Qu’est ce qu’un humain si ce n’est un vulgaire tas de chair incapable de vivre autrement que dans l’instant présent ? Ce ne sont que des créatures pathétiques incapables d’apprécier ce qui est beau, incapables d’apprécier autre chose que la barbarie des armes. C’est pour cette raison que les humains cherchent à nous envahir et à nous réduire à néant. Et malgré tous leurs efforts, ils n’ont pu que nous lancer la malédiction des demi-sangs qui, grâce aux divins, ne se propage pas outre mesure sur nos terres.
-Duc Gucgi de Rosto
* * *
Iad 41 de l’ère impériale, treizième dan de Vasun
-Che suis sûr que nous poufons troufer un terrain d’entente qui n’impliquerait pas fotre massacre sanklant par mes deux chers compagnons qui n’ont pas peaucoup de patience pour des individus peu urpains tels que fous.
Le groupe composé de Ioanes, Pilunde, Eltanin, Ornak et Nikolas avait quitté la tranquille Chemit il y a déjà trois dano et venait tout juste de croiser la route d’une patrouille équestre qui en profita pour les interpeller à la vue de l’orque. Les humains ne leur revenaient pas non plus de toute manière. La tension est montée rapidement entre les deux groupes, notamment après qu’Ornak ait montré son hostilité en pointant sa hache en direction des trois cavaliers. Nikolas ne s’était montré qu’à peine plus diplomate contrairement à Ioanes qui bénéficiait de l’aide d’Eltanin en tant qu’interprète grâce à sa maîtrise parfaite de l’elfique mais cela ne fut pas d’une grande aide sur ce coup. Ce fut même plutôt l’inverse au vu des propos du vieil humain. Le chef des cavaliers hurla un ordre en elfique et il dégaina son juba tout comme ses deux frères d’armes.
Ornak ouvra les hostilités en lançant sa hache sur le chef des cavaliers et elle se planta sans difficulté dans son épaule. L’orque était déjà sur lui tandis que Nikolas frappa la jambe d’un autre cavalier à coup d’épée. Il lui fit une profonde entaille dans le mollet mais il toucha également la monture qui n’apprécia nullement d’être malmenée et elle rua dans le rôdeur afin de s’éloigner de celui-ci. Néanmoins, son cavalier n’était pas très habitué à ce genre de chose et il se mit à paniquer. Malheureusement pour lui, sa monture le sentit et elle s’emballa de plus belle. Après cela, Eltanin termina son incantation et après qu’elle fit un grand mouvement du bâton en direction du dernier cavalier, elle projeta un jet d’eau sous pression depuis la paume de sa main mais cela ne fit que surprendre sa cible qui eut droit à une douche fraîche bienvenue en cette saison. Le sort de la mage n’était pas assez puissant pour perforer la cuirasse de cuir du cavalier. Pendant ce temps, Ioanes se contentait de murmurer dans sa barbe, le poignard en main alors que Pilunde se tenait en arrière, prête à soigner les blessés, son bâton de prêtresse à la main.
Le cavalier trempé décida de punir la mage grâce à une courte charge qui lui permit d’infliger une sévère entaille dans l’épaule droite à coup de juba tout en arrachant un cri de douleur à sa victime. Ce n’est qu’une fois le cheval à l’arrêt en bonne position pour une nouvelle attaque qu’il essuya ce qu’il pensait être un peu d’eau sur sa joue alors qu’il s’agissait en réalité d’un crachat provenant de la bouche de Ioanes. Pilunde accourut au secours d’Eltanin pour apposer l’une de ses mains sur la blessure et elle agita son bâton juste au-dessus. Elle débuta immédiatement les incantations pour lancer un sort de soin. Pendant ce temps, le chef des cavaliers put extirper la hache de l’orque de son épaule avant de finir désarçonné par ledit orque qui en profita pour lui refaire le portrait à mains nues.
Nikolas, de son côté, avait renoncé à poursuivre son adversaire et il se retourna pour planter son épée devant lui afin de prendre son arc. Il profita de ne pas être la cible de l’attention du dernier cavalier pour viser et tirer sur celui-ci. La flèche décochée s’envola et passa rapidement non loin des deux manieuses de magie pour se ficher dans son aisselle. Le cavalier lâcha un râle de douleur avant de briser l’extrémité de la flèche et il se décida à s’attaquer au seul adversaire qui lui avais fait du mal jusqu’ici, c’est à dire le rôdeur, et il se lança dans une charge furieuse à son encontre. Nikolas par contre, resta calme et se contenta de jeter son arc sur le côté avant de sortir sa lame de terre. Lorsque le cavalier fut suffisamment proche, le rôdeur lui infligea un coup d’estoc dans le foie en profitant de sa bien plus grande allonge. Son adversaire ne parvint pas à porter son coup sous l’effet de la surprise et il s’affala sur son cheval, l’épée toujours plantée dans son abdomen. Il n’en croyait pas ses yeux lorsqu’il les posa sur le morceau d’acier qui dépassait de son propre corps.
