Sylarius Chapitre 3-5

8 mins

    L’air frais du large balayait la nuit encore jeune. La ville s’allumait progressivement, faisant fuir les derniers travailleurs du jour. La plupart rentraient chez eux, mais d’autres, prenaient la direction de l’est, vers les grandes arènes.

     En bordure de la ville, un immense espace avait été aménagé pour accueillir cette construction colossale. A l’origine, les arènes étaient situées hors de la cité, mais l’urbanisation croissante avait vite comblait la distance. Le bâtiment était un chef-d’œuvre d’architecture elegent, pouvant prendre différentes formes selon le spectacle qui s’y déroulait ; oblongue pour les courses, pyramidale pour les duels ou encore sphérique pour les combats aériens… Concernant les affrontements grandeur nature, un dispositif spécial permettait d’étendre l’arène sur plusieurs hectares. Les spectateurs assistaient alors à de véritables scènes de guérillas dans des décors plus réalistes les uns que les autres. Cependant, les combats intégrant des êtres humains avaient été interdits peu avant la guerre. Ce n’était pas tellement pour la sécurité des participants, après tout, ils savaient à quoi s’en tenir, mais plutôt pour l’effervescence qu’entrainait ce genre de manifestation. Par le passé, l’arène était un lieu où l’on pouvait laisser libre cours à ses sentiments. Des hommes et des femmes étaient devenus de véritables héros, notamment lors de combats par équipe organisés dans différents décors ; jungle, tranchées, ville en ruine… Ils avaient été choyés, adulés même. Devant de telles déviances, la Tetra était rapidement intervenue. Quelques temps avant la guerre, plusieurs incidents graves avaient conduit les Antesignes à contrôler cette zone et à y établir des règles. Il fallait éviter tout débordement émotif, et surtout, de nouveaux morts.

      De l’arène montait une ferveur sourde. Les derniers retardataires arrivaient. On pronostiquait, on discutait stratégie dans les travées. La plupart des spectateurs étaient issus des plus basses castes de la société. Rares étaient les chevaliers à être présents. Quant aux hauts fonctionnaires, personne n’en avait jamais vu : la tribune officielle, censée les accueillir, restait désespérément vide.

      Face à une telle concentration de population, se tenaient les Antesignes. Ils étaient répartis le long de l’enceinte et assistés par des drones scanneurs, conçus pour repérer les alarmes d’émographes. Ainsi, les festivités se déroulaient sans encombre.

      Les premiers combats étaient les moins intéressants. Ils mettaient aux prises des petits concurrents, qui aimaient avant tout bricoler les robots et les machines en général. Au fur et à mesure de la soirée, les véritables protagonistes apparaissaient. Parmi toutes les catégories de combat présentées, celle du combat libre était la plus prisée. Bien évidemment, elle était le clou du spectacle.

      Dans cette catégorie, il y avait peu de règles. Toutes les armes étaient autorisées, à condition qu’elles n’aient pas la capacité de traverser les champs de force protégeant le public. Invisible, cette protection avait déjà sauvé de nombreuses vies. Mais, l’aspect singulier du combat libre, résidait dans le contrôle du robot engagé. En fait, il n’y en avait pas. Les concepteurs devaient cesser tout contact avec leur machine dès l’entame du combat. Il fallait donc programmer son engin avec la plus extrême précision, afin que celui-ci puisse faire face aux attaques de son adversaire. Au fil du temps, les concepteurs de robots destinés au combat libre s’étaient entourés de véritables équipes d’ingénieurs, de mécaniciens, et même, de militaires. On était loin des combats amateurs.

