Sylarius Chapitre 3-4

5 mins

     Il laissa passer un premier cab, nouvelle version. Un second arriva, c’était ce qu’il recherchait. Malheureusement, il était occupé. Ganel rumina et sentit son émographe vibrer. Instinctivement, il leva les yeux à la recherche d’une patrouille de la Tetra. Mais le quartier était relativement calme. La plupart de ceux qui travaillaient ici étaient enfermés dans leurs laboratoires.

     Il calma son esprit et prit son mal en patience. Enfin, son transport arriva. Il s’introduisit à l’intérieur et entra la destination. La borne de paiement le sollicita afin qu’il glisse son pass, mais au lieu de cela, Ganel inséra la plaquette bleu foncé reçue des mains de Mendev. Ainsi, le cab prendrait la destination voulue, mais un trajet différent serait enregistré dans la mémoire de l’appareil. Le tout, sous un faux nom. Ganel ne voulait pas laisser de traces.

     Le cab prit le même chemin qu’à l’aller, mais, au niveau du parc, il bifurqua vers l’ouest. La grande avenue longeait le parc pendant plusieurs mètres avant de déboucher sur des résidences modestes. Non loin de là, se trouvait le quartier des universités, étroitement surveillées à l’instar de la grande majorité des édifices publics. Ganel remarqua qu’un bâtiment avait été réquisitionné pour servir de quartier général aux militaires de l’armée stellaire. D’ailleurs, les soldats à l’uniforme pourpre, assignés également à la protection du Princeps, pullulaient dans les rues alentour. Une autre garnison importante avait pris place aux abords du palais du Princeps et du Sénat.

     Le cab continua son trajet. Il était relativement confortable malgré sa vétusté d’ancien modèle. Les fauteuils en cuir véritable, ou particulièrement bien imité, étaient chauffants et avaient même quelques fonctions pour détendre son hôte, à condition de verser un petit supplément. Mais Ganel n’y prêta pas attention. Son entrevue la plus importante de la journée l’attendait.

     Ils s’étaient donnés rendez-vous à proximité du stade, dans les travées d’une bibliothèque de seconde zone. Quand Ganel arriva sur place, son contact était déjà là.  Il faisait mine de feuilleter une revue scientifique sur l’ingénierie des ilots artificiels à la table la plus retirée. C’était à l’origine une table interactive destinée à la recherche d’informations sur les livres de la bibliothèque ou sur la base de données publique. Cependant, l’usure des connecteurs, visible aux angles de la table, indiquait qu’elle ne servait plus à cela depuis un moment. Ganel observa l’homme discrètement. Finalement, il ne faisait peut-être pas semblant de lire car il n’avait même pas levé les yeux à son arrivée. Après avoir flâner quelques minutes dans les rayons adjacents, Ganel se décida à choisir un essai numérique sur la terraformation. Cela rejoignait le domaine de lecture de son contact, et, une conversation entre deux personnes s’intéressant au même sujet ne paraitrait pas malvenue. Il s’assit donc à côté de l’homme, toujours plongé dans sa revue.

     Ce dernier était particulièrement imposant. Sa taille avoisinait vraisemblablement les deux mètres. Il avait le teint rougeaud, et des cheveux hirsutes et bruns encadraient une mine patibulaire. Il avait troqué sa tenue sénatoriale pour un assortiment vestimentaire démodé. Il paraissait plus vieux. Des lunettes rondes à bord noir étaient plantées sur son visage, lui donnant un faux air de retraité habitué des bibliothèques. Ses puissantes mains manipulaient sans ménagement le frêle écran devant lui.

– Bonjour sénateur, chuchota Ganel.

– Ce petit jeu ne me plait guère, Ganel, rétorqua Pyraliak acerbe. Et les pilules de vieillissement de votre…Mendev, commencent à éveiller les soupçons des médecins sénatoriaux.

– C’est pourtant nécessaire, monsieur. Un simple déguisement ne saurait vous masquer entièrement aux yeux des Antesignes.

– Venons-en au fait, rumina le sénateur. Avez-vous des nouvelles concernant notre ami commun ?

– Non, pas encore. Il a bien rejoint Elys à bord du vaisseau espion que vous avez fourni.

– Ah oui, le VIF… Vitesse Information Furtivité…, commenta Pyraliak pour lui-même. J’espère qu’il l’a détruit comme prévu à son arrivée.

