Je sentais l’eau grasse s’immiscer entre mes chaussures de toile, la peur semblait affoler les cheveux qui se cabraient en statues torturées. Mes cheveux voletaient comme un tissu accroché à une corde à linge; les cris se rapprochaient. J’entendis beugler leurs voix, je les fuyais et la foule s’ouvrait sur mon passage.
– Sale voleur!!! reste pourrir dans tes bas-quartiers!
La salive me manquait pour répondre et mon esprit fiévreux cherchait désespérément une issu de secours. Les pavés avaient déchiré mes fines semelles et seules les plantes de mes pieds volaient au-dessus de la crasse. Je passais près d’une boucherie ou un porc grognait et geignait, je pu ressentir dans sa voix une terreur abominablement contagieuse.
Je ne veux pas mourir, je veux pas. J’essaie d’oublier mon souffle brûlant, je resserre ma poigne sur le crouton. J’ai faim, une faim aussi grande qu’un océan. Ce n’est pas la première fois que je vole, mais peut-être la dernière.
Les sabots de bois claquaient dans mon dos, à la manière d’une langue sèche frappant un palais. Une carriole, où deux bœufs paresseux faisaient grève, obstruait la ruelle fine aux étroites odeurs. C’était fini, je tentais de sauter au-dessus de la paille, mais le paysan me cracha un flux insultes et je me retrouvait la tête sur le sol de pierre, elle s’écrase à la manière d’un bâton sur un tambour, j’entends les gardes qui roulaient leurs moustaches satisfaites et de mains m’empoignèrent pour me jeter je ne sais encore où.
***
une goutte vint s’écraser sur ma maigre joue, j’entendis une étrange musique, je n’arrivais pas à m’asseoir et les paroles ne m’atteignaient pas. Après quelques minutes je compris qu’il n’y avait aucune parole à écouter, seulement un fredonnement triste qui s’échappait en vapeur et enlaçait mon sommeil.
Je me dressais et ma tête me tourna, doucement je m’assis et observais l’exiguë pièce. Mes yeux se plissaient momentanément pour m’adapter à l’ombre de la salle, j’ étais dans un cachot. Les pierres froides qui m’entouraient résonnaient d’un silence religieux, la mélodie s’était arrêtée. Et je l’aperçut: une ombre blanche et floue, les pieds recroquevillés sous elle. La silhouette fantomatique se leva. Je me figeais, je n’arrivais plus à bouger. Je distinguais ses pieds nus qui raclaient le sol, ils n’étaient plus qu’un morceau de peau en lambeau, traînant dans un voile de poussière. Il avait une chemise longue, qui descendait comme un pyjama de bourgeois. Un frisson me parcourut et je me mis à ramper faiblement, tentant inutilement d’esquiver cette rencontre. Mais je vis son visage.
Me serais-je trompé? Peut-être que je partage ma chambre avec un ange?
Son nez s’escrimait au-dessus d’une bouche pâle et rose, son menton fin soulignait sa gorge qui ne paraissait être faite que pour rire, autour de son visage s’étendait des boucles blondes malgré la saleté, ou bien était-ce une auréole? Et ses yeux, deux perles de ciel ou s’empale des cernes.
Il ressemblait aux icônes des églises ou j’allais mendier quelques piécettes.
J’en tremble.
-Qu’est-ce que tu fais là gamin?
J’ouvris ma bouche mais aucun son n’osa en sortir, j’avais soif. Il pencha sa tête et un étrange sourire vînt sertir le tableau de son faciès.
-Muet?
Avec une lenteur agaçante je parviens à le contredire en dodelinant de la tête. Il fait une moue et s’éloigna, puis revint en me tendant un pichet tordu ou gisait un liquide palot.
-C’est de l’eau, le goût et la couleur sont diffèrent mais s’en est bien.
Mes mains tremblaient mais je réussi à saisir l’objet métalleux et bus une goulée, une grimace échappa à mes traits et l’inconnu rigola doucement. Puis, après avoir reposé le broc il s’assit à mes côtés.
-Tu saigne de la tête, tu n’as pas trop de vertiges?
Machinalement je portais ma main à mon front et vis se dessiner sur ma peau cette couleur tant redoutée.
-Ça va, bégayais-je comme toute réponse.
Il sourit doucement.
