Par où commencer ?…
Plus d’une semaine après mon retour je couche enfin sur le papier les sentiments qui m’ont animé. Quelle confusion dans les extrêmes qui me traversent depuis que j’ai retrouvé mon chez moi. Entre fierté et tristesse. J’ai choisi de ne rien étaler sur les réseaux pour éviter que mon message ne soit mal compris ou détourné de sa motivation première. Un retour qui plus est, effectué avec précipitation et incertitude dans des derniers jours bien impactés par le contexte sanitaire actuel.
Que vous dire en premier ? Qu’un petit mois c’est court. Trop court ! Bien trop court pour pouvoir vous rapporter des informations ne souffrant d’aucune perception maladroite de ma part. Difficile de vous rapporter les choses non seulement comme je les ai vues, mais aussi comme elles sont vraiment au fond. Mais je m’y aventure.
Beaucoup m’ont demandé ce que je retenais de ce voyage. Du sable, partout du sable. Tout a la couleur du désert. Et puis un arbre, puis un autre, des géants au troncs solides à l’ombre généreuse…Des maisons simples, quelques immeubles, tous ternes. Comme pour dire que l’important se trouve ailleurs. Dans ce qui bouge. La vie. En couleurs et haute définition. Tout ce qui vit et « s’agite » ici porte haut le drapeau d’une Afrique chaleureuse et riche. Quel paradoxe !
Dans les rues bourdonnent voitures motos, cars, charrettes, vendeurs ambulants, chèvres, moutons, poules. Tout cela vit ensemble. Les voix des hommes et des femmes, le bruit des jeux des enfants et l’appel des minarets se mélangent. Les odeurs s’ajoutent. Le dépaysement voulu est total. Pour nous européens cela ressemble à un bazar monstre mais tout est naturel pour qui veut bien ouvrir ses yeux. Les tissus, les tuniques, les boubous, tous portés majestueusement. Colorés, variés, brillants parfois totalement illogiques mais fascinants. S’empêcher de les admirer serait sacrilège !
Cette chaleur est présente aussi dans les cœurs.
« Bienvenue au pays de la Teranga » m’a-t-on dit.
En wolof, Teranga vient de « teer » qui signifie accueillir. Il n’y a pas grand-chose à ajouter tant cet état d’esprit est partout. La Teranga, c’est l’accueil de l’autre, le fait de se saluer, de partager un thé. Ici l’étranger doit être bien accueilli non seulement en paroles mais aussi en actes. Hospitalité, solidarité et partage sont des traditions. Pratiquées avec sincérité elles amènent, le temps d’une conversation ou d’un repas, à partager son histoire ou son morceau d’humanité. Et c’est bouleversant. Je me souviens d’un homme qui stoppa sa course quotidienne sur la plage pour me questionner. Assis là, comme si nous nous connaissions depuis des années nous avons partagé – le temps d’un coucher de soleil – un moment amical.
Mais je ne peux oublier que sous mes pieds, mêlés au sable, des ordures, des morceaux de métal, des sacs plastiques, des gobelets dans lesquels a été servi le café Touba, des sachets d’eau vendus 50 francs CFA, de la vaisselle cassée. Ici seules les habitations longées par des routes goudronnées bénéficient d’un service de ramassage. Pour les autres un charretier s’improvise éboueur et va déverser les ordures du quartier dans un lieu public. Face à la problématique de santé actuelle et à l’enjeu écologique à long terme, les autorités sénégalaises semblent prendre (enfin) ces questions cruciales au sérieux. « Le plastique a fait trop de mal dans l’environnement. On ne peut pas continuer à faire comme si de rien n’était. Il faut que nous changions de comportement » déclarait le président Macky Sall le 4 janvier dernier. Des « cleaning days » ont été instaurés pour inciter les citoyens à nettoyer eux-mêmes leur quartier. Mais la route est encore longue…
Ce qui est fou c’est que ce Sénégal semble être figé entre un passé poignant et une volonté d’avancer coute que coute. Ma visite de Gorée m’a écorché. Ce triste symbole de la déportation de millions d’africains vers les Amériques vous glace le sang et vous serre le cœur. On y sent toute la souffrance passée, à la découverte de chacune des cellules. En entendant les explications du guide qui vous mène vers la porte du voyage sans retour, on a la gorge nouée. Une émotion incroyable.