Nikolas n’en eut cure et il se contenta de récupérer son arme sans ménagement. Il en profita naturellement pour lui faire les poches et il le désarçonna sans trop grande difficulté. Sa victime était dans un tel état de choc qu’il ne faisait plus attention à rien, pas même lorsqu’il se vida de son sang sur le sol poussiéreux. Le rôdeur se dirigea alors vers Ornak d’un pas tranquille tout en essuyant le sang de sa lame sur sa manche.
-Alors ? Quelque chose d’intéressant sur lui ?
-Gak. Une d’argent, quatre de bronze.
-Il était argenté celui-là.
-Et toi ?
-Laisse-moi regarder… Trois, six, neuf, douze, quatorze… Quatorze en bronze. C’est pas mal.
Le rôdeur récupéra son arc avant de rejoindre le reste de la troupe accompagné de l’orque.
-Pas de casse par ici ?
-Rien de bien méchant. Eltanin s’en sortira sans trace. Par contre, je ne peux rien pour la robe.
-Merci, Pilunde. Ce n’est pas bien grave, je repriserai cette entaille à notre prochain arrêt dans un endroit habité.
La prêtresse s’apprêta à ranger son bâton si petit qu’il tenait dans sa besace lorsque le rôdeur lui fit un signe de la main.
-J’ai une douleur là. Tu pourrais me soigner également ?
-D’accord.
Pilunde s’approcha de Nikolas et incanta son sort sur son torse en quelques instants.
-Ça va un peu mieux, merci.
-Personne d’autre ?
-Nak.
-Moi, ça fa. Ils ne m’ont pas attaqué.
-En même temps, tu sers pas à grand chose au combat.
-Ar ! Tu ferais mieux de ne pas me sous-estimer. Che suis plus compatif qu’il n’y paraît.
-Mouais…
-Si tout le monde en a fini, nous devrions y aller. Le troisième s’en est sorti et il pourrait revenir à la charge.
-Off… Vu son cheval, il va pas revenir de sitôt. Surtout avec sa jambe qui pisse le sang.
-Autant y aller tout de même.
Ornak avait profité de la conversation pour rassembler les chevaux et il en avait retiré les armoiries afin que personne ne soit accusé de vol ou de meurtre de représentants de l’autorité du seigneur local.
-Qui va les monter ?
-Les humaines sur l’un, le vieux sur l’autre. Nous, on marchera.
-Merci. Ch’apprécie cette attention. Mes fieilles articulations ont de plus en plus de mal à fonctionner. C’est le proplème de l’ache.
-Nous apprécions cette délicate attention que tu as pour nos deux personnes.
-Ouais, ouais, c’est ça…
* * *
Le groupe continua sa marche en direction de Fastia tout le reste du dan ainsi que les quatre suivants sans incident majeur. Eltanin put acquérir une bobine de fil et une aiguille pour repriser sa robe durant l’un de leurs arrêts au sein d’une petite ville.
* * *
Iad 41 de l’ère impériale, dix-septième dan de Vasun
Le groupe s’approcha de l’une des entrées de Fastia en traversant un long pont par dessus le fleuve Bvany tandis que Sonse allait bientôt se coucher. Les gardes devant l’entrée les stoppèrent et leur posèrent diverses questions, en elfique. Pilunde et Eltanin répondirent aussi bien que possible à ces étranges demandes.
-Y a t-il un proplème ?
-Apparemment Fastia est fermée aux non-elfes et ils veulent que nous allions dans le quartier des non-elfes.
-Allons, ils peufent bien faire une petite eksseption pour nous…
-Ils disent que c’est hors de question avec… Ornak.
-Ar, très pien. Où et comment defons-nous y aller ?
-Nous devons faire demi-tour et continuer de longer le fleuve pour prendre l’autre pont plus en aval.
-Il veut pas qu’on y aille à la nage tant qu’on y est ?
-C’est ce qu’il vient de dire.
-Merci pour ce détail, Pilunde. Merci aussi, Eltanin.
Le groupe se résigna et entama la marche vers le bon pont dans un silence lourd à l’exception d’un instant où Nikolas demanda à voix basse à Eltanin pourquoi elle avait semblé hésiter durant son interprétation.
-Il a dit “bête furieuse“. J’ai préféré éviter une altercation inutile.