– Ne t’inquiète pas, on demandera au prochain plateau de nourriture de quoi te soigner.
Je hochais docilement la tête, il m’intimidait sans que je sois pour autant effrayé.
-Et donc maintenant que tu as bus, me diras-tu pourquoi tu te retrouves à partager ma cellule?
– J’ai volé du pain, j’eus la sensation de me confier à l’envoyé d’un dieu aussi je me sentis obligé de me justifier, mais j’avais vraiment trop faim!
Il se contenta de me sourire avec une compassion qui engloutit le gargouillement de mon ventre.
– Quel âge as-tu petit voleur?
– treize hivers, mais je suis bien plus malin que certains adultes!
– Je ne doute pas que tu sois plus malin que bien des adultes ici même.
– Et vous, qu’avez vous fait pour être enfermé ici?
Il soupira et le froid transforma son souffle en une petite volute blanche.
– Disons que je ne le sais même plus.
– Ça doit faire très longtemps que vous êtes là!
– Certainement avant tes treize hivers mon petit.
Un grincement aigu viola notre simple silence et la lourde porte s’ouvrit avec un autre petit cris. Un garde mal rasée, et au nez rouge d’alcool, posa, sans me porter la moindre attention, le grand plateau où la nourriture, de par sa mince quantité, faisait tache.
Le beau garçon se leva et marcha à petits pas jusqu’au garde, puis d’une voix très douce il demanda de quoi soigner ma tête. Un rire tonitruant au relent de bière envahit l’écho du petit cachot et l’homme s’écria;
– Il n’en aura bientôt plus besoin de sa tête ce petit fils de truie!!!
Il allait repartir après avoir clamé sa bonne blague, qui me glaça, lorsque le garçon ange lui attrapa le bras et murmura des mots que je ne compris pas. Le geôlier se défit de son bras en une bourrade rude et marmonna un ; c’est qu’y se prendrait pour un saint l’abruti!
Puis il l’empoigna et le fit sortir du petit mitard, la porte se ferma et le noir me paru plus sombre.
Je vais donc mourir?
Un petit rire nerveux s’engouffra dans ma bouche et je me rendis compte que je tremblais. Mourir, j’allais sûrement me retrouver en enfer encadré par des démons, dommage: que se soit sur terre ou dans le ciel, je n’aurais jamais connu ce petit paradis qu’on décrit sans en avoir les mots.
Je me levais et pris le pain rassis puis me remis dans mon coin, où les pierres me paraissaient moins froides, pour le ronger. Où était partit le gentil prisonnier? J’eus un frisson en me remémorant le regard carnassier de l’ivrogne.
***
J’avais dû m’endormir, faisait-il jour au dehors? De toute façon je n’avais pas le luxe de m’inquiéter pour quelqu’un, j’avais toujours été seul, évité les bandes d’orphelins qui garnissaient les rues, ils étaient trop faibles et exposés en étant si nombreux. Pourtant, là, tout seul je me surpris à m’imaginer une bande d’amis qui viendrait m’ouvrir la porte et chuchoter qu’ils avaient assommé les gardes, que s’était bon, qu’on pouvait repartir dans notre errance de mendiants maudits.
J’essuyais une larme qui coulait, heureux que personne ne voit mon instant de faiblesse.
La porte s’ouvrit sur le visage clair de mon ami de cellule qui arrivait avec un doux sourire.
– C’est bon, j’ai marchandé des bandages.
Il avait l’air fatigué, épuisé. Notre seule source de lumière disparut avec un claquement. Le garçon s’avança; quelques instants plus tôt dans l’embassadure avec les rayons en halo, j’aurais pus croire qu’il venait me délivrer de mes péchés.
-En échange de quoi? Ma voix s’échappa de mes lèvres, elle me sembla plus roque qu’avant.
Les pieds fins du jeune homme se stoppèrent. Ses yeux avaient un éclat sombre, n’étaient-il pas bleu la veille? Je crus voire quelque instant une colère noire et pure, mais un masque de paix le remplaça si vite que je ne su pas si sa haine était dirigée envers moi ou envers le monde lui-même. Il s’assit et déroula les bandes. Puis il me répondis enfin, sur un ton enjoué et calme.
– Tu devras me filer ta prochaine portion de pain! C’est ça, ma demande de rançon!
