Hors du temps – 1ère partie – 8 – La rentrée 87

7 mins

La rentrée – année 1987



A notre retour, j’étais certaine que cette année serait la première d’une longue série où Margaux et moi serions les héroïnes, elle dans le domaine des arts et moi dans celui de la médecine. L’année avait bien commencé pourtant nous n’arrivions pas beaucoup à nous voir. J’avais un travail colossal et Margaux sortait pas mal avec ses nouveaux amis, d’autant qu’elle ne vivait plus chez ses parents qui lui avait loué un studio rue de la Muette à deux minutes à pied des Beaux-Arts.

Quant à moi, ses parents me prêtaient toujours leur chambre de bonne qui était devenue un joli petit studio au fil des années. Je leur avais d’ailleurs proposé pour la première fois de leur payer un loyer car j’avais eu une bourse. Ils s’y étaient opposés, prétextant que j’avais largement assez de dépenses. Touchée par leur gentillesse, je n’avais pas vraiment insisté car en fin de mois, il ne me restait pas grand-chose.

Le samedi 24 octobre nous avions trouvé un moment avec Margaux pour déjeuner ensemble, elle m’avait annoncé qu’elle avait fait la connaissance d’un certain Romuald dont la sœur, élève comme elle aux Beaux-Arts, tentait sa chance dans la sculpture. Elle n’avait pas cessé de me parler de son nouvel ami. Il faisait des études d’architecture à Grenoble mais je n’en savais pas plus. Margaux m’avait promis d’organiser un dîner le week-end après le 1er novembre car elle savait qu’étant en vacances, je serais un peu plus disponible que d’habitude, son ami serait quant à lui à Lyon à cette période.

Depuis la rentrée, je n’avais pas eu le temps de me sentir seule, je travaillais dix-huit heures par jour. En croisant la maman de Margaux dans la cour, elle m’avait fait remarquer que j’avais une petite mine, il ne lui avait pas fallu longtemps pour en déduire que je ne devais pas manger à ma faim. Alors de temps en temps le soir en rentrant de mes cours, je trouvais à la porte de ma chambre un petit panier-repas avec un petit mot « si tu as besoin de quoi que ce soit, passe à la maison à n’importe quelle heure, bon courage et bon appétit. Marilyne ». A cette époque, je n’avais pas le temps de penser à grand-chose pourtant souvent je réfléchissais à ce que je serais devenue sans le soutien des parents de Margaux. La semaine avait passé comme toutes les autres, puis la suivante était arrivée tout rapidement et je profitais de mes vacances pour travailler encore plus que d’habitude.

Les cours avaient repris depuis une dizaine de jours quand la mère de Margaux était venue un soir vers 19 heures frapper à ma porte. Elle voulait savoir si j’avais vu Margaux ces dernières semaines et notamment pour les vacances de la Toussaint. Je m’excusais lui expliquant que depuis la rentrée nous ne nous étions vues qu’une seule fois. Je pris conscience que le temps avait passé et que Margaux avait omis de m’appeler comme prévu. Ne voulant pas inquiéter sa mère, je lui promis de la prévenir dès j’aurais de ses nouvelles. Je tentais de lui expliquer qu’elle avait dû avoir énormément de travail de son côté sans lui préciser qu’elle pouvait éventuellement être chez son nouveau petit ami dont visiblement elle n’avait pas entendu parler.

Ce soir-là, je n’avais pas la tête à travailler, j’avais tenté à plusieurs reprises d’appeler Margaux sur son portable, elle ne décrochait pas, seul son répondeur se mettait en route. Le lendemain, j’étais passée à son studio qui était fermé, j’appris par un voisin qu’il n’avait pas vu Margaux depuis au moins dix jours peut-être plus. Il me conseilla de rencontrer la jeune fille au fond du couloir avec laquelle Margaux avait sympathisé. Je suivis ses conseils sans beaucoup de succès, elle non plus n’avait pas de nouvelles, la dernière fois qu’elle l’avait vue, elle prenait un taxi devant les Beaux-Arts. C’était le vendredi juste avant la fin des vacances, elle avait avec elle une petite valise et elle avait pensé qu’elle allait rejoindre son copain pour les vacances. Je n’avais pas appris grand-chose, toutefois je me décidais en rentrant à en parler à Marilyne, peut-être avait-elle eu entre-temps des nouvelles de Margaux.

