Et Manini composa.
Sans aucune concession au public, à la mode, aux conventions. C’était la même musique éternelle qui se dit dans les œuvres inspirées, mais passée par le filtre nouveau et unique d’Arachmaninoff.
Cette musique fit scandale.
Elle transgressait les limites entre les espèces. Elle invitait à ressentir ce continuum de conscience dont l’être humain n’est qu’une des extrémités. Et comment le point final existerait-il sans la phrase qui le précède ? Elle plaçait l’homme au bout de la phrase. Elle lui murmurait ce qui le précède et le soutient. Elle ouvrait sous ses pas, par son refus, le gouffre de l’isolement et de l’orgueil. Elle l’appelait à s’incliner devant la création, comme le roi s’incline pour guérir les écrouelles. Et dans cette inclinaison, à grandir d’une grandeur qui n’écrase pas mais qui accueille. Peu s’inclinèrent, mais en eux Manini trouva son public.
C’était une petite communauté hétérogène et interlope. Elle se choisit un symbole : une danseuse en tutu au visage stupide avec la syllabe VA inscrite à ses pieds. Les médias ne parvinrent jamais à en élucider le symbolisme. Ils étaient pourtant à l’origine de sa conception : ils appelaient Arachmaninoff la tare. La danseuse était le symbole de la tare avec son visage stupide et elle portait un tutu en tulle. La tarentule. De plus le siège des activités se trouvait à Tulles : à nouveau la tare en Tulles. Le VA avait une connotation religieuse certains considérant Manini comme le nouveau Messie. Pour eux la tare devenait l’aVAtar. Et l’araignée devenait la régnée, celle qui devait régner. L’animal, la ni mal ni bien. Celle qui a dépassé la dualité et qui vit dans l’unité.
Cette religion fit scandale.
On parla de secte. A tort. Car loin de séparer, elle unissait toutes les espèces dans un continuum de conscience.
Manini resta étrangère au culte dont elle faisait l’objet. Jusqu’à la fin de sa vie, la musique resterait sa seule religion.
Le scandale était comme une eau tranquille soulevée soudain par une énorme tempête : toute la vase accumulée depuis des siècles sur les fonds était soulevée par des courants puissants de peur et de colère. L’atmosphère se chargeât d’une eau boueuse et trouble. Pour calmer les foules, la musique de Manini fut interdite. En plus d’un lieu, on brûla ses partitions. Certaines danseuses au visage ingrat furent même persécutées. Quand aux araignées, des chasses, des battues les firent disparaître par milliards.
C’était le prix à payer.
L’ARAIGNEE QUI VOULAIT DEVENIR PIANISTE – chapitre 16
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