J’eus envie de pleurer, décidément moi qui habituellement n’était pas un geignard! Je sentis des larmes rouler sur mes joues. Le bel ange posa les bandages sur ses genoux et me prit dans ses maigres bras avec une délicatesse si profonde que je me demandais s’il ne me touchait simplement pas. Je senti une chaleur m’envahir, comme si au milieu de cette petite prison quelqu’un avait allumé un feu de bois.
– Bon, pleurs pas petit voleur, je te la laisse ta portion de pain…
Je n’eus pas la force de répondre. Lorsque je fus calmé, il reprit les bandages et nettoya mon front ensanglanté, puis enroula craintivement le ruban.
***
J’avais dormis trois fois et les gardes avaient défilé plusieurs fois, à chacune d’entre elles un nouvel homme faisait son apparition. Ils avaient tous l’air endormis, alcooliques, et très seuls, trop seuls. Le garçon m’expliqua que tous les jours de la semaine ils tournaient.
Il leur offrait à tous des sourires dociles et charmeurs, je détestais ses sourires. On aurait pu croire un chiot mendiant de l’affection.
Nous devions être samedi ou dimanche. La porte s’était ouverte avec une douceur de grincement inhabituelle. Une face ronde et d’un rose palot s’engouffra.
– Bonjour, tiens tu as un nouveau compagnon de pain Gabriel?
Durant quelques instants je ne compris pas, puis, tournant la tête vers le beau jeune homme je me souvins ne jamais l’avoir interrogé sur son nom.
J’ai honte.
Il ne souriait pas, et ses lèvres ne mendiaient rien, il me parut rajeuni ; ses yeux brillaient d’un éclat enfantin.
Il m’attrapa la main et m’entraîna avec une douceur infinie vers le vieux moine. Puis me brandissant comme un trophée il rigola;
– C’est mon petit voleur! j’aimerais qu’il reste toujours mais je préférerais qu’il parte dès demain.
Le vieil homme rigola goulument puis murmura;
– Bien je vais demander quand il compte le relâcher!
– Contente-toi de leurs rappeler qu’il est là pour commencer…
– Et toi Gabriel, quand comptes-tu partir?
Je me rendis compte qu’il n’avait pas relâché ma main lorsqu’il resserra son étreinte. Mes joues se fardèrent sans que je sache pourquoi.
– Moi je sortirais d’ici quand notre gentil dieu m’offrira des ailes, mon bon père.
Le moine hocha silencieusement la tête avec un petit sourire déçu.
– Bon je vais devoir y aller pour recueillir les aveux de vos frères, à bientôt Gabriel.
Sur un signe de main il disparu dans l’embassadure.
-Je ne savais pas que tu t’appelais Gabriel!
Ma voix adopta, sans que je le veuille, un ton geignard et boudeur. Il porta ma main à sa bouche et l’embrassa avec, dans le coin de ses lèvres, un rire moqueur.
– Excusez-moi ma dame, de mon impolitesse, je me nomme bien Gabriel et je me désole d’avoir omis de vous le faire savoir! Ses paroles moqueuses et son baiser imprévu avait fini de me rendre rouge telle une ridicule pivoine.
– Imbécile! depuis quand porterais-je un jupon!
Il me lâcha la main et je me reprochais mon ton indigné, puis il fit quelques grands pas en levant haut les jambes et, s’arrêtant sur une pierre plus foncée que les autres il s’écria d’un ton enjoué;
– Si tu avais été une femme je t’aurais aimé et chérie.
Je regrettais presque d’être né homme quand il clama cette phrase. Ses beaux yeux bleus brillaient d’un éclat si sincère que du haut de mes treize ans j’aurais voulu les cacher pour les garder pour toujours, comme des saphirs précieux.
– Ne dis pas de choses si sérieuse a un gamin des rues dont tu ne connais même pas le nom.
Ses traits se figèrent et, il alla m’attraper le bras et me ramena dans notre coin habituelle. Quelques brins de paille y avaient été semés comme toute paillasse.
– Alors dis moi, comme ça tu ne pourras plus m’empêcher de te dire des choses absurdes.
Mes oreilles et mes joues me brûlèrent. Il faisait si froid que mon simple rougissement me réchauffait.