      Quelques jours avant la tenue de ce genre d’événement, avait lieu un grand tirage au sort pour déterminer les paires qui allaient s’affronter dans l’arène. Dès que le nom de l’adversaire était connu, les équipes s’acharnaient à programmer la meilleure stratégie. Il fallait s’adapter à son adversaire d’un soir, ce qui demandait une véritable réflexion commune. La plupart des équipes restaient anonymes, d’autres se faisaient un nom en engrangeant les victoires. Peu importait cette gloriole, au final, seules les programmations et leur efficacité étaient admirées. Il n’y avait pas d’homme porté aux nues, pas de supporter affilié à une équipe : seule comptait la performance. Mais, la présence d’une équipe réputée sur la programmation garantissait une soirée avec du spectacle.

      Pourtant, ces derniers temps, un robot captait de plus en plus l’attention des observateurs avertis, et également celle du grand public. Il restait sur une série de 52 victoires consécutives, et était en passe d’entrer dans l’histoire en atteignant le cap des 53, ce que personne n’avait réussi jusque-là avec sa machine. Son équipe était peu connue, et tirait les ficelles dans l’ombre. Mais, à chaque tirage au sort, un nom était craint par-dessus tous : l’Exégète.

      Cette masse de métal impressionnante faisait plusieurs mètres de haut. Affublé de deux canons de chaque côté de son corps principal, il pouvait bouger ces deux derniers dans toutes les directions. Ainsi, il couvrait tous les angles et tirait des salves de plasma en continue. Suite à ses premières apparitions, il avait fallu augmenter la puissance du champ de force protégeant le public, tellement sa puissance de feu était dévastatrice. Son concepteur, très discret, devait être assez influent pour oblitérer une règle de sécurité, et obliger à changer les dispositifs de sécurité de l’arène.

      A première vue, l’Exégète ressemblait à un gros container vertical d’où serait sorti des extensions figurant des bras et des jambes grossiers. Pourtant, ce colosse était rapide : il pouvait se déplacer en position bipède ou octipède, ce qui lui permettait d’affronter plus aisément des adversaires plus petits que lui. Il disposait en outre d’un bouclier ventral en position debout, et de multiples armes secondaires : onde de choc physique, générateur de court-circuit, onde magnétique… Cependant, toutes ces armes n’étaient rien en comparaison d’une spécificité qui lui avait valu de nombreuses victoires. Il pouvait littéralement cracher un filet jaunâtre qui emprisonnait et immobilisait ses adversaires. La dangerosité de ce filet résidait dans le fait qu’il était en matière organique, s’adaptait à la taille de ses cibles, et pouvait parfois faire fondre leur armure métallique. Un tel potentiel destructeur réunit dans une machine solide et rapide était la preuve d’une intelligence hors norme en matière de robotique.

      L’Exégète régnait donc en maître sur l’arène. Il semblait promis à la grande victoire finale au tournoi organisé chaque fin d’année, et qui pouvait rapporter de très sérieux avantages à ses vainqueurs.

      On venait à peine de nettoyer les derniers restes du précédent combat, lorsque les grands écrans d’affichage annoncèrent le clou final de la soirée ; le combat de l’Exégète pour la 53e victoire d’affilée. Face à lui, un robot de composition modeste, d’environ deux mètres, et dont la spécificité était de ressembler morphologiquement à un homme, le métal en plus. Carl pouvait se vanter d’avoir obtenu 14 victoires de rang d’affilée. Il n’en demeurait pas moins l’outsider de ce combat.

      Cela n’inquiétait pas Ganel outre mesure. Il était assis en tribune dans un parcage réservé aux concepteurs ne désirant pas garder l’anonymat le plus complet, comme le voulait l’usage. Cela lui convenait très bien. Il n’aurait pas apprécié être mélangé avec la populace. Son robot était peu connu, et avait peu de combats à son actif : une vingtaine en tout. Ganel était persuadé que cela constituait un avantage ; l’adversaire n’avait pas eu suffisamment de matière pour comprendre le fonctionnement de son champion.

      Un signal sonore retentit et les deux portes s’ouvrirent, révélant les deux combattants. Ils s’avancèrent, et le champ de force s’effaça un moment pour leur ouvrir le passage avant de se refermer derrière eux. Le combat commençait.

