours qui se terminaient au-delà du passage du dernier bus scolaire. Ce nouveau rythme ne les gênaient ni l’une, ni l’autre. Très rapidement après le début de la rentrée scolaire, Stéphanie s’était fait une amie qui habitait comme elle sur l’île, à Saint Martin en Ré, les mamans sympathisèrent et se relayèrent pour les allées et venues. La vie avait repris un rythme normal… Les enfants se voyaient tous les jours aux récréations et pour déjeuner, et le week-end lorsque Marc ne pouvait pas venir à cause d’un match, sa maman et sa sœur le rejoignaient pour l’encourager. Les deux premières années de collège filèrent à toute allure, ce fut la 5ème pour Stéphanie et la 4ème pour Marc. Puis l’entrée en 4ème pour Stéphanie et la 3ème pour Marc, et à nouveau tout recommença à se compliquer. Stéphanie avait pris conscience que son frère allait rentrer au lycée et qu’ils seraient encore séparés. Et même si l’ensemble scolaire Fénelon Notre Dame réunissait collège et lycée, leurs horaires seraient différents et par-dessus tout, ils seraient dans des bâtiments différents. Ils ne se croiseraient pas aux récréations et auraient des difficultés à déjeuner ensemble étant dans des selfs totalement indépendants. Lorsque Marc entra en 6ème et qu’ils furent séparés, Stéphanie avait été particulièrement affectée par sa séparation avec son frère. A cette période, Marc avait dû le ressentir car dès qu’il le pouvait, il rentrait les rejoindre sur l’île. A l’entrée de Stéphanie en 6ème, elle avait perdu la plupart de ses meilleures amies et elle ne voulait plus jamais être séparée de son frère. Cette situation lui faisait sans doute trop mal ou trop peur, mais de quoi pouvait-elle avoir peur ? Souvent Sophie avait expliqué à la psychologue qui suivait Stéphanie cette peur de se retrouver sans son frère. Il n’était pourtant pas des jumeaux seulement Stéphanie réagissait comme tels. La psychologue avait tenté d’expliquer à Sophie qu’elle faisait vraisemblablement un transfert sur son frère des événements qui s’étaient produits lors de l’accident avec son père. Cette séparation brutale dont elle se sentait peut-être inconsciemment responsable, pouvait lui faire penser que si elle était séparée de son frère, il pourrait lui arriver un malheur. Or l’ensemble de ces réflexions n’étaient que des hypothèses déduites par la psychologue, compte tenu du fait qu’elle n’avait jamais pu en parler de vive voix avec Stéphanie. Cette enfant n’avait donc jamais pu évacuer l’ensemble des émotions, des ressentiments qu’elle avait emmagasinés depuis tant d’années. Neuf longues années exactement qu’elle gardait en elle des choses que personne, ni son frère, si aucun de ses proches, pouvait entrapercevoir.