– Et bien tu ne pourras jamais m’aimer, je n’en ai pas de prénom, à part si mendiant, voleur, orphelins ou gavroche te convient.
Gabriel se tus, le silence enterra le rouge de mes pommettes et incinéra mon sourire stupide.
– on n’est pas tous des anges, mon cher Gabriel. Ajoutais-je attristé par son mutisme.
Sa main s’élança et saisit mon menton puis il plaqua sur ma joue un baiser sec et doux.
– Tant mieux je ne suis pas un ange.
Je ne trouvais rien à redire. Et je m’en réjouis.
***
Je m’étais endormi entre ses deux grands bras blêmes. Je me réveillais quand son rire explosa près de mon cœur.
– J’ai un prénom parfait pour toi petit voleur!
Je m’assis, encore dans les vapes un bâillement m’échappa.
– Raphaël!
– Car ça rime avec Gabriel?
– Non nigaud!
Après une moue entêtée je l’interrogeais encore, et il me répondit, une étincelle azuré dans ses prunelles;
– Je te le dirais quand tu en auras besoin, sinon ce n’est pas drôle.
Je soupirais lorsque la grande porte métallique pleura. Le garde pervers au nez pourpre ricana et en jetant le plateau;
– J’espère qu’t’as bien profité d’ton dimanche pour prier et t’repentir, c’tait ton dernier!
Il avait planté ses prunelles noires de haine dans mes yeux tremblants puis était partit nous laissant dans un calme mort.
Gabriel se jeta sur la porte et se mit à tambouriner;
– Je te donnerais tout, reviens, je t’en supplie. Un flot de larmes arracha le sourire à ses joues.
-Tu auras tout de moi reviens. Sa voix s’étouffa quand il s’effondra sur le sol.
Je me précipitais vers son corps qui tomba en un son mat sur les pierres.
– Gabriel, mon si cher Gabriel. Réveille-toi, je vais bien je suis encore là.
Mon visage s’écoula et je ne put retenir des gémissements. Je tremblais, mes mains frémissait, elles étaient devenues d’un blanc a faire peur. J’avais peur.
Pour Gabriel.
***
J’avais emmenée la fine âme ébranlée jusqu’à notre tas de foin. Et entre, deux hoquets incontrôlables, je serrais le fragile corps.
Je ne m’endormis pas, je tressautais à chaque bruit. J’attendais que mon ange blond ouvre ses cils. Sans lui je n’étais plus rien, je n’avais plus de nom, plus d’amis, plus d’amour, plus de raison de voler du pain pour vivre.
Mes yeux s’étaient clos tout seuls, depuis combien de temps dormais-je?
J’ouvris mes paupières et je me retrouvais face au iris pales de Gabriel, ses larmes avait séchées en laissant des tranchées sur ses joues. Mon corps tordu était mêlé entre ses bras. Il me serrait si fort contre lui que j’eus peur qu’il se brise les mains. Je me dégageais de son étreinte et il se rendit compte de mon réveil.
Il s’assit et ne voulut pas pour autant me lâcher.
– Tu as treize ans, comment osent-ils?
Ma gorge était aussi sèche qu’à mon premier éveille. Je n’eus pas le courage de répondre.
– Et toi mon Gabriel, quel âge as-tu?
– vingt ans, et je n’aurais pas plus sans toi.
Je retirais violemment mes mains de ses bras et saisit son menton pointu pour planter mes yeux dans les siens.
– Si tu répètes ses mots je ne t’aimerais plus.
Ses prunelles délavé de pleurs tremblèrent, sa voix murmura fébrile;
-Raphaël, tu m’aimes?
Je retirais vivement mes mains, non je ne pouvais pas,
je ne peux pas t’aimer avant de mourir.
J’avais détourné mon visage, mais aucuns mots n’osaient blesser ma gorge. L’ange blond se coucha sur mes genoux et caressa mes cheveux noirs.
– Ne dis rien, quoi que tu dises je ne le supporterais pas.
Alors je me tu, je le laissais effleurer mes boucles emmêlées. Mes yeux dérivèrent sur son être désespéré, sa bouche était foncé, plus qu’avant et ses cheveux d’or dégoulinaient en une cascade infini, sa peau était aussi blanche que celle d’un gosse d’aristocrate et je me senti sale de ma couleur si tannée.
un sourire dévora ses joues;
– Suis-je beau Raphaël?
