Au fil de Soi
Ni lire, ni écrire, je ne sais.
Point d’école en mon enfance,
Mais la chaleur d’étuve des ateliers.
Et tu me demandes, ma belle enfant,
Si je jouais ?
Travail du petit matin au soleil couchant,
Mains rouges et gonflées
A tirer les fils de soie
Des cocons éventrés.
Et est-ce que l’on parlait ?
Oui et on riait car
Enfants nous étions.
Mais ces rires de fils de peine
Etaient tissés,
Peine du travail sans fin,
Peine de respirer l’odeur de pourriture,
Peine de petites filles en esclaves malmenées.
L’odeur de la mort
Partout nous suivait.
Partout nous étions
De la soie les fillettes.
Parfois l’idée m’est venue
De me laisser glisser
Dans l’eau bouillante.
Peut-être de mon corps
Aurait-on tiré un fil de moi,
De mon Soi un fil doré,
Merveilleux, irisé,
Et tisser un tapis
Volant dans l’azur
Comme mon âme libérée
Du travail sans fin
De la chaleur humide
De l’odeur des chrysalides mortes.
Et puis ton père est venu.
Mes chaînes de soie il a coupé
Et tu es née ma douce enfant,
Ma promesse pour l’avenir.
Jamais tu ne verras
Tes mains rouges et gonflées.
Tu apprendras, tu joueras, tu lieras, tu écriras,
Pour mes compagnes d’autrefois,
Tu porteras témoignage de la joie.