Le rôdeur se montra compréhensif tandis que l’orque serra les dents mais ne s’énerva pas outre mesure car il avait pris l’habitude d’être mal considéré dans ces contrées. Une fois arrivé devant la bonne entrée, ils eurent droit aux questions d’usages comme le motif de leur venue et les gardes leur énoncèrent les interdits qui les concernaient.
-Nous devons rester dans ce quartier durant tout notre séjour… Ornak sera passé par le fer s’il en sort… Il est possible de participer aux cérémonies et hommages aux divins mais sous escorte jusqu’au temple. Et nous sommes également priés de partir aussi vite que possible.
-Nous n’afons pas l’intention de rester de toute manière. Hum… Comment safoir où est la limite afec les autres quartiers ?
-Il a parlé d’une muraille et d’une porte.
-C’est parfait dans ce cas.
-On peut aller se poser dans une bonne auberge ? J’ai envie d’un bon plat bien chaud.
Le commentaire de Nikolas obtint l’assentiment général et ils entrèrent dans le quartier des non-elfes. Celui-ci se présenta comme un quartier à l’abandon où plus personne ne s’occupait de l’entretient des bâtiments. Eltanin fut choquée par la misère qui s’étalait devant elle avec ses mendiants et son odeur de purin.
-Gardez vos bourses sous la main, ils pourraient vous la voler pour un bout de pain. je vais ramener les chevaux à l’étable en face, là.
-Où est l’auberche, d’ailleurs ?
-Le garde n’a rien dit à ce sujet.
-Toutes les villes ont des auberges.
Eltanin revint après s’être discrètement éclipsée durant la conversation et elle intervint immédiatement dans la conversation.
-La seule auberge est celle de la “Lazinjirin”, deux rues plus loin.
-Comment tu sais ?
Nikolas avait également eut le temps de revenir. Il n’avait même pas cherché à négocier le prix d’hébergement des montures.
-J’ai demandé à l’un de ces malheureux où nous pourrions loger pour la nash en échange de cinq valsao.
-C’est cher !
-Mais il en a besoin pour survivre.
-Mouais…
-Pref, en route mes chers amis.
Ils arrivèrent rapidement à la “Lazinjirin” et ils découvrirent une auberge bien propre contrairement à ce que laissait présager le reste du quartier. Néanmoins, celle-ci était particulièrement vide et l’aubergiste était si occupé à passer le temps comme il le pouvait qu’il ne remarqua même pas que cinq individus étaient entrés dans son établissement. Nikolas, qui commençait à être à bout avec cette ville pour ce dan, tapa sur le comptoir afin de le “réveiller“.
-Oh ! Mes excuses les plus plates. J’ai pas eu de client depuis quelques dano.
-On comprends, vu l’accueil.
-Oui, je sais.
-Tien, fous êtes humain.
-Et oui ! Le seul assez fou ou stupide pour rester dans ce trou à rat.
Il le dit avec tant de fierté que cela allégea d’un coup l’ambiance. Son large sourire franc y fut pour beaucoup malgré les quelques dents manquantes.
-Même les rats n’en voudraient pas de ce trou.
-Ha ha ! Bon, j’vous sers quoi ?
-De quoi nous sustenter après notre long foyage.
-Je vois. Installez-vous, je vous prépare ça tout de suite.
L’aubergiste était si heureux d’avoir de la clientèle qu’il servit joyeusement le repas et il leur offrit la première tournée de bière. Il se montra également très curieux sur les raisons de leur présence en ville.
-Vous pouvez aussi aller voir Zoreu. Elle tient une boutique de bric-à-brac collée à la muraille, non loin du fleuve. C’est la seule à posséder une boutique qui vaille le coup par ici et c’est la seule elfe qui accepte de commercer avec les non-elfes.
-Elle nous prendrait ces horreurs ?
-Elle achète plein de choses, souvent des bizarres.
-Nous poufons au moins foir ce qu’elle peut nous proposser en échanche.
-Le plus vite serait assurément le mieux, en effet.
-C’est pas toi qui voulait qu’on les achète à l’origine, Pilunde ?
-Si. Je veux simplement dire que cela nous permettrait de gagner une belle somme et peut-être même acquérir d’autres biens pour les revendre plus loin.
-Notre prêtresse est devenue marchande, maintenant.
La soirée se déroula sous de bons auspices jusqu’à ce qu’il soit l’unia d’aller dormir. Nikolas fit une petite sortie nocturne en fin de repas afin de digérer, selon ses dires. Il rentra un peu plus d’une unia plus tard, le sourire aux lèvres.