– Oui.
Il se rassit.
– Me trouves-tu beau Raphaël?
Je rougis. Oui, il était beau, bien plus que tout ce que j’avais pu voire, plus que les demoiselles qui agitaient leurs mouchoirs, plus que ces gentlemans anglais dépaysés, et, bien plus, que toutes ses statues devant lesquelles je m’étais agenouillée, devant lesquels j’avais prié. J’aurais tant voulu embrasser son corps blême, comme on embrasse un saint. Mon silence ne parvenait pas à s’achever, comment le décrire sans avoir honte de mes mots.
– Oui je te trouve beau.
– Mmm, un gamin des rues n’est guère poète…
Je me mordis la joue. J’étais toujours trop stupide.
– Comment voudrais-tu que je décrive ta beauté!
Il se mit à rire.
– Décris-moi les étoiles!
– Tu es trop arrogant! les étoiles…
Il s’était rapproché de mon visage.
– Donc, les étoiles?
Mes joues s’enflammèrent, son souffle me léchait la gorge et je me sentis faible.
– Certes elles brillent comme toi, mais elles sont trop loin…
Il attrapa mes cheveux noirs et embrassa ma bouche. Je me retrouvais contre le mur, une fièvre brûlante entre mes lèvres, elle s’étala sur mon front et dévora mes mains. Il continuait de bercer ma bouche, j’eus la sensation d’être un fruit que l’on dévore. Je désirais qu’il me mange, que je disparaisse entre sa langue et ses dents. Il s’écarta d’un coups, et recula d’une enjambée. Ses pommettes écarlates se refroidirent sous un flot de larmes.
– Désolé, je suis désolé, je ne te toucherais plus jamais, je t’en supplie pardonne moi.
Il se recroquevilla sur lui-même, en une boule d’angoisse et de tristesse. Je lui attrapais doucement la main et caressa ses doigts.
– Gabriel, cesse de faire ton idiot, je ne suis pas “eux”.
Ses yeux imbibés de larmes se révélèrent sous sa couronne blonde et il se recoucha contre moi, en tentant de faire taire ses pleurs.
Nous restions, l’un contre l’autre, dans un silence orgueilleux d’amour.
– Tu sais Raphaël, peut-être que le garde voulait dire que ce serait ton dernier dimanche en prison? Sa voix elle-même sonnait fausse. Le pire était qu’il le savait.
– Tout va bien Gabriel, je m’en fiche, j’aurais fini sur l’échafaud de toute façon. Je suis un voleur de nourriture dans une ville sans nourriture.
Il ne répondit pas.
***
Quatre plateaux de repas avaient défilés, trop vite. Gabriel refusait de manger, il se terrait tantôt dans un amour passionnée, tantôt dans un mutisme inquiétant. Il chantait à chaque fois que nous allions nous coucher.
Je ne lui dirais pour rien au monde mais je suis terrorisé.
Je mâchais la soupe froide avec une bile amère en bouche. Gabriel se leva et pris mon pain, il le mordit violemment et, entre deux larmes murmura;
– C’était ma rançon.
J’hochais la tête, tremblant.
***
Le soir devait tomber, je ne voulais pas dormir. Gabriel s’était assis à côté de moi et nous regardions tous deux le temps passer sans que nous ne puissions l’arrêter.
– Que feras-tu après?
Je tournais la tête vers lui, il déposa la sienne sur mon épaule.
– Après? demandais-je interloqué.
-Oui.
– J’attendrais que tu me reviennes.
Un sourire infiniment doux et triste déchira son visage.
– Tu rencontreras peut-être ma mère?
– Comment est-elle?
– Je ne sais plus, et toi mon Raphaël, à quoi ressemble-t-elle?
– Je ne sais pas vraiment, elle devait être une fille de joie comme beaucoup d’autres, la tienne était-elle belle?
– oui, très.
Cela ne m’étonnais pas, comme pouvait-il avoir une mère laide?
– Elle était gentille?
Après quelques instants de réflexion il murmura comme si ses paroles étaient un secret pour les pierres même;
– Je ne sais pas, peut-être était-elle une prostituée? une voleuse? une tueuse? une traîtresse? une simple imbécile, une sotte? une innocente? une maîtresse? Ou peut-être suis-je seulement une personne naïve?
