L’Ange Noir, partie 11.

     Les jours précédents, à force d’observer les différents plans des géographes anciens et récents, j’avais pu remarqué que les mesures utilisées diffèraient d’un facteur 15 entre le k-m et le Km, les géants étant, comme leur nom l’indique, bien plus grand que leurs homologues actuels…Pourtant je n’avais trouvé aucun avertissement à ce sujet dans les manuels militaires !  Je ne devais pas faire la même erreur sur les plans que j’avais décidé de tracer pour guider Skylar, une fois qu’elle serait en enfer. Elle en aurait besoin pour trouver un saphir de pandémonium et nous le ramener. J’avais lu que cette pierre rare des enfers associée à des larmes d’un Sylvanium produisait un vent nommé Salutaria que l’ALS 3000 pourrait souffler sur les démons au moment venu. Le Salutaria nettoyait tous les êtres qu’il touchait de leur culpabilité, et de leurs remords…et j espérais vraiment qu’il neutraliserait les forces du mal.

      Là, je feuilletais un des grimoires d’ Ellendor l’Ancien qui expliquait les liens unissant le corps et l’esprit,. C’ était un ange philosophe qui avait veillé sur Platon, puis Aristote avant de rejoindre d’autres sphères lointaines. Tous trois avaient un regard sur la femme qui me donnait envie de gerber : nous n’étions pour eux que des mâles ratés, des êtres imparfaits, débiles et fragiles.

        Quand j’entendais certains érudits parler au Conseil Céleste, je ne pouvais m’empêcher de penser que les “mâles” n’avaient pas beaucoup évolué dans leur réflexion depuis l’Antiquité, et que les débiles, c’étaient eux !

        Bref, je voulais surtout trouver des réponses quant à ce Corps apparu chez O.de la Forge. L’apparition inattendue de cette créature qui ressemblait davantage à un fantôme errant qu’à un ange gardien, si j’en croyais les dires des médias, m’avaient troublée. J’avais l’intuition profonde que ce n’était pas un hasard et que pour réussir à affronter les forces du mal, je devais en savoir plus sur elle. 

       J’étais plongée dans mes recherches,  quand on frappa aux battants de la chapelle. Je voulus les ignorer. Mais les coups semblaient ne pas vouloir cesser. Je me résolus donc à traîner une fois encore mon boulet jusqu’à l’entrée pour ouvrir. Je m’apprêtais à râler sur le responsable de ce déplacement épuisant quand je vis Etherwood devant moi,, un bouquet à la main, le sourire aux lèvres. :

“Ah c’est vous ! Bonjour… “

      Je vis une petite plume colorée coincée entre deux mèches de ses cheveux. Je la  retirai d’un geste délicat.

“Je vois que vous aussi, avez eu la visite de ce maudit perroquet ! 

– Oui, très chère, il vociférait quelque chose comme “Reine des sorcières”, il me semble, je ne suis pas trop sûr..

– Sûrement le perroquet d’un impertinent qui se sera échappé de sa volière. Mais qu’est ce qui me vaut votre visite à une heure pareille ?

– Eh bien comme je n’avais pas de vos nouvelles, j’ai pensé que vous deviez travailler sur vos recherches pour pouvoir aller en enfer. Vous connaissant, je suis sûr que vous avez omis de prendre un repas digne de ce nom…”

      Il brandit alors un panier empli de victuailles. J’entendis  mes entrailles gémir de faim… J’acceptai son invitation, par courtoisie et parce que…j’avais besoin, il est vrai, de remplir mon estomac. Je ne laisserais pas James entrer davantage dans ma vie, Quelques moments de détente par ci, par là me suffisaient amplement. Son soutien pourrait aussi nous servir encore auprès du Conseil, mieux valait ne pas le froisser. On ne sait jamais. 

     Les paroles du père Ronce firent écho à mes pensées silencieuses :” N’aie confiance en personne”. Avant même qu’Etherwood ne puisse pénétrer dans la chapelle, je fermai à double tour la lourde porte et lui dis :

“Allons sous le chêne de la Sagesse, nous y serons au calme.”

     Je ne voulais pas qu’Etherwood puisse apercevoir le grimoire d’Ellendor qui était toujours ouvert sur mon vieux pupitre, au milieu de parchemins et autres documents que j’étudiais dans le but de trouver un moyen de satisfaire à la fois les besoins du Sylvanium ( retrouver le Corps) et les miens (trouver un Saphir de Pandémium pour l’ALS 3000) . Il aurait posé des questions, cherché à en savoir davantage s’il était entré, et même si je le trouvais charmant et aurait apprécié de parler avec lui de mon travail, je devais rester sur mes gardes. Le père Ronce avait raison. 