* * *
Iad 41 de l’ère impériale, dix-huitième dan de Vasun
Chaque membre du groupe se leva selon ses habitudes jusqu’à ce que Sonse le soit également. Ils se réunirent tous pour le petit-déjeuner et ils entamèrent une conversation sur le programme du dan.
-On a aussi les canassons à vendre, enfin, si les autres mange-merdes les ont pas bectés entre-temps.
-Commençons par les statuettes si tu feux bien. Nous pourrions encore afoir bessoin des chefaux pour la suite.
-Très bien.
Ils terminèrent le repas et ils se dirigèrent vers la boutique de Zoreu d’un pas assuré. Elle ne fut pas si difficile à trouver étant donné que c’était la seule à posséder une façade entretenue ainsi que l’incroyable luxe de posséder des fenêtres en verre. Ils entrèrent à l’intérieur pour découvrir un intérieur particulièrement austère avec seulement quelques bibelots, des caisses en bois et un comptoir sur lequel reposait une elfe assez commune à l’air ennuyé. Deux gardes demi-elfe jouaient aux dés sur une caisse, dans un coin de la pièce. Le groupe se dirigea naturellement vers l’elfe qui devint subitement enjouée en les voyant s’approcher.
-Tihoi ma chère. Zoreu, je préssume. Nous sommes fenus fous demander fotre prix pour quelques œufres d’art. Hum… Eltanin, pouffez-vous me serfire d’interprète ?
-Inutile, je parle également l’humain.
-Ar, c’est parfait. Ornak, peux-tu déposer les statuettes sur le comptoir ?
L’orque obtempéra sans dire un mot et il aligna toute la série devant Zoreu qui s’étonna de ce qu’elle voyait. Évidemment, Pilunde détourna le regard pour ne pas subir la terrible malédiction qu’elle avait perçue quelques dano plus tôt. Elle fixait discrètement la tenancière, désormais.
-Qu’est-ce donc ?
-C’est une série unique de treisse statuettes à l’éffichie des treisse seigneurs démons de l’Elad. Le sculpteur est un elfe de Ganidohoam qui s’est arraché les yeux de ses propres mains afin que plus jamais il ne puisse réaliser un tel chef-d’œuvre, que celle-ci soit proprement unique.
-Je vois…
Zoreu manipula délicatement chaque statuette, les scruttant sous tous les angles, les soupesant même.
-Alors ? Compien m’en donneriez-fous ?
-Je pense avoir un client pour ce genre de chose… Hum… Je pense pouvoir vous en donner dix shanao.
-Quoi ?! C’est tout ? On devait pouvoir les vendre le double de ça. Pas vrai, Pilunde ?
-Il est vrai que ce genre de bien est très prisé à notre destination, nous pourrions aisément en tirer davantage là-bas. Un prix si bas aurait de plus le défaut de nuire à la réputation de ces œuvres d’art ainsi qu’à leur talentueux créateur.
-Mais tout à fait, l’elfe qui les a sculptées s’est arraché les yeux. Ça doit bien faloir quelque chosse, non ?
-Très bien. Je vous en offre une shana par pièce et pouvez prendre une idole que je viens d’acquérir.
-Ça me semble raissonnaple.
-Tant qu’on peut s’en débarrasser, au fond…
-Dans ce cas, c’est une affaire conclue. Je vous demande un instant.
Zoreu se déplaça près de l’une des caisses et en retira le couvercle. Elle fouilla quelques instants dans de la paille avant d’en ressortir une idole en bronze représentant quelque chose de difficilement descriptible. Elle revint au comptoir et elle la posa avec assurance devant ses clients.
-La voilà.
-Mais c’est quoi cette horreur cette fois ? Ce que j’ai vidé dans les lattrines ressemblait plus à quelque chose que ça.
La marchande ne s’offusqua pas de la remarque étant donné qu’elle trouvait que c’était une description particulièrement juste de la chose. Néanmoins, elle ne compta pas faire preuve de complaisance pour autant car elle avait une boutique à faire tourner.
-Il s’agit d’une idole naine de Mubora représentant l’ainé du clan Piapa, un nain féroce et sage dont la piété n’a jamais fait aucun doute. Par ailleurs, cette idole n’a pas été forgée selon la méthode traditionnelle des nains mais moulé à partir d’une coulée de bronze.
-Che fois, c’est en effet pien rare, même chez eux.
-Quelle belle façon de parler de ce qui sort d’un fondement.
-Pon, Ornak, peux-tu prendre cette idole, elle me semble lourde.
-Gak… C’est pas lourd.
-Et voici vos pièces.
-Merci pien. Ce fut un réel plaissir de faire affaire afec fous.
-Pareillement.
-Un plaisir, c’est ça.