– Tu ne t’en souviens plus?
– Je n’ai d’elle que des fredonnements qui disparaissent si je ne les répète pas.
– Je veux que tu chantes.
– non.
– Je veux que tu chantes pour moi…. Donne-moi ta voix une dernière fois, quémandais-je.
– D’accord.
Il chanta doucement puis sa voix s’éleva, un écho entra en transe, rebondissant entre les murs. Dans la pièce où le sable de Morphée nous droguaient, entre les chants et les pleurs, les mains qui n’arrivaient pas à se lâcher, ma nuit passa dans la cellule si sombre qui était devenue ma maison, j’avais l’impression qu’elle s’était illuminée à la lumière de vitraux colorés. Gabriel a chanté, longtemps, refusant de s’arrêter, sa voix se perdait sourde et muette. Il devait penser que s’ il cessait je partirais.
je l’aime.
***
Des bruits de pas raisonnèrent dans le couloir de pierre, la porte s’ouvrit en fracas. Le garde au nez rouge accompagné du prêtre déboula et me saisit le bras comme un attrape un porc avant de l’égorger. Gabriel m’attrapa, sa voix s’était éteinte et seules des supplications roques s’échappaient de ses lèvres. Le prêtre faisait non de la tête d’un air désolé, je vis une larme roulé sur sa joue. Dans ma tête raisonnait la mélodie claire et limpide. Les cris, les menaces, les bruits de fer, rien ne m’atteignait, la voix de Gabriel disparaissait, je me débâtis et réussi à voir ses prunelles larmoyantes une dernière fois.
– Tu avais raison, comme une étoile, murmurais-je
-Non! arrête!
– Je t’aime Gabriel.
Une poigne massive m’empoigna et je fus happé dans les escaliers, on me tira et je me retrouvais jeté dans une autre cellule, ma dernière cellule pour quelques heures seulement, me rappela l’ignoble garde.
J’attendis en sanglotant, laissant s’écouler les larmes de peur que j’avais retenu devant les iris noyées de Gabriel. Je regrettais ses baisers, j’aurais voulus que mon corps en soit recouvert, ils m’auraient servi de linceuls.
***
Une foule désordonnée hurlait dans une harmonie désastreuse, ses cris finiraient par m’assassiner avant la lame grise. Une pierre ricocha sur mon épaule, d’autres suivirent, elles m’entaillaient. Mais ce fut le beuglement sauvage qui me blessa. Que savaient-ils de moi pour se permettre de m’insulter, me battre et me maudire?
L’échafaud de bois aux planches souillées de sang durcie, trônait sur une place devant une petite chapelle ou le Christ pendouillait misérablement. Ses vitraux étaient beaux, je me promis de ne pas pleurer en apercevant une illustration d’ange.
On resserra le nœud de la corde qui allait lâcher une dent grise sur mon cou et le foule s’apaisa, attendant le spectacle mortel. Des gamins des rues s’étaient hissés sur des statues abîmées, des charrettes. les femmes aux dents pourries hurlaient à la morts comme des cabots affamés, et les homme de leurs barbes sales ricanaient follement. Mon cachot si sombre de pêchés me paru blanchie d’innocence et je ne doutais pas atteindre un paradis mérité.
On posa la panière près de la guillotine et deux grosse mains saisir ma nuque, je me figeais.
je ne veux pas mourir.
– Quelle belle justice!
Un silence de mort s’imposa, la poigne des mains me libéra et je levais, tremblant, mes yeux. Sur le toit d’ardoises grise, accroché d’une main sûre a la croix emblématique, un ange se dressait seul face à une foule hystérique, seul, vêtu d’une simple chemise de nuit.
Non, par pitié, mon cœur se tordit en une supplique silencieuse. Gabriel continua son monologue, d’une voix claire, rebelle, envoutante.
– Ce gamin a treize ans, avez vous eu treize ans? étiez vous seul avec la faim? laissez moi rire, vous offrez donc des jolis orphelins mendiants et chapardeurs de pain à votre dieu? Estimez vous être juste? Pauvres et misérables humains, votre humanité même est régie par une lois de fortune, une monarchie uniquement équitable pour ceux qui se donnent les moyens de payer notre bon roi.