Et au milieu de toute cette fusion de couleurs , de bruits et d’arômes, on m’apostrophe bruyamment « hey toubab toubab ! ». Ça y est voici mon premier contact avec des talibés. Difficile de transcrire le trouble exact que je ressens à cette rencontre. On a beau se dire qu’ils sont beaux avec leur sourire béat, on ne peut empêcher les yeux de se poser sur leurs habits sales, trop grands et déchirés. Contraints à mendier pour survivre, lorsqu’ils ne sont pas en train d’étudier le Coran dans les daaras, leur force provient de leur unité. C’est aussi leur meilleure défense. Ils font tout « en meute », dirigée et protégée généralement par un plus grand. Chaque jour est un combat contre la fatigue, la faim, la maladie, qu’ils vivent à plusieurs. Là aussi tout est partage. Je suis particulièrement touché de voir que ces enfants semblent avoir plus d’humanité que tant d’autres face aux douleurs de leur situation.
Ici le talibé fait parti des meubles. Très peu de passants ne font attention à eux, trop habitués à entendre leurs plaintes. Quelquefois une main se tend vers eux avec au bout un morceau de pain, des biscuits, des bonbons, des piécettes… mais l’indifférence et le mépris sont bien là. Mais qu’il est bien dur d’agir autrement : ils sont tellement nombreux. Il est impossible de donner à tous. Et c’est bien en cela que la charité devient une épine pour le cœur. Je ne le nie pas, bien souvent j’ai fait mine de ne pas les voir à la vitre de mon taxi. Nier leur voix récitant les versets du Coran appris par cœur, leurs mains à travers les fenêtres au moment de partir, et leurs regards profonds face auxquels je baissais le mien.
Un talibé est un talibé. Dans la rue il est appelé par ce terme. Personne ne se soucie de son prénom. Personne ne se soucie de son identité propre. Il est un parmi tant d’autres. Mais j’ai eu la chance de vivre dans une maison où le talibé est respecté. La porte sans cesse ouverte, pour qu’ils puissent boire, manger, se laver les mains. Une quinzaine de ces enfants restent là à jouer grâce à la protection discrète mais efficace de mes hôtes. Quel bonheur de voir chaque jour ces garçons de 4 à 10 ans passer à table avant même les habitants de la maison. Une leçon de vie.
Au centre chaque enfant se révèle. Les créatifs, pinceaux ou feutres à la main, les sportifs, autour des ballons, les curieux, parcourant les livres. C’est dans cette optique identitaire que l’on a voulu qu’ils puissent savoir d’où venaient leur prénoms et leur signification. C’est, je crois, tout le challenge du centre. Redonnez une identité à des enfants qui ne connaissent généralement pas leur âge, qui ne savent parfois pas d’où ils viennent. Le grand recensement des talibés dans les daaras voisins du Centre s’effectue dans ce sens.
S’affirmer, exister à travers ses émotions et ses choix. La singularité. C’est ce qui rend l’humanité magnifique. Etre unique, n’est ce pas ce que tous recherchent. Et bien il, en va de même pour ces gamins qui n’ont rien demandé et à qui la vie n’a pas réservé un sort évident. C’est tout le défi que se donnent les membres de l’association. Permettre à chacun de ces garçons de se sentir unique. Mendier. Voilà tout ce que les adultes leur ont appris. Des parents qui les conduisent auprès d’un maître coranique, bien souvent un marabout. Celui-là même qui les envoient dans les rues, réclamer du pain, du riz ou bien du sucre pour subsister. Abandon, esclavage, mendicité forcée, accident, abus physique, viol…leur quotidien.