Les deux humaines du groupe se contentèrent des politesses formelles d’usage et ils quittèrent tous la boutique et marchèrent quelques instants dans la rue lorsque Nikolas se remémora un détail important.
-Il reste les canassons à refourguer.
-Ar, oui. Nous defions troufer quelqu’un pour les acheter.
-Je vais m’en charger, j’ai une bonne idée. J’aurai juste besoin de Pilunde au cas où.
-Pourquoi moi ?
-Des fois que je tombe sur un gars qui parle pas la langue et puis t’es meilleure que moi pour les prix, pour les… Négocier.
-Je comprends ton problème. C’est donc avec plaisir que je te porterai assistance.
-Merci.
-Pien. Si fous êtes d’accord, nous nous retrouferons à l’auberche pour le décheuner.
-On sera sûrement rentré avant.
Le rôdeur et la prêtresse se séparèrent du reste du groupe pour récupérer les deux montures qui attendaient tranquillement à l’étable, affamées.
-Nous aurions dû penser à ces pauvres bêtes et les nourrir. Les divins ne doivent pas apprécier ce genre de souffrance inutiles.
-Vu toute la souffrance inutile sur le continent, j’ai quelques doutes.
-Les divins n’agissent pas directement sur nos actions, ils nous poussent seulement dans une direction donnée.
-En tout cas, on va alléger le fardeau de souffrance de ces bêtes.
Nikolas termina de détacher les chevaux et il les tira par la bride dans une direction.
-Où les emmènes-tu ?
-Y a pas un gars qui puisse nous acheter d’aussi bonnes montures dans ce trou. Aucun qui puisse acheter une monture tout court d’ailleurs.
-Et donc ?
-Ben, j’ai vu un boucher pas loin. Il devrait payer que le prix de la viande mais ce sera déjà ça.
-Je comprends mieux.
Ils marchèrent jusqu’au bout de la rue et ils arrivèrent rapidement face à la devanture d’une boucherie tenue par un demi-elfe occupé à trancher de la viande à un rythme lent.
-Gudan ou tihoi, peu importe. On vient te vendre cette chair fraîche.
Il termina sa phrase en pointant du doigt les deux chevaux et le demi-elfe lui répondit dans un charabia mêlant diverses langues dans une forme de patois local et incompréhensible pour le rôdeur.
-Si j’ai bien saisi, il te demande ce que tu lui veux exactement. Je vais lui parler en elfique, ce sera sûrement plus simple.
Les deux discutèrent quelques instants avec grande peine avant que Pilunde ne résume la situation à Nikolas mais de façon approximative.
-Il veut bien nous en donner quatre shanao par bête.
-C’est pas si mal. Dis-lui que j’accepte.
La prêtresse transmit l’accord du rôdeur au boucher. Ce dernier ouvrit une caissette sous son comptoir et il en extirpa tout un tas de pièces de bronze et remis l’équivalent de la somme convenue à Nikolas qui recompta tout de même par sécurité.
-Merci bien, l’ami.
Pilunde donna les politesses d’usage et ils repartirent ensemble en direction de l’auberge.
-Tiens, ta part.
-Merci, Nikolas. La moitié de la somme ? C’est très généreux.
Nikolas se contenta d’un sourire en coin comme seule réponse. Par la suite, il prit l’une des ses outres, la seule qui n’était pas parfaitement vide, et il ne put en tirer que quelques goûtes. Cela ne le satisfit pas.
-Sonse n’est pas encore trop haut, je vais en profiter pour aller remplir mes outres et me désaltérer.
-Auras-tu besoin de moi ?
-Non, je vais seulement puiser à la source si je peux le dire comme ça.
-Très bien, dans ce cas je vais me rendre au temple de la Mona d’argent afin de demander à Arun sa protection pour notre troupe.
-Comme tu veux. On se retrouve à l’auberge à l’unia convenu avec les autres.
-Comme convenu.
Ils se séparèrent et le rôdeur marcha au hasard dans les ruelles jusqu’à ce qu’il tombe sur un miséreux isolé. Il se planta rapidement juste devant lui.
-Je vais avoir besoin de toi.
-Hein ?
* * *
L’unia du repas s’approchait lorsque Pilunde rentra dans l’auberge et vint s’asseoir à la même table que Nikolas qui sirotait déjà une pinte de bière.
-J’espère que je n’ai pas été trop longue.
-Oh non, j’en ai profité pour prendre un peu de temps pour moi.
-Tu as raison, c’est important de prendre soin de soi pour agir bénéfiquement sur son environnement immédiat.
-Comme tu dis. D’ailleurs, t’as été drôlement longue pour aller au temple. Il est à l’autre bout de la ville ?