Stéphanie s’était mise dans l’idée de passer cette année-là en 3ème plutôt qu’en 4ème. Elle en avait « parlé » avec son frère qui lui-même l’avait mentionné à son tour à leur mère. Elle s’était décidée à prendre rendez-vous avec son professeur principal pour connaître son avis. Les motifs avancés par Sophie ne représentaient pas des raisons suffisantes pour les professeurs et ils avaient préféré la laisser en quatrième. Ce premier refus n’avait pas arrêté son frère presque plus pugnace que Stéphanie, il savait pertinemment que sa sœur avait toutes les capacités pour intégrer une classe de 3ème. Marc avait donc pris rendez-vous avec le principal du collège prétextant une grosse urgence dont il ne pouvait parler qu’à lui, et lui seul, lui demandant de ne pas prévenir sa maman, dans un premier temps. Il était un brillant élève, un très bon sportif, leader des équipes avec lesquelles il jouait, et il était surtout un jeune homme apprécié de tous, de ses professeurs comme de l’ensemble du personnel de l’établissement. Il faisait partie de nombreuses associations et supervisait également le journal des élèves du collège. Et du haut de ses onze ans et demi et de ses un mètre cinquante pour quarante kilos, il n’était pas quelqu’un à « s’en laisser conter » … Le directeur trouva un créneau horaire à l’heure du déjeuner pour le recevoir. Le jour J, Marc était venu au rendez-vous or il n’était pas venu seul, il était accompagné par sa sœur, on aurait presque eu envie de dire sa petite sœur tant elle était menue par rapport à lui et tellement il veillait sur elle. Le directeur avait été un peu surpris, toutefois sans plus, compte tenu des relations qui existaient entre eux et que personne ne pouvait ignorer. Il les invita à entrer et à leur expliquer ce qui était si urgent et secret au point de ne pas prévenir leur maman. Marc prit la parole et expliqua très calmement qu’il comprenait la réaction des professeurs du collège vis-à-vis de la demande de passage de quatrième en troisième de sa sœur. Cependant il lui expliqua également que toutes les personnes qui avaient prises cette décision ne connaissaient pas sa sœur comme il la connaissait, lui. Le directeur n’eut pas le loisir ou l’envie de stopper Marc dans son discours si bien préparé, si clair et si poignant. Marc ne voulait surtout pas se montrer irrespectueux vis-à-vis de professeurs néanmoins il avait peut-être trouvé une solution qui mettrait tout le monde d’accord. Et c’est ainsi qu’il se mit à détailler toute sa stratégie, expliquant qu’il était prêt à ne plus être interne cette année pour travailler avec sa sœur si les professeurs approuvaient cette démarche. Durant toute cette période Stéphanie était restée immobile, on aurait dit une de ces magnifiques statues grecques. Elle regardait son frère avec une telle admiration que s’en était presque émouvant. De temps en temps, elle jetait un œil discret au directeur, sans doute, pour jauger ses réactions. Il laissa parlait Marc durant quinze bonnes minutes avant qu’il s’interrompe de lui-même. Marc savait qu’il ne devait pas abuser du temps précieux de son interlocuteur. Le directeur s’était retourné vers Stéphanie pour savoir si la solution proposée par son frère lui convenait, en lui expliquant qu’elle devait prendre conscience que, si par hasard la commission revenait sur sa décision, cela lui donnerait beaucoup de travail pour reprendre tout le programme qu’elle avait manqué. Sophie avait eu à cet instant précis un sourire qui en disait long et son regard passait de son frère au directeur avec une telle excitation qu’il n’osa pas d’emblée s’y opposer. Toutefois, il précisa que ce n’était pas son rôle de s’immiscer dans les décisions du corps enseignants mais, qu’il ferait en sorte de transmettre la proposition de Marc aux professeurs de Stéphanie. Le directeur, s’adressant à Marc, lui demanda les motifs pour lesquels il lui avait suggéré d’être discret vis-à-vis de sa maman, car il serait sans doute obligé de lui expliquer et de répondre à ses questions si elle voulait savoir pourquoi la commission souhaitait réétudier le dossier de sa fille. Marc se justifia en précisant que la première demande puis le refus avaient causé un énorme souci à sa maman car elle avait craint que sa fille, si gentille et douce, déjà très réservée, ne se renferme davantage. Et elle n’aurait sans doute pas validé cette seconde tentative, non pas qu’elle doutait des compétences de sa fille, qu’elle croyait comme Marc, tout à fait capable de suivre en troisième mais elle redoutait un nouveau refus de la part de l’école, et une nouvelle frustration encore plus importante.

 Les deux jeunes gens se levèrent et avant de prendre congés, Marc remercia le directeur de les avoir reçus et de l’aide qu’il pourrait leur apporter en soutenant leur proposition. Comme à son habitude, Marc salua toute l’équipe du secrétariat qui s’afférait à préparer ce début d’année.

