« Oui, c’est vrai ! », lui dit-elle, se retournant vers lui.
Dans un élan de franche spontanéité, et elle se retourne à nouveau, cette fois pour revenir à sa vaisselle.
Julia, jolie blonde, jeune et fine, le surprend par sa vivacité et sa sincérité.
Elle respire la fraîcheur et l’énergie, face à lui beaucoup plus âgé et déjà un peu fatigué.
Elle, elle commence tout juste dans la vie, alors que pour lui, l’essentiel est derrière.
C’est à lui que le directeur s’adresse. Il lui parle de son récital à la Salle Pleyel. Devenu pianiste sur le tard, il s’est découvert une immense passion pour la musique et aussi bien des aptitudes.
Dans cet accueil pour les visiteurs coutumiers, derrière le comptoir, lui tournant le dos, elle s’active et s’agite. Il l’observe et écoute d’un air distrait le directeur.
Elle sort rapidement les tasses, les gobelets et les couverts, recouverts d’une épaisse mousse blanche, du bac d’eau chaude. Les sons qu’elle produit lui font penser à du free jazz. Il songe qu’il pourrait l’accompagner au piano. Lui jouer des envolées de notes et des rythmiques endiablées.
Ses mains à elles, cachées par un amas d’écume, un épais agglomérat de bulles, sortent à vive allure, les ustensiles pour les déposer à leur place dans l’égouttoir, sur sa droite.
Lui, il la regarde faire, subjugué par sa grâce et sous le charme.
Ce « Oui, c’est vrai ! » l’a ému. Une vision nouvelle de la vie s’est éveillée en lui. Un rayon de soleil dissimulé derrière un nuage vient d’apparaître. Un groupe de cinq musiciennes s’approchent, venant d’une salle du conservatoire située au rez de chaussée. Elles commandent toutes un thé. Toutes, sauf une qui choisit un café serré. Un double café serré. Il est déjà au courant et il sait que le café distingue la leader de ce quinté de cordes.
Julia sort alors de la mousse ses longues mains et de fins doigts allongés. Et s’essuie rapidement les mains à l’aide d’ un chiffon blanc, rouge et jaune.
Elle regarde les musiciennes, puis fait couler de l’eau dans quatre mugs. Les met dans le micro-ondes, règle la minuterie.
Et pendant que le bruit caractéristique de la machine indique qu’elle fonctionne, elle dépose une capsule à café dans celle à expresso, vite suivie d’une tasse en dessous. Elle appuie sur le bouton qui s’éclaire orange.
Et là, les 2 appareils, le four et la machine à café donnent un mini récital sonore robotisé. De la musique contemporaine, songe-t-il.
« Ding », « Ding » les deux sonnent, l’un résonne plus longtemps, juste après l’autre.
Elle sort la capsule vide pour en insérer une autre et appuie à nouveau sur le commutateur pour le basculer. Le son du café qui s’écoule retentit à nouveau.
Elle expose ensuite les 4 mugs, décorés chacun d’une partition et d’un nom de compositeur : Bach, Beethoven, Debussy et Brahms. Heureux et incroyable hasard, ce sont les quatre musiciens qu’il a joués à la Salle Pleyel.
Elle examine un court instant chaque musicienne, avant de tendre à chaque fois une tasse. Puis elle présente à cette assemblée la grande boîte en bois ouverte, aux compartiments garnis de différents thés. Vert, blanc, rouge ou noir. A chacune sa couleur.
À son avis à lui, elle a fait la distribution, selon la tête de chacune et les préférences musicales qu’elle pense deviner..
Elle a décidément l’air de connaître et d’aimer fort la musique.
Il considère vite que c’était la moindre des choses pour une personne qui travaillait ici, au Conservatoire National de Musique et de Danse de Paris.
D’ailleurs, depuis qu’elle lui a dit « Oui, c’est vrai ! », il a l’impression de la voir danser sous ses yeux. Tant ses gestes et mouvements sont fluides, habiles et sensuels.
Peut-être même que c’est pour lui qu’elle danse ? Cette pensée lui fait chaud au coeur et lui attache un sourire. Il redevient le gamin joyeux et enjoué qu’il a longtemps été. Son coeur démarre une symphonie, il se met à palpiter sur un Allegreto. Ses doigts pianotent. Il ne sait plus où les poser. Il sait que le trac s’est emparé de lui, comme avant son concerto de dimanche.
Il réfléchit à vive allure. Il doit lui proposer quelque chose. Mais il hésite et doute de lui, se disant que vu la différence d’âge ce n’est pas légitime. Que chaque chose doit être à sa place et qu’il doit savoir rester à la sienne.
Toutefois son geste à elle, cet élan et ce mouvement bienveillant vers lui l’ont beaucoup touché.
Le directeur du conservatoire lui avait parlé de son premier concert en solo à la Salle Playel. Avant de lui tourner les talons et le dos pour finir il avait annoncé : « Vous avez du talent. ».
Et elle s’était retournée pour lui dire « Oui, c’est vrai ! ».
Elle s’était donc déplacée d’elle même, en dehors de ses heures de travail et avait payé cher sa place pour le voir jouer dans une salle réputée ce dimanche dernier.
Il hésite à lui dire : « Pince-moi, je rêve ? » et à prendre aussi le risque de la tutoyer. Elle sourit.
Il se demande sérieusement si c’est vrai, bien réel, ce qu’il est en train de vivre…
Marco O’ Chapeau
le 29 avril 2023
débuté le 19 mai 2022
Oooh mais quel joli début d’histoire d’amour ! Qui mérite une suite, hein, Marco 😉 !
Merci beaucoup @SevKerguelen. Mais tu sais… Le "Oui, c’est vrai" est inspiré d’un fait réel. C’est vrai qu’elle commençait dans la vie et que moi, je suis dans qq temps à la retraite. C’est vrai qu’elle a, qu’elle m’a dit ça, mais c’est un peu de la fiction, par contre, qu’elle se soit vraiment intéressée à moi. Je me suis fait, comme bien souvent, un film. J’ai ressenti le besoin de l’écrire… Je ne me sens pas très légitime de continuer.
Tu sais Marco… parfois on vit des choses plus fortes en les imaginant et en les écrivant qu’en les vivant vraiment… Enfin, c’est mon sentiment ! Moi je pense que tu as toute la légitimité à développer cette jolie histoire. Si tu en as envie bien sûr 😉 !
Oui Séverine, je suis d’accord avec toi qu’on vit parfois des choses plus fortes en les écrivant et en les imaginant. Toutefois j’ai vu une citation qui disait "le rêve du vieux était le cauchemar de la jeune." (J’ai écrit un peu cette histoire pour la terminer. Elle me paraît trop déconnectée de ce qui se passe dans la vraie vie.)
J’aurais peut-être vécu une belle histoire en la continuant. Mais des personnes de l’âge de Julia et même plus âgées, (Julia est la protagoniste de l’histoire) auraient pu trouver cela déplacé de ma part. Je ne suis pas sûr que ce soit crédible aussi avec 40 ans d’écart. Mais si tes retours m’ont fait bien sûr beaucoup plaisir @SevKerguelen..
Une très belle histoire ! Oui, c’est vrai, comme Séverine, j’aimerais une suite…