      L’Exégète s’élança. Visiblement, son concepteur avait pensé conclure ce combat avant même qu’il ne commence. Ses pieds devinrent des roues qui accélèrent le mouvement. Il fonçait à présent vers Carl qui semblait comme tétanisé par la rapidité de l’attaque. Le mastodonte leva son canon droit et tira une salve de plasma. Carl avait anticipé la trajectoire, et fit un léger pas de côté pour l’esquiver. Pour les personnes qui l’avait déjà vu combattre, sa réaction n’était pas surprenante : il disposait d’une agilité déconcertante pour une machine.

      Le canon gauche de l’Exégète se leva tirant un rayon laser qui brûla le sol de l’arène juste devant Carl. Ce dernier avait effectué une roulade en arrière pour éviter le tir. Il en profita pour répliquer. Tendant son bras, il tira une rafale de balles perforantes puis explosives en direction du colosse. En taille, Carl dépassait un homme moyen d’un bon mètre. L’Exégète, lui, faisait environ le triple de sa taille. Il subit quelques impacts, sans gravité. Il n’activa même pas son champ de force protecteur ; cela l’aurait empêché d’utiliser ses deux canons. A la place, il recommença la même manœuvre d’attaque. La stratégie déployée par le multiple vainqueur reflétait une programmation basique : le concepteur voulait sa 53e victoire en un temps record.

      Carl semblait patient. Il esquivait aisément les tirs ou profitait du décor, constitué de petites dunes de sable, pour se cacher de son adversaire. Cette dernière action suscita beaucoup de commentaires en tribune, et quelques regards d’admiration vers Ganel. Il n’était pas possible d’anticiper le décor choisi pour le combat lors de la programmation du robot. Ce décor était choisi par les organisateurs le jour même des affrontements, et variait d’un duel à l’autre. La plupart des spectateurs s’interrogeait sur la programmation complexe qu’il avait fallu mettre en place pour indiquer au robot comment exploiter son environnement sans même le connaitre à l’avance.

      L’Exégète fit soudain évoluer sa stratégie. Il lança une onde de choc avant de tirer à nouveau une salve de chacun de ses canons. Carl se retrouva déséquilibré et vit une boule bleue incandescente se dirigeait sur lui à grande vitesse. Il activa son champ de force quelques millièmes de secondes avant l’impact. L’effet fut immédiat. La protection stoppa net le rayon laser qui allait lui scier les jambes. Quant à la boule de plasma, elle parut rebondir sur le bouclier et retourna à l’envoyeur. Bien qu’affaiblit, le tir frappa l’Exégète en plein sur son canon droit, lui retirant la moitié de son efficacité.

      Une partie du public s’était levée. Tous regardaient à présent avec attention ce petit robot. Mais c’est bien Ganel qui était au centre des discussions : jamais on n’avait trouvé le moyen de stabiliser un bouclier réflecteur de cette ampleur. Cela en disait long sur les compétences de l’équipe du chevalier Iagudas ; équipe constituée en tout et pour tout du professeur Mendev. Mais cela, le public l’ignorait.

      L’Exégète avait atteint son quota de tentatives infructueuses. Il changea à nouveau de stratégie. Il se métamorphosa tout en opérant un tir de barrage. Les cinq mètres environ de son corps principal frôlaient à présent le sol, et huit arceaux de métal avaient jailli sur ses côtés, pour lui permettre un déplacement rapide. Ne pouvant vaincre aisément son adversaire à distance, il allait l’affronter au corps à corps. De part et d’autre de sa tête, deux battants faisaient office de mandibules, à cela près qu’ils frappaient le sol. Un seul coup d’une de ses masses pouvait écraser Carl aisément. Le béhémoth de métal se rua sur son adversaire.

