J’attendais ça !

4 mins

Cela faisait des années que j’attendais ça. 

Même des dizaines d’années.

Même des dizaines et des dizaines d’années.

Et enfin ce jour béni est arrivé. Il y a quatre jours. 

C’était vendredi soir.

Après le travail les collègues du bureau ont voulu organiser une petit Fête en mon honneur pour mon départ.

Le frigo débordait de champagne. Du Moët et Chandon.

Mais moi, mon truc, c’est plutôt l’eau gazeuse.

Et ma préférée, c’est la Vichy Célestins.

Personne n’avait pensé à en acheter.

 Alors j’ai dû aller à l’épicier du coin. A 600m à pied.

Il n’avait que de la San Pellegrino ou du Perrier.

A 1,50€ la bouteille.

 

1,50€ la bouteille, c’est un peu cher. 

Mais ce n’était pas ça vraiment le problème, c’est que pour la carte bleue, il fallait un minimum de 2€.

Alors je suis parti à la Poste, enfin au distributeur de la Banque Postale. A 750m. Toujours à pied bien sûr.

Mais le seul distributeur de l’endroit avait un bug il affichait en chinois. Enfin c’était du chinois pour moi. Impossible de m’y retrouver et de pouvoir retirer dix euros. Alors j’ai dû aller à l’autre banque postale de la ville. C’était à deux km cinq cent. J’y suis allé en bus.

Quand je suis revenu à l’épicerie et que j’ai tendu mon billet de 10€, l’épicier m’avait tout de suite reconnu. Il était beaucoup plus sympa.

Mais il n’avait plus la monnaie.

J’ai pris deux bouteilles.

Et puis quand je suis revenu, la plupart de mes collègues étaient saouls. Ils avaient fini le champagne. Certains chantaient des chansons françaises, les plus âgés bougeaient en trois groupes sur du Rock’n Roll, des Slows et du Boogie-woogie, les stagiaires et le patron des danses Tik Tok, la responsable de la communication swinguait une Gavotte Bretonne. Je me demandais comment chacun pouvait s’y retrouver dans cette cacophonie de musiques diverses toutes en même temps. Ils n’avaient pas tous les oreillettes aux oreilles.

Et puis toutes les musiques se sont arrêtés quand ils m’ont vus. On m’a demandé comment ça se faisait que j’avais été aussi long. Le patron m’a passé un savon. 

Je n’ai pas eu le temps de lui répondre, la lumière s’est éteinte.

Sophie est apparue tout sourire au milieu de la pièce, quand les lampes se sont rallumées. 

Elle tenait au bout des bras une superbe veste de costume

Bleu ciel en plus, ma couleur préférée.

 Elle était ravie de me l’offrir la secrétaire de direction, à voir ses yeux et son sourire aux lèvres et dans les yeux. 

Tous les collègues s’étaient cotisés. Enfin presque tous. Enfin bref, quelques uns. 

C’était une veste de chez Capel. Spéciale grande taille. Une belle coupe. Sophie avait dû prendre en douce les dimensions de ma veste. Car elle m’allait comme un gant cette veste.

J’ai fait la bise à Sophie, aux filles du boulot et remercié les collègues. La soirée était finie et j’avais loupé mon bus pour rentrer chez moi en banlieue. Il fallait que j’attende le noctilien de 2h20 du matin pour rentrer chez moi.

Mais au sujet de cette veste, est-ce qu’elle y avait pensé ? Est-ce que mes collègues s’étaient posés la question ? La veste indispensable au travail était citée dans le contrat de travail. Mais qu’est-ce que j’allais bien pouvoir faire d’une veste de costume bleu ciel dans ma nouvelle habitation de Province ? 

La veste c’était une obligation pour le travail. Je n’en avais plus besoin.

Ou bien pour aller à la messe le dimanche ? 

Mais je suis Bouddhiste depuis le passage à l’an 2000.

