L’école d’infirmières – Septembre 1988
Grâce au soutien de Mariline, j’avais présenté le concours en juin 1988 et j’avais été retenue pour la rentrée suivante. J’étais encore sous le choc lorsqu’à la rentrée de septembre j’avais intégré l’école d’infirmières. Les cours me plaisaient, cela n’avait rien à voir avec les quelques mois de torture que j’avais fait en faculté de médecine. C’était plus concret, j’avais à la fois des cours théoriques et des stages pratiques qui commencèrent dès le premier trimestre. J’avais eu la chance de participer à un stage à l’hôpital des enfants malades, celui-là même où j’avais rencontré Margaux six ans auparavant. L’hôpital avait changé comme moi, toutefois l’association « Petits Princes » qui officiait à l’époque était toujours présente. Margaux avait réalisé toutes ses photos grâce à sa collaboration avec cette association.
J’aurais aimé pouvoir en parler avec quelques-uns de ses membres, je ne savais pas comment aborder le sujet. Les jeunes qui étaient présents désormais ne pouvaient pas connaitre Margaux mais pouvaient avoir entendu parler de ses photos. Je m’étais promise de faire cette démarche, qui pour l’heure pouvait attendre un peu, tout était encore trop dur à évoquer pour moi. Pour cette raison et pour mille autres dès le début de l’année, je m’étais totalement investie dans le travail et le reste du temps libre que j’avais, je le consacrais à la recherche de Margaux. J’avais pris contact avec tous ses anciens amis que j’avais réussi à retrouver grâce à Mariline. Je ne pouvais pas croire qu’elle avait disparu à jamais, je le sentais dans mes « tripes ». S’il lui était arrivé malheur, je l’aurais ressenti, j’essayais de m’en persuader pour continuer à avancer et à chercher où elle pouvait désormais être.
Le mois d’octobre allait bientôt finir et le mois de novembre démarrerait, c’était une période difficile pour moi comme pour tous ceux qui avait perdu Margaux. Le dernier week-end d’octobre, j’avais eu au téléphone mon ami Xavier avec qui j’étais toujours restée en contact depuis notre rencontre à Collioure l’année du bac. Il avait de son côté intégré une classe préparatoire, il se trouvait désormais en deuxième année au lycée Henri IV. Comme toujours, il était premier de classe ; il voyait peu son ami Charles-Henri qui, contrairement à lui, avait dû repiquer sa terminale. Depuis cette période, nous nous écrivions assez régulièrement cependant à la disparition de Margaux, on s’était mis à s’appeler presque tous les soirs. C’était en partie grâce à lui que j’avais sorti la tête de l’eau l’année précédente. Il n’avait cessé de me soutenir dans toutes ces épreuves et il m’avait promis de venir me voir dès que j’aurais intégré l’école d’infirmières.
Il avait quelques jours pour la Toussaint et sachant que ce moment serait difficile pour moi, il m’avait proposé de venir passer deux jours. Je l’attendais avec impatience, je comptais les jours, plus que deux jours. Il arrivait en train le samedi 5 novembre à 10h03 et repartait dimanche 6 novembre vers 18 heures. J’avais prévenu la mère de Margaux qui semblait heureuse pour moi et qui m’avait proposé de ne pas hésiter à la joindre si j’avais besoin de quelque chose. Je lui avais promis de passer la voir le dimanche en fin d’après-midi après le départ de Xavier car son mari était encore absent ce week-end-là. Depuis quelques temps, il était toujours en voyage, sans doute avait-il besoin de s’occuper pour ne pas penser. Parfois je me demandais s’il se rendait compte que sa femme avait aussi besoin de lui. Je n’avais guère osé lui en parler mais si j’avais eu plus de courage j’aurais dû le faire. Mariline était si triste et morose ces derniers temps que quelquefois je craignais qu’elle ne fasse une bêtise, souvent en la croisant j’avais l’impression qu’elle n’était pas dans son d’état normal.
Un samedi matin où elle était seule, je passais la voir et constatais tout un tas de médicaments sur la table de la cuisine qu’elle avait pris la peine de faire glisser dans un tiroir dès mon entrée. Je me gênais moins avec Mariline et souvent nous discutions comme des amies. Ce jour-là, je m’en étais ouverte directement avec elle, lui expliquant que ma mère avait fini par se tuer à prendre tout un tas de cachets. Je lui avais déconseillé de faire de même, contrairement à ce qu’elle pensait toutes ces pilules ne faisaient que l’abrutir, ils la déconnectaient avec la réalité. J’insistais sur le fait que Margaux n’aurait pas validé cela, sachant que son avis avait bien plus de poids sur elle que le mien, bien qu’elle n’était pas là pour le valider, sa mère savait que je disais vrai.
Xavier arriva comme prévu et nous étions tombés dans les bras l’un de l’autre, cela faisait si longtemps que je n’avais pas sentie autour de moi, des bras qui m’entourent d’un peu d’affection, je n’avais plus eu envie de le lâcher. Il ne connaissait pas Lyon, alors j’avais fait de mon mieux pour lui faire visiter ce qu’il y avait à voir ; le soir, nous étions rentrés chez moi, nous étions épuisés. Nous avions dîné puis vers 22 heures nous nous étions couchés. Malgré notre fatigue, nous avions parlé jusque tard dans la nuit, Xavier me raconta sa vie. Il était certain qu’il n’avait pas subi ce que j’avais vécu dans la cité or sa vie n’avait pas été simple. Ses parents avaient toujours été concierges, avant de prendre la loge dans l’immeuble de Charles-Henri. Ils avaient été gardiens dans le XVIIIème arrondissement, un quartier où ils avaient toujours été plutôt mieux considérés. Jusqu’à la fin du collège, les choses avaient été plus simples avec des camarades de classe souvent d’un milieu social quasiment équivalent. Les propriétaires et locataires des immeubles étaient bien plus respectueux envers leur gardien, et leurs enfants respectifs se côtoyaient sans attacher la moindre importance au milieu social des uns et des autres.