 La conversation avait à peine duré trente minutes après quoi ils s’étaient séparés pour regagner leur cours respectifs. Au début de la semaine suivante, Sophie reçut une convocation du principal du collège, là encore bien que surprise elle ne s’en inquiétait pas vraiment. Lorsqu’elle fut conviée à entrer dans le bureau, le professeur principal de sa fille se tenait debout devant le bureau, il salua Sophie et prit place à ses côtés. Le principal proposa de laisser la parole au professeur qui commença son exposé. Il expliqua à Sophie que la décision que la commission avait prise en début d’année concernant le passage éventuel de sa fille directement en 3ème n’était pas remise en cause toutefois de nouveaux éléments avaient permis à celle-ci de réétudier une demande un peu différente qu’il se proposait de lui exposer. Sophie ne comprenait pas les tenants et aboutissants de ces bouleversements de situations toutefois elle n’osa pas interrompre ce professeur visiblement un peu tendu. Il lui expliqua que sa fille resterait bien en 4ème pour le moment toutefois la commission avait proposé de permettre à Stéphanie si elle s’en sentait capable de faire tous les devoirs écrits à la maison ainsi que ceux réalisés au collège, il précisa qu’elle serait dispensée de cours avec sa classe lors de ses épreuves, afin de définir si oui ou non elle était capable de suivre une classe de 3ème. A la fin du premier trimestre une décision ferme serait prise, décision irrévocable cette fois. Le professeur principal souhaitait avoir son aval pour convoquer sa fille devant la commission qui lui ferait part de cette proposition. Sophie les remercia sans toutefois chercher à savoir pourquoi un tel revirement, et le principal du collège se dit qu’il n’aurait donc pas à répondre à des questions qui auraient pu le mettre quelque peu mal à l’aise. Sophie lui précisa qu’il serait peut-être souhaitable que Stéphanie soit convoquée avec son frère ; par ailleurs elle demanda que la commission fasse prendre conscience à sa fille que le résultat ne serait pas automatique et qu’un passage anticipé pourrait être à nouveau rejeté. Sophie voulait préserver sa fille et si cela n’avait tenu qu’à elle, sans doute n’aurait-elle jamais accepté cette tentative qui lui semblait être plutôt une expérience de laboratoire pour des professeurs qu’autre chose. Toutefois, elle n’en dit rien car le principal du collège avait toujours été un homme charmant et son établissement avait fait beaucoup pour elle et ses enfants ces dernières années et par-dessus tout, elle savait que sa fille en serait particulièrement heureuse. Souvent elle s’était demandé comment ceci se serait passé si son fils avait choisi un autre établissement bien moins ouvert d’esprit…. Cette année-là Marc réintégra la maison de l’île de Ré, il fut autorisé compte tenu des circonstances exceptionnelles à céder sa place à l’internat, bon nombre de ses camarades étaient prêts à prendre sa chambre. Il continua à participer aux matchs importants laissant à d’autres les matchs secondaires. Sophie était heureuse de récupérer son fils et de les sentir à nouveau ensemble comme lorsqu’ils étaient petits. En se faisant cette remarque, elle devait s’avouer à elle-même que ces enfants étaient étonnants et infiniment matures pour leur âge. Ce sentiment qui la remplissait de joie et son bonheur aurait été total si Edouard avait pu être à ses côtés dans ce magnifique tableau. Il aurait été si fier de chacun d’eux. Sophie ne sut jamais pourquoi la commission était plus ou moins revenue sur son refus or elle se doutait bien de quelque chose… Ce début d’année se déroula très bien pour l’un et l’autre, Stéphanie réussit tous ses devoirs et contrôles et passa à la fin du premier trimestre en 3ème dans la classe de son frère. Sophie avait eu l’impression de revenir des années en arrière lorsqu’ils s’étaient retrouvés une première fois en moyenne section, puis en CP et en CE1. Le temps était passé, les souvenirs étaient toujours présents dans son esprit. On fêta avec toute la famille Lagrange l’anniversaire de Marc et Stéphanie respectivement 12 et 13 ans, qui commença en fait avec un jour d’avance, le samedi 12 mars, car dès le matin 8 heures étaient arrivés un à un tous leurs amis d’enfance que Jeanne et Sophie avaient pris la peine d’inviter pour un super week-end d’anniversaire. Ils étaient presque une trentaine de jeunes de 12 à 15 ans. Pour la plupart c’étaient des amis de Marc, qui par la force des choses étaient devenus des amis de Stéphanie. La surprise fut totale et particulièrement appréciée par les invités. Les amis étaient venus de partout certains également de l’étranger. Jules avait réuni tous les matelas qu’il avait pu trouver, chez eux, chez leur belle-fille ainsi que chez leurs amis propres. Tous ces jeunes encadrés par trois adultes ravis passèrent un week-end fabuleux ensemble avant de rejoindre leur famille respective par train, avion ou à vélo pour ceux résidant sur l’île. Ils avaient été si heureux de tous se revoir qu’ils décidèrent avec l’accord de leurs parents de renouveler l’expérience chaque année chez l’un d’entre eux.

L’année 2005 se termina brillamment pour les deux faux jumeaux Marc et Stéphanie et se poursuivit au Lycée Fénelon Notre Dame la rentrée suivante. Marc reprit ses habitudes, il fut à nouveau interne et Stéphanie continua à rejoindre la Rochelle matin et soir en bus. Ils étaient tous les deux définitivement en tête de classe durant les trois années qui suivirent. L’ensemble des personnes qui les côtoyés étaient comblées : la famille, leurs professeurs et l’établissement qui s’était fait une réputation à la hauteur des événements de ses années « Les enfants et leur épanouissement étaient au centre du projet éducatif et tout était fait pour que l’équipe enseignante les accompagne et leur permette de parvenir à créer la situation la plus propice à chacun d’eux pour réussir » était le leitmotiv du proviseur. Marc et Stéphanie en étaient la preuve, ils obtinrent leur bac avec brio, avec la mention très bien et les félicitations du jury. A la rentrée 2008, Marc fut accepté en classe préparatoire à Chaptal, école qu’il avait placée en premier vœux et qu’il obtint sans souci. Pourquoi celle-ci, sans doute parce que son meilleur ami, Charles, habitait le 8ème arrondissement de Paris et lui avait proposé de venir s’installer dans une chambre mise à sa disposition par ses parents pour lui. Sophie, qui savait que son fils depuis toujours rêvait de monter à Paris, avait accepté cette solution car depuis l’anniversaire surprise en 2005 qu’elle avait organisé, elle avait sympathisé avec Emilie, la maman de Charles et assez régulièrement elles se donnaient rendez-vous pour les vacances à La Flotte. Sans sa proposition de prendre Marc chez elle, Sophie ne voyait pas d’un bon œil de laisser Marc seul à Paris à tout juste quinze ans. Stéphanie, elle, voulait préparer une Licence à la faculté de Lettres de La Rochelle. Elle ne souhaitait pas s’éloigner trop de tous ceux qu’elle aimait et elle préférait garder ses habitudes comme toujours. La séparation se passa cette fois-ci plutôt bien.   

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