L’ARAIGNEE QUI VOULAIT DEVENIR PIANISTE – chapitre 22

Ce premier essai fut un échec : aucun œuf ne se développa. Je crois que nous n’étions pas prêts à accueillir les Humachnides.
Et puis un autre problème me préoccupait : si l’avenir de la vie sur notre belle planète dépendait de nos tentatives, il me déplaisait que nous restions prisonniers des chaînes. Ce ne serait pas l’éclosion véritable de la liberté. Je veux parler des chaînes alimentaires.
Que de par notre hétérotrophie, nos corps ne soient que le fruit de la dévoration d’autres corps et qu’à leur tour, un jour, ils deviennent nourriture pour nos dévorateurs futurs, me rendait insatisfait sur le plan spirituel. Le monde d’en haut étant à l’image du monde d’en bas, je craignais qu’à leur tour, nos âmes, une fois libérées de nos corps, ne soient dévorées par d’autres âmes.
Si une nouvelle espèce, aboutissement provisoire de l’évolution, devait voir le jour, cette question devait trouver une réponse satisfaisante.
Il fallait intégrer les chloroplastes, ces petits organites intracellulaires, assez semblables aux mitochondries, qui permettent aux végétaux autotrophes d’extraire le carbone du CO2 atmosphérique pour fabriquer leur propre matière vivante : il fallait intégrer ces chloroplastes dans les cellules de cette nouvelle espèce, hybride de l’arachnide et de l’homme, hybride par cette intégration du monde végétal autotrophe et du monde animal hétérotrophe.
Et n’étions-nous point à l’époque du réchauffement climatique provoqué par l’augmentation inexorable du taux de CO2 atmosphérique ? Cette nouvelle espèce assurerait sa croissance et son développement en capturant directement le CO2 atmosphérique pour synthétiser sa matière organique. L’inéluctabilité du réchauffement climatique ne serait bientôt plus qu’un lointain cauchemar.
Le doute n’était plus permis : l’avenir appartiendrait aux Humachnides chloroplastiques.
Pensez au nombre d’événements hautement improbables pour en arriver là. A cette petite araignée venue coller son cocon dans un piano. A son unique descendante bercée par la musique. A ses oscillations rythmées, à sa toile de maître par laquelle s’établit la communication inter espèces. A sa croissance inattendue provoquée par le Redbul. A sa passion pour la musique. A la défection des mâles de son espèce. A la modification des boissons énergisantes et à ces accouplements monstrueux mais nécessaires pour que l’avenir se dise. Ou tout au moins son projet.
Mais après tout, la vie n’est-elle pas apparue et n’a-t-elle pas évolué elle aussi par une suite d’événements hautement improbables ? Notre belle planète eut-elle été quelques dizaines de millions de kilomètres plus proche ou plus lointaine du soleil et c’en était fini de nous. Essayez de vivre sur Mars ou sur Vénus. L’eau y est trop rare et la glace et la vapeur ne font pas bon ménage avec la chimie de la vie.