Toutefois les parents de Xavier voyant le potentiel scolaire de leur fils, ils avaient voulu lui donner toutes ses chances en intégrant un des meilleurs établissements de Paris. C’est ce qui les poussa à déménager dans le XVIème arrondissement, un quartier très chic où il pourrait aussi rencontrer des jeunes d’un bon milieu. C’était sans penser que peut-être, il aurait pu subir bon nombre d’humiliations dont Xavier n’avait jamais osé parler à sa famille, qui faisait tant pour lui. Lorsqu’il avait sympathisé avec Charles-Henri, ses parents avaient été très fiers, ce nouveau copain était plutôt sympathique. Pourtant Xavier savait pertinemment qu’il ne serait jamais totalement accepté par ses soi-disant amis qui n’avaient pas hésité une minute à laisser Charles-Henri sur le bas-côté de la route après son échec au baccalauréat tandis que Xavier continuait à le voir et parfois à l’aider en maths.
A la fin du week-end, j’en savais infiniment plus sur Xavier et lui-même avait appris à mieux me connaitre. Nous étions très heureux de ce week-end, et quand je le quittais sur le quai de la gare, j’étais triste de me dire que nous ne nous reverrions pas avant longtemps. Comme promis, j’étais passé voir la maman de Margaux à qui je racontais mon week-end. Elle avait ri, et cela m’avait fait du bien de la voir ainsi. Elle m’avait prédit un bel avenir avec ce garçon qui avait su émouvoir mon cœur.
Le retour – Décembre 1988
Mon premier stage arrivait à sa fin et tout s’était parfaitement déroulé, mon maître de stage était content de moi. Ne maîtrisant pas encore ce futur métier, j’avais essayé de suivre tous les conseils de tous ceux avec lesquels j’étais en relation ; les infirmières en poste, les élèves stagiaires de deuxième année m’avaient beaucoup aidée et un infirmier m’avait pris sous son aile durant toute cette période. Le mois de décembre arriva plus vite que prévu cette année et 14 décembre 1988 en rentrant de mes cours, j’avais trouvé un mot de la mère de Margaux sur ma porte – On t’attend pour dîner ce soir avec Margaux à la maison. Mariline -. Je crus tout d’abord que Mariline avait perdu la tête. Je déposais mes affaires et quatre à quatre je descendais les escaliers de service pour remonter dans une foulée identique les trois étages qui menaient à l’appartement des parents de Margaux. Avant de sonner à la porte, je reprenais mon souffle pour ne pas donner l’impression que j’avais détalé comme un lapin. Mariline vint m’ouvrir la porte et me prit dans les bras en me confirmant que Margaux était effectivement rentrée. Je me dirigeais vers le salon avec un nœud à l’estomac quand je pus constater que mon amie était revenue. Elle avait changé, maigri peut-être, et elle avait coupait ses beaux cheveux. Je m’approchais d’elle pour la prendre dans mes bras tandis qu’elle évita mon regard. Nous nous étions embrassées puis observées. Je ne savais pas quoi dire et ce fut son père qui nous sortit de notre torpeur.
Mariline nous demanda de passer à table, elle avait préparé le repas préféré de sa fille, un avocat avec des petites crevettes en entrée puis des pâtes à la Carbonara avec un bon dessert, une mousse au chocolat. Sa mère était surexcitée et me cessait de l’embrasser à chaque fois qu’elle allait et venait entre la cuisine et la salle à manger, son père quant à lui aurait voulu tout savoir de sa fille et lui poser mille questions sur cette année passée loin de chez elle. Néanmoins il ne dit rien. Quant à Margaux, elle se tut ou presque aucun sons ne sortit de sa bouche et elle toucha à peine à son repas. Après dîner, elle pris rapidement congés et regagna sa chambre.
Nous étions tous les trois restés comme figés autour de la table. Mariline s’en voulut d’avoir précipité les choses et de m’avoir invité à dîner avec eux. J’allais me retirer au moment où son père me demanda de rester quelques minutes, il voulait savoir comment j’avais trouvé sa fille. J’étais son amie depuis si longtemps, il pensait que j’avais peut-être vu quelque chose qui lui avait échappée. Cependant j’avais été incapable de lui dire ce qu’il attendait de moi. J’expliquais qu’il était sans doute normal qu’elle soit ainsi, nous ne savions encore rien de ce qui s’était passé durant plus d’un an et nous devions être patients avec elle et juste lui montrer que désormais nous étions là pour l’aider.
Je savais de quoi je parlais, par le passé lorsque j’avais fait mes fugues, je rentrais dans son état. Devais-je le leur dire ou devais-je garder le silence ? Je n’arrivais pas à me décider à parler et c’était donc sans leur apporter plus d’aide que je pris congés. Je partis un peu honteuse de ne pas avoir réussi à leur donner plus d’espoir à eux qui m’avaient tant donné toutes ces années.