       Notre pique-nique improvisé se déroula dans une atmosphère plutôt bon enfant. Je fis en sorte de parler de tout et de rien, détournant la conversation s’il le fallait pour éviter de parler de mes recherches et de mes avancées. Cela me démangeait, je dus fournir des efforts considérables pour ne rien laisser échapper ou du moins rien d’important, me semblait-il.

     Mais Etherwood m’avait versé plusieurs verres de Moribel, que j’avais bu trop vite. Il me regardait d’un regard perçant et buvait mes paroles comme personne avant lui. 

      Perdant le contrôle, le flux de paroles, que je contenais jusque là, trouva la porte de sortie. Je me mis à parler de l’entrevue entre Vector et le Sylvanium à l’orée du jardin céleste,…peut-être aussi de l’accord du Conseil d’envoyer un escadron aux enfers pour récupérer le Corps…et du Saphir…et…

James m’interrompit et me demanda :

“Et croyez-vous que la puissance de ce Saphir pourrait permettre de conserver un esprit errant ou faut-il lui trouver un corps aussi parfait que le vôtre ?”

     Etherwood me fixait comme si j’étais la proie qu’il cherchait  Je me sentis mal, Sa question était étrange et je ne comprenais pas où il venait en venir. Insinuait-il que j’étais folle, que mon esprit divaguait complètement…ou pensait-il qu’une fois ma quête terminée nous pourrions former un couple unissant son esprit brillant à mon corps ? Cherchait-il à me passer un message particulier ? 

 Bon sang ! Je ne savais plus quoi penser, mes idées s’embrouillaient…

      Il ne me laissa pas le temps de réfléchir plus longtemps.Il me prit dans ses bras, et m’embrassa. Jamais il ne trahirait mes confidences, j’étais trop précieuse pour lui, me rassura-t-il. Je sentais pourtant grandir en moi une angoisse profonde. Comment le croire ? Et si c’était un espion du Conseil qui cherchait à me pousser à l’erreur pour pouvoir m’accuser de Haute trahison et m’envoyer directement en enfer ?! J’avais trop parlé…je ne pouvais pas revenir en arrière.

        L’heure était déjà bien avancée quand je vis Skylar se diriger vers la chapelle. Elle me cherchait assurément. Soulagée de la voir, je pris congé d’Etherwood qui m’enlaça une dernière fois, caressant ma chevelure. Plus aucun serpent n’y siègeait cette fois !

     J’avais oublié pendant un court instant que mes mouvements étaient entravés par le poids d’un boulet. Je mis un temps fou, en titubant à moitié, pour rejoindre Sky qui m’attendait l’air inquiet devant la lourde porte de mon antre. Essoufflée et à bout de force, je lui demandai :

“Eh bien Sky, qu’est-ce qui se passe ? Quelque chose… semble te tracasser…

– Mary, tu as bu ?

-Juste un peu, avec le docteur Etherwood. Une petite pause.

– Si tu le dis…Bon, j’ai réussi à en savoir plus sur le plan militaire préparé pour se rendre aux enfers. C’est de la folie pure, ce plan ! On va se faire massacrer !  Et ça m’étonnerait que O.de la Forge ne soit capable de se rendre compte de l’erreur monstrueuse qu’ils vont commettre. On va tous mourir, personne ne nous écoutera !  C’est la fin…

– Eh calme-toi, tu veux bien ! Je ne comprends rien à ce que tu me dis, et c’est vraiment pas le moment de me lâcher, hein ! C’est moi d’habitude qui craque, pas toi !”

     Skylar prit une longue et grande inspiration, puis m’expliqua que le Sylvanium les avait convoqués en fin de journée pour organiser la descente aux enfers afin de rapatrier le Corps.  Evidemment,  je n’étais pas conviée comme d’habitude ! En se rendant dans le quartier militaire de la ville, elle s’était introduite discrètement  dans le bureau du colonel et avait pu y observer le début du plan d’action établi avec ses compatriotes la veille. Souvent à mes côtés, Skylar avait développé des capacités qu’elles s’ignoraient. Elle avait mémorisé le plan dans le moindre détail et pu même me dessiner la carte qu’ elle avait visualisée. J’étais fière de l’avoir pour ange gardien. J avais la tête un peu embrumée, mais cette nouvelle me fit l’effet d’un coup de fouet. Je me figeai. 

        A nouveau, je vis ces anges épouvantés dans la brume, entourés d ondes maléfiques et ce lac où brillait une lumière bleutée…je la trouvais plus faible que lors de ma vision précédente. 

      Je compris qu’il n’y avait pas de temps à perdre, il fallait que je prévienne O. De la Forge le plus vite possible de ce que j avais découvert avant l arrivée de James. 

       Je rassemblai papyrus, livres anciens, plans avec mes notes et avec l’aide de Skylar qui prit mon boulet sur son dos, nous filâmes en direction du lieu où devait avoir lieu la mise au point du plan d attaque pour récupérer le Corps…et son esprit !