La disparition – Novembre 1987

Toute cette semaine, je n’avais eu aucun courage pour me mettre au travail. J’étais préoccupée par la disparition de Margaux. Je me demandais où elle avait bien pu aller. J’avais été obligée de parler à ses parents de mes soupçons d’une éventuelle fugue avec son nouveau petit ami dont je ne savais presque rien si ce n’était son prénom, Romuald, et qu’il était lui-même étudiant, en architecture à Grenoble, enfin que Margaux l’avait connu par sa sœur qui était inscrite comme elle aux Beaux-Arts et faisait de la sculpture. C’était peu de choses néanmoins cela eut le mérite de supposer que leur fille reviendrait sans doute vers eux après sa fuite en amoureux. Cependant le père de Margaux n’attendit pas pour prévenir la police de l’éventuelle disparition de sa fille. Il ne voulait prendre aucun risque en espérant que celle-ci commence une enquête et transmette sa photo au sein de leurs différents services.

Plus le temps passait plus la tension montait d’un cran. Je n’arrivais plus à me concentrer sur rien et je pris conscience que même si Margaux n’était pas très présente ce début d’année à mes côtés, je la sentais malgré tout, très proche. Depuis son départ, j’éprouvais un vide énorme. C’était idiot pourtant toutes ces années, il me semblait que si j’avais réussi à avancer ce n’était que grâce à elle, j’en étais désormais tout à fait certaine. Sans elle, je redevenais la petite gamine effrayée puis rebelle des cités que j’étais le jour où nos chemins se croisèrent. Je me retrouvais amputée de l’élément essentiel qui me permettait de penser, d’exister, d’être ce que j’étais devenue grâce à elle au fil du temps. En y réfléchissant, je me sentais très égoïste de ne penser qu’à moi à cet instant précis alors que peut-être il lui était arrivé quelque chose. Et si elle n’était pas partie de son plein gré avec ce petit ami, si elle avait été enlevée ou pire encore si elle était séquestrée quelque part par un individu qui pouvait lui faire du mal.

Le jour je n’arrivais à travailler et la nuit je n’arrivais à dormir sans faire d’horribles cauchemars. J’avais l’impression de revenir dix ou douze ans en arrière, à l’époque où ma mère était tombait malade, avec l’angoisse permanente qu’elle meurt et que je me retrouve toute seule dans la cité. Je vivais avec la peur au ventre en allant à l’école ou quand j’en revenais. Je pensais ces souvenirs dernier moi cependant ils n’avaient pas tardé à refaire surface plus rapidement qu’ils ne s’étaient estompés.

Francis, le père de Margaux, avait remué ciel et terre pour retrouver sa fille, il avait tenté de trouver la sœur de l’éventuel petit ami qui était au Beaux-Arts, puis il était monté à Paris, enfin il avait été à Grenoble à la recherche de ce petit ami. Il était déjà extrêmement difficile de retrouver une personne qui possédait un nom de famille alors un inconnu avec si peu de détails, c’était presque impossible. Pourtant, il avait réussi à mettre la main sur la sœur du soit disant petit ami. Elle s’appelait Claire et se trouvait en deuxième année aux Beaux-Arts, son frère était bien un dénommé Romuald, étudiant en architecture à Grenoble, or depuis le mois de novembre, il n’avait pas eu de nouvelles de Margaux lui non plus. Il avait passé le premier week-end de novembre avec elle, week-end où elle aurait dû me présenter ce fameux garçon. Je m’en voulais d’avoir laissé passer cette date, j’aurais dû à l’époque la joindre pour lui rappeler son invitation.

A cette période, j’étais préoccupée par mon concours, égoïstement, je ne m’étais pas soucié de mon amie qui à l’inverse de moi, avait su m’écouter lorsque j’avais eu besoin d’elle. Je n’étais pas digne d’être son amie, de vivre presque sous son toit, grâce au soutien de ses parents que je n’osais plus regarder en face en les croisant dans la cour de l’immeuble. Je n’avais aucun droit de continuer mon chemin comme si de rien n’était. Et un soir tandis que j’étais décidée à tout plaquer, la mère de Margaux était montée me voir ; en entrant elle avait remarqué mes cartons et m’avais regardée avec un air perdu puis elle m’avait demandé si moi aussi je comptais fuir ou disparaître comme Margaux. Et là, nous étions tombées dans les bras l’une de l’autre, pleurant sans pouvoir nous arrêter. Cela faisait près de deux mois que je n’avais pas vu Margaux et malgré les recherches incessantes de son père depuis le mois de novembre, nous étions toujours sans nouvelle.