Personne ne souffla mot, tous retenaient leurs souffles, asphyxiés par ce fou qui clamait leur pauvreté d’âme et de pièces.
– Notre bon roi finira par briser son trône a force de bouffer la nourriture d’un peuple!
Un murmure transcenda la foule et une vieille beugla;
– On s’en fout ce fils de salop à volé du pain, à mort!
La plupart reprirent le refrain qui marquait ma fin. Un sourire de pitié vint nourrir ma rancœur.
Ridicule et sot, vous finirez ridicules et sots.
– Fermez-la bande de fous! Regardez cette belle garde d’ivrogne, savez-vous qui je suis!? hurla Gabriel. Dites-vous que ses hommes préfèrent tuer un voleur de pain plutôt qu’un assassin! J’ai égorgé des femmes! et incendié des églises!
Un silence se fit et comme un coup de tonnerre la foule grimpa sur l’échafaud, rampant aux pieds de la petite chapelle. J’étais pétrifié, mes larmes reprirent leur interminable flux.
Un rire fou avait brulé l’innocence de Gabriel, il hurlait et se moquait des petits gens, les insultait, et les gueulements indignés des gardes achevèrent de m’assassiner. J’étais au centre de la masse informe, une femme au tablier sale se pencha sur moi et défit mes liens clamant ma liberté. Les autres applaudir et poussèrent des cris de joies puis se tournèrent vers Gabriel et recommencèrent leur combat stupide. Il était au-dessus de moi, un sourire au lèvres, un regard clair et le vent ornait ses boucles or. Etais-je le seul à y voir un ange.
Et ce qu’il avait clamé, était-ce la vérité?
Le prêtre fendit la foule qui se calma un peu, il réussit à m’atteindre et m’étreint avec un accablement profond, puis il se tourna vers Gabriel. La masse vivante et uniforme d’une même stupidité s’était écartée laissant le prêtre et moi seuls, soumis, face à notre ange pâle.
– Raphaël! sais-tu pourquoi je t’ai nommée comme ça!?
Mes larmes, que je pensais s’être arrêtées, continuèrent de rouler, intarissables.
– Arrête, je t’en conjure…
Ma voix se mourrait, s’étouffait entre deux vertiges, je tombais à genoux contre le sol, priant pour mon ange Gabriel.
Il s’avança, jouant avec le vide qui nous séparait. Il parlait plus fort;
– Vous vouliez une mort peuple de Paris?
Personne n’osa répondre, le silence était religieux, ils attendaient juste.
– Mon si bel amant, tu me les as rendu mes ailes, après les avoir guérit!
Puis il s’envola, et ses cheveux blond se salirent de cette couleur si redoutée. Je m’étais jeté sur le corps de mon amour, il était tiède et ses joues roses, sans le sang qui s’étalait sur nos vêtements j’aurais pus croire qu’il allait se réveiller.
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Je m’éveillais dans des draps blancs, mes yeux me brûlaient. En passant ma langue sur mon visage, je sentis un goût lâche de sel. Depuis combien de temps pleurais-je? Je tournais la tête, déboussolé par les murs sans pierre froide et les fenêtres sans barreaux. Et je l’aperçus, le vieux moine, ses cernes gonflés et rouges, son crâne où les cheveux s’étaient enfuis, rapidement remplacé par les rides. Le temps passait-il si vite?
– Raphael… Comment te sens-tu?
Je m’apprêtais à ouvrir la bouche lorsque je réalisais enfin. Il était mort. Vivre me parut soudain absurde. Des larmes enveloppèrent mes traits à la place des mots. Je m’effondrais.
***
Je me fis réveillé quelques secondes plus tard. C’était toujours le visage épuisé de l’homme d’église, il était venu pour me supplier de manger, je ressentais un vide si grand que ma faim m’échappait. Je vomissais à chaque plats et refusais très vite les repas fades qu’il me ramenait avec un désespoir aussi profond que le devenaient mes joues. Ma peau avait perdue sa couleur sombre du au soleil, avec un sourire amer je me dis que je pouvais enfin me tenir aux côtés de l’albe peau de Gabriel sans rougir de honte. Je me remis a pleurer. Mes yeux n’étaient plus que des puits en crus par la faute du sang dont Gabriel m’avait remplit.