Vu la situation économique, la misère dans le monde, les exclus, ceux qui meurent de froid de faim dans la rue, les guerres, l’état de la planète, j’ai arrêté de croire. Je ne suis plus chrétien.

Après les témoins de Jehovah, qui ne m’ont pas convaincus, le lendemain ce sont les Boudhistes qui, un soir, ont frappé à ma porte. Dieu soit loué

Je suis devenu Bouddhiste.

Mais dans ma petite maison de Province, une veste bleu ciel ?

J’ai cotisé toute ma vie, coincé dans mon petit studio de banlieue.

A la sueur de mon front et de nombreuses privations, j’ai obtenu d’abord ma petite maison de Province et puis la retraite. A quelques jours d’écarts. 

J’ai quitté mon travail et mon logement pour venir vivre ma retraite ici, dans ma nouvelle habitation. Mais…

Ah si j’avais un jardin… J’aurais pu faire un bel épouvantail avec la veste, car il y en a des oiseaux. Et ils piaillent par ici. Quel raffût dés le matin, et toute la journée jusqu’au soir tard. 

Ah si j’avais un jardin, j’aurais pu aussi cultiver mon jardin. 

Mais je n’ai pas de jardin. Je suis entre deux maisons, la rue devant et la rivière derrière.

Ce week-end, ça s’est bien passé…

Mais là, lundi, mardi, dans ma petite maison de Province, sans jardin et sans la télé…

Ici ça ne capte pas pour la télé. On est trop loin.

Et il n’y a pas de possibilité de ligne non plus pour la box.

Mais qu’est-ce que je vais faire de ma vie ?

« Bouddha ! Bouddha !»

Mais qu’a-t-il fait pour moi Bouddha ?

Non Bouddha, franchement ce n’est pas la joie.

Changer encore ? Aller à la mosquée ?

C’est bien de croire en quelque chose.

Croire, c’est avoir de l’espoir. Et pourquoi pas ?

Croire c’est bien. Mais je ne peux pas retirer mes chaussures en public.

Mes pieds ont trop l’arôme de renfermé.

Ce serait un manque de respect, un affront même dans le lieu de culte..

Non, je ne peux pas. Je ne peux pas retirer mes chaussures en public.

Ce n’est pas possible.

Mais que me reste-t-il ?

A part le fait de juste pouvoir respirer ?

Respirer… Ah… Tiens, tiens… Je tiens une idée là.

Ça me fait penser à ce fameux documentaire vu il y a trente ans sur la méditation. 

Ça avait l’air bien.

La méditation, là, il s’agit de respirer. Juste respirer et observer, ils disaient. 

Peut-être que ça va me faire revivre…

Allez, j’essaye. Je ferme les yeux. Et je compte jusqu’à 3, après on verra…

« Un… »

 « Les oiseaux font quand même un sacré raffut ici… » 

« Ça ne va pas être facile. »

Allez, j’essaye encore. 

« Un… Deux… »

« Oh ben M… il y a un coq maintenant au coin de la rue ! »

 « Et les cerfs qui brament dans les bois derrière. Les renards qui glapissent dans la forêt depuis qu’il y a le coq. »

« Ça ne va vraiment pas être facile. »

Allez maintenant, j’essaye vraiment. 

Et je reprends : « Un… deux… trois… »

J’y suis là.

Enfin je revis.

Marco O’ Chapeau le 27 février 2023

débuté le 26 mai 2022

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5 Commentaires
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Thibaut Séverine
Thibaut Séverine
1 année il y a

Aah pas facile « la vie d’après », pas facile non plus la vie à la campagne quand on n’y est pas habitué 😉 !
Ton texte est très juste, très drôle et très tendre, bravo Marco !

Haldur d'Hystrial
1 année il y a

C’est quand même moins ch… que les automobiles, non ?

Noelle Nolwen
1 année il y a

Beaucoup d’humour et de bonne humeur malgré tout !

Cora Line
1 année il y a

Après 9 mois de gestation une naissance ou plutôt une renaissance…

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