Ce soir-là, Mariline m’avait suppliée de ne pas prendre de décision sur un coup de tête, m’expliquant, qu’à son retour Margaux aurait besoin de nous tous pour reprendre le cours de sa vie. Elle m’expliqua que je devais faire ça pour elle et pour sa fille. Elle bredouilla qu’elle ne vivait plus depuis la disparition de sa fille, le jour elle déambulait comme une somnambule et la nuit, elle n’arrivait pas à dormir sans faire d’horribles cauchemars. Nous éprouvions les mêmes angoisses et cela nous avaient rapprochées encore davantage cette année-là. Ce même jour, elle m’avait aidée à défaire mes cartons et m’avait fait promettre de ne pas m’enfuir ou du moins sans lui en parler avant. Puis elle m’avait demandé de descendre pour dîner avec elle, son mari était en déplacement pour trois jours et elle ne se sentait pas le courage de rester seule chez elle. J’aurais pu lui dire que moi non plus, je n’avais plus eu le courage de rester seule et c’était la raison pour laquelle j’avais voulu partir toutefois je n’en avais rien dit.

Après dîner, Mariline m’avait demandée de rester coucher chez elle, dans la chambre d’amis, je n’avais pas osé refuser. Comment aurais-je pu lui faire cela, à elle qui durant toutes ses années ne m’avait rien demandé en échange de leur aide, leur soutien, et le temps qu’ils m’avaient consacré même s’ils le faisaient avant tout pour Margaux. Ils étaient devenus la seule famille que j’avais et que je n’aurais jamais. Au retour de Francis, j’avais réintégré ma chambre et personne n’avait su que durant ces trois jours je m’étais installée chez eux. Francis était toujours très gentil avec moi mais qu’aurait-il pensé s’il m’avait vu dans son appartement, – vivre la vie de sa fille -, profiter de son confort alors qu’elle pouvait être prisonnière, malade ou pire encore. Je savais que durant ces trois jours, j’avais espéré que Francis ne rentre pas plus tôt de son voyage car je n’aurais pas su justifier ma présence. J’avais moi-même honte d’être là tandis que Margaux n’y était pas. J’avais l’étrange impression de vampiriser sa vie, de n’être aujourd’hui que son double, j’étais un squatteur qui s’incrustait et profitait de la situation pour s’infiltrer et prendre la place d’une autre.

Je n’avais pas vu arriver Noël, ni la fin de l’année, je n’allais plus à la fac, j’avais baissé les bras. Cependant j’avais reçu les papiers d’inscription au concours et je savais que je n’aurais définitivement plus aucune chance de devenir médecin. La bonne étoile qui m’avait protégée, n’était plus là et mon courage, ma force, ma détermination s’étaient envolés avec elle. La mère de Margaux venait régulièrement me voir dans la journée, elle savait que je préférais ne pas être confrontée à son mari qui contrairement à nous, n’avait pas baissé les bras. Jour et nuit, il arpentait les rues de Lyon ou des villes dans lesquelles il était en déplacement au cas où Margaux pourrait réapparaître par miracle.

Mariline ne voulait pas que j’arrête mes études au moins en mémoire de sa fille, et si je ne me sentais pas le courage de poursuivre médecine, je devais rediriger mes prétentions vers ce qui m’avait paru accessible à l’époque, des études d’infirmières. Elle m’avait motivée à aller aux journées portes ouvertes de l’IFSI et à m’inscrire pour l’année suivante, elle tenait à ce que je le fasse pour elle et Margaux. Prétextant qu’à son retour elle serait heureuse de voir que malgré son absence j’avais suivi ses conseils et je n’avais pas baissé les bras. Ce fut sans grande conviction que je lui avais obéi. Depuis presque deux mois, je ne faisais plus rien de toute la journée, elle avait raison, je devais me ressaisir et avancer.

No account yet? Register

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Lire

Plonge dans un océan de mots, explore des mondes imaginaires et découvre des histoires captivantes qui éveilleront ton esprit. Laisse la magie des pages t’emporter vers des horizons infinis de connaissances et d’émotions.

Écrire

Libère ta créativité, exprime tes pensées les plus profondes et donne vie à tes idées. Avec WikiPen, ta plume devient une baguette magique, te permettant de créer des univers uniques et de partager ta voix avec le monde.

Intéragir

Connecte-toi avec une communauté de passionnés, échange des idées, reçois des commentaires constructifs et partage tes impressions.

0
Exprimez-vous dans les commentairesx