      C’est le moment qu’attendait Carl. Il courait de biais pour offrir le flanc de l’Exégète à ses balles perforantes, et atteindre son système central. Dans cette position, l’Exégète ne pouvait utiliser aussi aisément son bouclier protecteur. De plus, les canons étaient maintenant situés bien à l’arrière du corps du robot. Ils demeuraient difficilement utilisables : le risque était qu’un tir mal effectué pouvait très bien lui sectionner une patte. Malgré sa vélocité, Carl ne parvenait qu’à causer des dégâts mineurs. En outre, il devait esquiver de temps à autre un rayon laser ou un tir de plasma. L’Exégète lui courait après. Sa grande taille n’était pas un atout lorsqu’il s’agissait de courir autrement qu’en ligne droite.

      Tout à coup, un bruit de crachat métallique retentit dans l’arène. Carl venait d’éviter de justesse la masse jaunâtre lancée par son adversaire. Il continua son stratagème d’évitement en utilisant ses rétrofusées pour booster ses accélérations. Un tir de plasma le frôla. Il n’avait pas réactivé son bouclier réflecteur, cela consommait trop d’énergie. Les capacités énergétiques des combattants n’étaient pas infinies, et chaque concepteur devait intégrer cette donnée lors de sa programmation. Parfois des combats s’achevaient tout simplement car l’un des combattants n’avaient plus d’énergie pour continuer. Son adversaire pouvait alors le mettre en pièce.

       Carl courait. Le public retenait son souffle, mais certains avaient déjà compris que le sort du petit robot était scellé. En effet, quelques minutes plus tard, Carl ralentit considérablement son allure. Cela signifiait qu’il arrivait sur la fin de ses réserves d’énergie. Ganel se leva, le regard fixait sur sa machine. Il n’entendit pas Carissa qui lui parlait. Ses yeux allaient de Carl à l’Exégète sans discontinuer.

      Constatant que son adversaire faiblissait, l’impressionnante machine avait enclenché une nouvelle programmation. Elle s’élança vers Carl, roulant à la vitesse de l’éclair. Ce dernier peinait à lever ses jambes métalliques. Le monstre arrivait sur lui. Il se laissa tomber en arrière sans avoir pu effectuer son dernier pas. Arrivé sur lui, l’Exégète leva ses deux mandibules afin de fracasser son adversaire.

      C’est le moment que choisit Carl pour activer ces deux retro fusées au-dessus de ses épaules. Il partit en trombe, glissant sur le sable de l’arène et entre les pattes de la machine colossale. Tandis que les mandibules frappaient brutalement le sol, Carl tira de toute sa puissance de feu dans le ventre de l’Exégète le sciant en deux. Il ressortit de sous son adversaire au moment où ses entrailles de fils et de composants se répandaient sur le sol. Un dernier soubresaut des mandibules et la machine rendit l’âme dans un crissement de métal.

      Carl se releva. La foule était en délire. Les Antesignes avaient fort à faire pour tenter de contenir tout le monde. Le frêle robot humanoïde jeta un regard vers son maître. Ganel était très satisfait même s’il cherchait à le cacher. Carissa ne se retenait plus de joie et au moment où Ganel tournait la tête vers elle, celle-ci se jeta à son cou et l’embrassa fougueusement insouciante des conséquences de son geste…

      La victoire était totale.

No account yet? Register

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Lire

Plonge dans un océan de mots, explore des mondes imaginaires et découvre des histoires captivantes qui éveilleront ton esprit. Laisse la magie des pages t’emporter vers des horizons infinis de connaissances et d’émotions.

Écrire

Libère ta créativité, exprime tes pensées les plus profondes et donne vie à tes idées. Avec WikiPen, ta plume devient une baguette magique, te permettant de créer des univers uniques et de partager ta voix avec le monde.

Intéragir

Connecte-toi avec une communauté de passionnés, échange des idées, reçois des commentaires constructifs et partage tes impressions.

0
Exprimez-vous dans les commentairesx