-Et bien…
* * *
Pilunde venait tout juste de se séparer du rôdeur lorsqu’elle se dirigea en direction de la muraille en espérant trouver la porte rapidement. Elle dut en longer une certaine partie avant de trouver un petit corps de garde avec une porte simple mais tout de même assez large pour faire passer une charrette. La prêtresse s’en approcha en faisant bien attention à ne pas faire quelque chose qui lui attirerait les foudres d’un garde qui sortirait de nulle part. Une fois devant la lourde structure en bois, elle toqua avec vigueur sur un clapet qui devait servir au garde pour savoir qui souhaitait passer. Elle resta sans réponse la première fois et elle du s’y reprendre à trois fois avant que quelqu’un daigne ouvrir ce clapet et afficher son visage au travers de l’ouverture désormais apparente.
-Qu’est-c’que t’veux, l’humaine ?
-Tihoi, je suis une prêtresse de l’ordre sacré de la Mona d’argent comme vous pouvez le voir à ma tenue et je souhaiterai me rendre au temple afin de pouvoir y réaliser mes devoirs de prêtresse.
-Jitu duome !
La patibulaire tête du garde urbain laissa place à une main gantée avant qu’il ne referme le clapet et n’ouvre la porte pour permettre à la prêtresse de traverser la muraille. Il donna des ordres en elfique à un subalterne en désignant Pilunde de façon assez vulgaire tout en se disant que cette humaine ne pourrait pas comprendre. Ils rirent tout deux jusqu’à ce que la prêtresse les enjoigne à se dépêcher, en elfique. Cela leur coupa net toute envie de rire et ils se sentirent même un peu idiots. Pilunde fut finalement emmenée jusqu’au temple bien que celui-ci se trouvait au centre de la ville, non loin de la forteresse du duc.
Le garde qui l’accompagnait n’eut aucune envie de faire la conversation et il avait du mal à masquer sa déception d’être de corvée d’escorte alors qu’il pourrait être en train de continuer à tailler des bouts de bois avec son couteau pour tuer le temps. Pilunde n’avait de toute façon pas davantage envie d’adresser la parole à son escorte. Les insultes à son encontre l’avaient refroidie sur ce point. Elle se contenta d’avancer avec dignité jusqu’à sa destination.
Une fois arrivés, le garde lui expliqua qu’il l’attendrait devant l’entrée aussi longtemps qu’il le faudra avec fermeté et sous-entendant qu’il irait même jusqu’à aller la chercher s’il le faut. Pilunde voulut le rassurer en lui garantissant qu’elle reviendrait rapidement tout en sachant qu’il n’avait pas les moyens de mettre à l’œuvre sa menace voilée. Elle rentra alors dans le temple qui, comme tous ceux de la Mona d’argent, était richement décoré avec des sculptures, des tapisseries et des boiseries symboles de l’aisance pécuniaire de cet ordre sacré. Comme tous les temples de cet ordre, celui-ci disposait d’un dôme de verre surplombant l’autel dédié aux offices religieux.
Pilunde demanda à prêtre elfe au hasard s’il était possible de avec le grand prêtre de ce temple. Celui-ci n’y vit pas d’inconvénient et il l’emmena devant la porte d’une pièce située derrière les statues des divins à côté de l’autel. Il toqua à la porte et fit entrer la prêtresse à l’intérieur après l’avoir présentée rapidement. Il prit congé et laissa Pilunde en tête à tête avec un autre elfe qui semblait dans la fleur de l’âge et qui était clairement le grand prêtre au vu de sa tenue. Il leva le nez d’un parchemin et il souhaita la bienvenue à la nouvelle venue tout en caressant sa longue et fine barbe. Elle le remercia de son accueil, se présenta plus longuement et elle lui signifia qu’elle serait plus à l’aise à parler en commun.
-J’espère que cela ne vous pose aucun soucis d’aucune sorte.
-Non, bien sûr que non. L’avantage à passer ses dano à lire des parchemins, c’est que l’on peut apprendre toutes les langues de l’empire et bien plus par ailleurs. Je dois également avouer que je n’ai que trop rarement l’occasion de le pratiquer.
-Vous vous en sortez particulièrement bien, par ailleurs.
-Merci. Bon, dites-moi ce qui vous amène par ici ? Dans cette ville ô combien accueillante pour les non-elfes.
-C’est étrange en effet. Et bien je me dirige vers les îles sacrées du duché d’Isony en compagnie d’un petit groupe qui souhaite connaître le frisson de l’aventure et les plaisirs de l’opulence. Naturellement, je voulais venir demander la protection d’Arun dans un premier temps et, dans un second, j’aimerais vous demander un service.