Ce voyage ne m’aura pas changé en profondeur, impossible en si peu de temps d’en rentrer totalement chamboulé. Mais il m’aura montré ma petitesse. Non pas physique, celle-là je la connaissais déjà ! Non ! la spirituelle : celle qui est la plus dure à accepter. L’humilité de reconnaitre qu’on ne peut rien, seul, face à une telle situation. J’ai passé la moitié de ma vie à accompagner ou aider des jeunes, des ados et des gamins, de milieux défavorisés ou non, et pour une fois se sentir désarmé, et bien cela fait du bien. Déconcertant oui, mais enrichissant à la fois. Si on m’avait dit que se sentir faible pouvait rendre heureux…
Qu’il est difficile de prononcer cette simple phrase : « on n’y peut rien » ! C’est culturel, cela va au-delà de notre vision « européenne » du monde. Ça peut même paraître complètement inenvisageable dans nos pays si riches. Le plus fou c’est que le Sénégal a ratifié depuis 1990 la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. Mais le gouvernement ne se cache pas : le défi est grand entre signer et faire. Plus de 100 000 talibés mendiants aux carrefours des grandes villes étaient estimés en 2019. L’enjeu est colossal pour un pays dont la moyenne d’âge est de 22 ans. Le temps presse car certains ne verront peut être pas cet âge.
Mais de plus en plus d’associations se mobilisent sur place pour leur venir en aide. Quel espoir ! J’ai eu la chance de rencontrer une femme formidable, bénévole dans une autre association plus proche de Dakar. Association qu’un couple venu en voyage de noce et bouleversé par le sort de ces gamins des rues, créa il y a maintenant 30 ans. Imaginez ce qu’on peut faire en 30 ans. Elle me racontait les peines puis les réussites rencontrées au fil des années. Je sentais que des gens existent pour que les choses changent. Pour qu’un sourire d’enfant ne soit pas passager.
Alors oui tant que cet espoir existe !
Alors je ne veux pas de fin, mais une suite. Oui j’y retournerai. Bien mieux préparé et « au courant » de ce qu’il s’y passe. Tellement de choses peuvent encore être faites pour les sauver. Non pas les sauver tous, malheureusement il faut se faire une raison. Mais en sauver. Il y a quelques jours, dix jeunes de l’associations ont reçu leur attestation de formation d’électricien. Cette année dix adolescents suivent une formation de couturier et deux autres de boulanger. Quel espoir !
Alors je tenais à vous dire merci. À chacun. Pour votre soutien. Vos encouragements, vos conseils et vos mots réconfortant et touchant tout au long des mois, avant et après la mission. Pour votre générosité. Vos dons si nombreux venus remplir les réserves de l’association et redonner sourire à ces enfants. Vous avez été des compagnons d’aventures géniaux, toujours prêt à apporter votre pierre à l’édifice. Je n’oublie pas ceux qui ont participé financièrement à l’envoi des cartons, ceux qui ont appuyé les actions du centre en commandant des produits réalisés sur place. Plus de 350 euros, soit prêt de 45 petits déjeuners pour 150 enfants. Ce n’est pas rien !
Si vous le voulez bien nous allons encore essayer d’aider régulièrement. Il ne faut pas que cela s’arrête. J’ai pu repérer les manques principaux de l’association. Ardoises à pour la classe, gobelets en plastique rigide pour les petits déjeuners et des caleçons pour les douches.
Je crois qu’on peut encore le faire. J’ai cœur à croire que vous me suivrez une fois de plus.
Ce n’est pas la fin, c’est la suite.
✌✌
Si je comprends bien, avec 1€ on nourris presque 20 enfants?
Respect frero ❤️
Inspiration pour nous tous????????
Whaouh bravo Manu, respect… Cette expérience et ce récit me touche au cœur, continue…