–  Lors de son dernier rapport, il indiquait être sur le point de prendre un vaisseau pour rejoindre leur camp de base, ajouta Ganel. Il s’est fait passer pour l’un d’entre eux.

     Pyraliak fit une moue dubitative.

– Vous êtes sûr de votre homme ? Comment a-t-il pu réussir à s’intégrer si facilement ?

– Disons qu’il a des dispositions assez impressionnantes, monsieur. Le piratage informatique en fait partie.

– En tous les cas, rien ne doit remonter jusqu’à nous, insista le Patricien.

     Ils tâchaient de parler à voix basse, et, malgré la tension, l’un et l’autre maîtrisaient leur émographe.

– De votre côté, comment cela se présente-t-il ? hasarda Ganel.

– Le conclave aura bien lieu, et plusieurs Centraux m’appuieront. J’ai même retourné certains Pacifistes. Mais cette Edernacht est féroce, elle ne se laissera pas faire.

     Pyraliak regarda autour de lui. Au fond de la pièce, deux jeunes étudiants, un homme et une femme, semblaient travailler. Ils paraissaient perdus dans leur étude d’articles. Derrière Ganel, un homme âgé – mais l’était-il réellement ? – lisait d’une main et caresser la couverture d’un autre posé devant lui. Il était rare de voir quelqu’un tenir un livre en main, la fragilité des ouvrages avait poussé les bibliothèques à informatiser leurs ressources. De plus, ce comportement était à la limite du matérialisme ; montrer de l’affection pour un objet, voilà une chose qui dépassait la compréhension du sénateur. L’homme bougeait ses lèvres en lisant. Cela intrigua encore plus Pyraliak. Mais, il fit mine de se concentrer sur sa lecture.

– Il faudra peut-être envisager des mesures strictes, continua le sénateur laissant Ganel assez perplexe. Et je compte sur vous pour que vos « employés » demeurent très… silencieux.

– Assurément, acquiesça Ganel. Ce sera fait.

– Mon parti ne doit pas être soupçonné d’avoir participer à cette…opération, répéta-t-il. Nous avons déjà fourni un lourd tribut. Cette Laya Edernacht est une fichue idéaliste ! s’emporta-t-il en chuchotant. Seuls la maîtrise et le contrôle de notre monde nous garantirons la victoire finale. L’être humain doit rationnaliser ce monde, Ganel. Et éliminer les Eavas. Leur existence est une menace pour l’ordre ! Je ne comprends pas qu’Edernacht ne le voit pas… Il fallait leur ouvrir les yeux…

     Il interrompit sa diatribe car les deux jeunes gens avaient levé les yeux sur lui.

– Ce n’est pas l’endroit pour un discours sénateur, si je peux me permettre, suggéra Ganel la voix empreinte de respect. Je vous tiendrai au courant des développements de notre affaire.

     Pyraliak ne répondit pas. Ganel continuait de le fixer dans une attitude respectueuse. Le sénateur n’y prêta même pas attention. Il attendit un moment, rangea son livre numérique, puis sortit de l’établissement. Ganel se retrouva avec pour seule compagnie son traité de terraformation. Il le parcouru quelques minutes encore. Cette fois, il lisait vraiment, parcourant les pages avec intérêt. Il avait toujours trouvé cette discipline très intéressante. Remodeler un monde, pour le rendre viable pour l’être humain. Une pensée lui traversa l’esprit. A sa manière, de par son association avec Pyraliak, il transformait également le monde. Le syndicat prenait également une part active au développement de la bande de terre artificielle, censée joindre le continent nord, où il se trouvait, au continent sud.

     Un appel vint interrompre ses pensées. Il sortit prestement de la bibliothèque, non sans avoir subi les rappels de la surveillante bibliothécaire concernant le règlement. Une fois dehors, il regarda qui venait de l’interrompre. Gorka Pirel était son bras droit à Carciem, une ville où se trouvait le quartier général des Antesignes et, entre autres, la prison haute-sécurité d’Aeter. Le syndicat devait souvent intervenir dans cette région pour différents problèmes généralement liés à la pression subie par un grand nombre de travailleurs. Les Antesignes avaient à cœur de montrer l’exemple dans « leur » ville, et étaient particulièrement zélés. Comme d’habitude, la conversation allait être longue. Ganel décrocha.

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