-Et bien lequel, ma chère ? Vous semblez quelque peu hésitante.
Le grand prêtre se montrait sincèrement curieux des motivations de Pilunde. Il n’y avait dans son affirmation aucune suspicion.
-Le grand prêtre Xam de Kadegy m’a formée durant des iado à l’art délicat de l’école du soin de la magie sacrée. Après avoir pu l’employer durant mes propres aventures, je me sens suffisamment confiante dans cet art.
-Et vous voudriez vous essayer à quelque chose d’autre, n’est-ce pas ?
-Tout à fait.
-Hum…
L’elfe devint subitement très sérieux et bien plus grave. Il était certain qu’il ne prenait pas le sujet à la légère.
-Ma chère, savez-vous pourquoi si peu de prêtres ne parviennent à employer la magie sacrée que pour soigner ?
-Non, grand prêtre.
-De nos dano, seules la lame ardente et la Mona d’argent structurent rigoureusement l’enseignement de la magie sacrée mais ça n’a pas toujours été le cas.
-C’est à dire ?
-Bien avant les ordres, bien avant même la Guerre de l’Unification, on ne parlait pas de magie sacrée ou même de magie tout court mais de don des divins. Ceux qui s’en servaient étaient appelé manieurs de la magie et il y en avait bien moins que de nos dano. À cette époque, il était rare que ceux disposant d’un potentiel suffisant parviennent à trouver un maître pour les former alors ils apprenaient tout seul.
-Et donc ? Qu’est-ce qui a changé ?
-La guerre. Il y a toujours eu des guerres mais elles se limitaient à des disputes frontalières entre deux seigneurs voisins à l’époque. Puis, elles se sont faites de plus en plus rares à mesure que les grandes alliances se formaient. En parallèle de ça, les manieurs de magie ont aussi commencer à se rassembler en grande partie grâce à ces alliances.
-C’est ainsi que s’est construite l’académie d’Akia si je comprends bien.
-Tout à fait. C’est aussi à cette époque que les différentes écoles ont été formalisées alors que cela relevait davantage de l’instinct auparavant. Ou plutôt de la grâce divine. La magie sacrée n’existait pas en tant que telle d’ailleurs, l’école du soin n’était qu’une école de magie parmi toutes les autres.
Cette affirmation sembla choquer Pilunde qui ne s’attendait pas à une telle révélation.
-Grâce aux moyens donnés par chaque alliance, davantage de manieurs ont pu être formés et chacune d’entre-elles espérait obtenir sa propre cohorte de manieurs de magie en retour.
-Lorsque la Guerre de l’Unification débuta, il y avait de grandes troupes de mages prêtes à combattre.
-C’est exact. Il n’y a jamais eu autant de personne sachant manier la magie qu’à ce moment là.
-Mais je ne comprends pas le lien avec ma demande.
-J’y viens, ne vous en faites pas. Au cours de la guerre, beaucoup de manieurs périrent mais ceux qui survécurent devinrent extrêmement puissants car ils furent obligés de dépasser leurs limites chaque iad jusqu’à la fin des hostilités. Et c’est seulement dans les dernières iado où nous luttions contre la horde impie de l’Elad que le terme de mage apparut pour désigner les manieurs afin de les différencier de ceux n’ayant pas leur savoir-faire. C’est également à cette époque que l’école du vindicte apparut. Probablement par accident au cours des combats d’ailleurs. C’est bien cette école que vous voulez apprendre ?
-Oui, grand prêtre.
Elle avait répondu avec un aplomb qui en disait long sur sa détermination.
-Comprends-tu à présent pourquoi la plupart des prêtres n’apprennent pas cette école ? Où plutôt, pourquoi ils sont incapables de l’employer correctement ?
Pilunde prit le temps de réfléchir sur tout ce qui avait été dit avant de répondre.
-Parce qu’ils ne cherchent pas la confrontation ?
-Exactement. Ce sont les divins qui nous prêtent leurs pouvoirs mais encore faut-il être capable de les employer correctement. Il est aisé d’apprendre à soigner dans un temple car les blessés et les malades ne manquent jamais alors que des ennemis…
-Je comprends, grand prêtre. Pour parvenir à maîtriser cette école, vous me conseillez de continuer à suivre mes compagnons.
-Tout à fait.
Il prit un morceau de parchemin avant de griffonner une note dessus et d’y tamponner son sceau. Avec un sourire, il le tendit à la prêtresse qui l’attrapa.
-Et n’oubliez jamais qu’il vaut mieux être un bon guérisseur qu’un mauvais jeteur de sort pour soutenir ses frères d’armes. Mais que cela ne vous serve pas d’excuse pour vous reposer sur vos acquis.