***
Père pierre s’était assis sur le petit tabouret en bois, moi, le regard dans le vide, je comptais les oiseaux dans l’arbre derrière ma fenêtre. Ils chantaient si bien! Orgueilleusement je me souvînt connaître quelqu’un qui chantait bien mieux. Le prêtre n’avait pas ramené de nourriture. Avait-il abandonné?
– Tu veux que je te parle de lui?
Je tournais mollement ma tête, qu’elle me paraissait lourde! Lorsque j’ouvris ma bouche pour répondre une râle morte sans échappa. Je ne réussi même pas à en avoir honte.
Il continua de parler, comme si ma réponse avait été claire.
– Il a menti, il n’a jamais fait de mal à quiconque.
Je le savais déjà, Gabriel était un ange, quel ange ferait souffrir?
– Sa mère était la maîtresse de notre feu roi, étant issu du bas peuple, a la mort de celui-ci, elle fut déchue de son piédestal doré et jetée dans un cachot. Personne ne sais si c’est un batard royale ou le fruit d’un viol. je l’ai rencontré à ton âge, il avait déjà perdu et effacer sa mère depuis plusieurs années. Il s’entêtait à vivre seul et mordait les gardes, il n’avait pas d’identité, ce n’était personne. Je me suis occupé de lui durant plusieurs années; je parvenais à avoir une autorisation et je l’emmenais dans la ville, dans mon couvant. Il a appris à lire et à écrire, se passionna d’une ancienne médecine… Mais lorsque les gardes ont compris qu’il grandissait, je ne sais et ne saurais certainement jamais pourquoi il l’on enfermé et interdit de toute liberté.
Instinctivement je répondis, comme une phrase que l’on avait gravé dans ma chair.
– Il brille si fort, les gardes avaient peur qu’il remplace notre soleil.
***
L’homme venait me voir chaque jour, il amenait des fruits secs et du pain de mie, quelquefois des galettes de miel. Son pichet n’était ni rempli d’eau, ni de sang du Christ, seulement d’infusion ou de tisanes aux fleurs.
Il me racontait avec une tendresse paternelle l’amour qu’il portait à Gabriel, et je l’écoutais, riais, grignotais pour entendre la suite.
Ainsi plusieurs saisons passèrent et Gabriel était tous les jours à mes côtés, au travers des farces qu’il avait faites, des petites lignes studieuses et tremblantes qu’il avait tracées. Il s’était cassé le bras en tombant d’un arbre et ne pleura pas de douleur, il chouina simplement pour avoir les fruits qu’il voyait mûrir sans jamais pouvoir les atteindre. Apparemment toutes les sœurs étaient tombées sous le charme de l’enfant et n’arrivaient pas à ne pas sourire à une de ses coquineries.
Lorsque je me remis à marcher, Père Pierre m’emmena aux lieux que Gabriel côtoyait, il me contait des anecdotes et nos pas ne désiraient pas s’achever.
***
J’avais seize ans, mon cœur était toujours enlacé des murmures de Gabriel. Il était devenu une part de mon être. J’étais dans ma chambre lorsque le gentil prêtre déboula essoufflé;
– Sœur Lise m’a dit que tu partais?
– Oui mon père, je m’en vais.
– Mais où donc?
– Dans une abbaye à quelques lieu d’ici, je deviendrais alors un fils du seigneur.
– Raphaël, le veux-tu vraiment? toi qui a aimé, ne voudrais-tu point d’enfants?
Un sourire fier m’envahit alors;
– Mon père, c’est car j’ai aimé que je sais que je ne pourrais plus aimer. Et je serais, comme vous, le père des enfants qui n’en ont pas.
Le vieil homme qui n’était plus si rond et rose me serra dans ses bras et, en l’entendant sangloter je compris ses mots;
– Fils du seigneur tu ne le sera pas, il a été trop cruel envers toi, toi mon si cher Raphaël tu seras fils des anges.
Je lui rendis son embrassade en pleurant.
Après m’avoir aidé a faire mon frêle baluchon, et que lui et les sœurs m’eurent escorté, il me demanda, sur le seuil de la petite église.
– Et que feras-tu après?
– Après? je caressais ma boucle sombre et la remis dans nattes, J’attendrais qu’il me revienne.