-C’est compris. D’ailleurs, n’est-ce pas le but de l’aventure que de devoir dépasser ses limites sans arrêt ?
Il lâcha le morceau de parchemin avec un rire franc. La prêtresse récupéra le parchemin et lut dessus qu’il s’agissait d’une autorisation pour récupérer un ouvrage sacré traitant de l’école du vindicte.
-Je vous dois de grands remerciements.
-Ce n’est rien, ne vous en faites pas. Allez voir l’archiviste Shipri. Il devrait pouvoir vous aider.
Pilunde se contenta d’une révérence pour signifier une nouvelle fois sa gratitude et ses adieux. Elle reçut un signe de la main et un sourire sincère en réponse. Elle sortit de la petite pièce et demanda au premier venu où pouvait se trouver l’archiviste et on lui indiqua où se situait sa salle de travail. Elle s’y rendit prestement et découvrit une austère salle remplie de parchemins et de livres traitant de nombreux sujets différents. Elle dût appeler l’archiviste pour que celui-ci apparaisse subitement de derrière une pile de livres et elle lui remit le morceau de parchemin qu’il lut avant de partir chercher l’ouvrage concerné. Pilunde se dit tout de même que la pièce était à l’image de son principal usager et qu’il ferait sûrement mieux d’aller se dégourdir les jambes, y compris, la troisième, dans un lieu plus joyeux et lumineux de temps à autre. Il revint étonnamment rapidement avec le bon livre.
La prêtresse s’apprêta à ranger l’ouvrage dans sa besace aux côtés de celui traitant de l’école du soin lorsqu’elle remarqua le petit rouleau de parchemin qu’elle aurait dû envoyer depuis Chemit. Elle rangea finalement le livre après avoir récupéré le rouleau et elle demanda à l’archiviste s’il pouvait le faire parvenir au grand prêtre de Kadegy. Il accepta tout naturellement et ils se quittèrent là-dessus. Pilunde prit tout de même le temps de prier Arun pour la sécurité de son groupe avant de retrouver le garde urbain à l’extérieur du temple. Celui-ci était particulièrement maussade après avoir attendu ce qui lui avait semblé être une éternité…
* * *
-…Et nous sommes revenus à notre point de départ. Tu sais tout maintenant, Nikolas.
-Hum… Merci, Pilunde. Ah ! Eltanin et Ornak sont de retour.
La mage et l’orque s’installèrent à table et commandèrent à boire et à manger comme leurs deux autres compagnons de route.
-Et vous deux ? Vous avez fait quoi de beau ? Il est où le vieux d’ailleurs ?
-Il nous a dit avoir des achats particuliers à effectuer et il est parti de son côté.
-Au moins, nous pourrons profiter du fumet des plats pour une fois.
-Et pour répondre à ta première question, Ornak et moi-même sommes allés parler avec les habitants du quartier pour connaître les motivations derrières la haine des elfes pour les non-elfes.
-Ça c’est facile, c’est parce que ce sont des mal baisés.
-Hum… Après avoir discuté longuement avec de nombreux habitants, il semblerait que ce soit suite aux multiples défaites et humiliations subies durant la Guerre de l’Unification. Il semblerait que le duc tienne une rancune très particulière vis à vis des elfes du Nord et des humains qui les ont aidés durant le conflit.
-Il a la rancune car il est stupide. Il sait pas se battre et jette la faute sur ses ennemis.
-C’est assez bien résumé, Ornak.
-Il est vrai que l’armée de l’impératrice a laissé énormément de rancune, de mépris et de haine dans son sillage durant cette guerre. Plus qu’à l’accoutumée.
-Faut dire qu’aucune de ces oreilles pointues n’est parvenu à prendre l’avantage durant la guerre.
-C’est vrai.
Les quatre membres du groupe continuèrent à parler de divers sujets tout en mangeant leur repas et buvant leurs boissons avec un plaisir olfactif qu’ils n’avaient pas connu depuis bien trop longtemps. Ce moment de grâce connut un arrêt brutal lorsque Nikolas interrompit la conversation en cours.
-Bon, je vais aller aux latrines. Faut que… Je coule un bronze pour faire descendre tout ça. Ça nous fera une nouvelle idole comme ça.
Il quitta la table d’un pas léger tout en sifflotant, fier d’avoir pu insulter l’idole une nouvelle fois.
-N’avons nous pas oublié quelque chose ? J’ai la curieuse impression qu’il manque quelque chose à ce repas.
-Le vieux. Il est pas là.
-Il devrait être arrivé depuis longtemps…