Le Corps – Partie 13

6 mins

Le Corps – Partie 13

Acte 2 – Bloc 5 – Beat 13 – Montée en tension pré-midpoint

1 356 mots

     Nous arrivâmes à Tombstone, Arizona sur la fin de l’après-midi. Notre premier geste fut de nous rendre au Kate’s Saloon pour réserver des chambres pour la nuit, la brigade militaire étant attendue le lendemain. Nous passâmes la soirée dans la grande salle à faire connaissance avec les habitants des environs. Le bar et la table de billard tombèrent aux mains des jeunes, alors que les vieux se réfugièrent en cercle autour d’une télé. Un reportage sur une fumerolle sortie d’un canyon interrompit le fiel du populiste Tucker Carlson. Le scientifique invité expliquait l’impossibilité géologique du phénomène. Dans la salle, Skylar et les Séraphins se mirent à la fête avec deux anges tout justes rencontrés.  

    Randy, le vieux sage à la tignasse blanche me fit l’accolade mais il opina du menton à la vue de Grimmins. « C’est un mulet d’une grande beauté, mais ceux qui l’ont affublée de la sorte, devaient avoir une raison. Tirez-ça au clair avant de descendre, » me dit-il à l’oreille. Je fis mine de ne pas m’inquiéter. L’œil de Randy scintilla. 

    Je profitai de la fraîcheur de la nuit pour inviter le professeur Grimmins à marcher dans la sierra. Je posai bientôt son boulet sur le sable, ce qui nous força à nous accroupir. L’endroit grouillait de vie. Les serpents à sonnettes et les oiseaux coureurs remuaient les buissons chaparrals alors qu’au loin des bandes de coyotes se disputaient les sommets. Les Séraphins, Skylar en tête, passèrent au-dessus de nous à la poursuite de leurs pigeons messagers, mais Vector changea rapidement de victime. Le voltige de cette jeunesse lancée dans le firmament étoilé sonnait comme un hymne au bonheur éternel. « Déballez votre sac Grimmins. Occupation, loisirs, relations, un p’tit copain ? 

     Pas de réponse, et puis, ça.

— Vous savez parler aux femmes, Colonel ! Bravo ! »

     Je venais encore de merder. « Oubliez mes paroles ! Ça n’est que… mon incompétence congénitale. »

    La créature tenta de se relever, mais j’empoignai la chaîne, marquant clairement les limites de son pouvoir. « La vie ne m’a gratifiée que d’une nature angoissée, Colonel. Ma prison est intérieure. Voilà une chose que vous ne contrôlez pas.

— Une enfance difficile ?

— Pfftt ! En matière de rejet, anges, sorcières, même cruauté. Les humains paraissent accessibles, mais leur existence trop brève les enferme dans l’urgence de s’accomplir. Grandir, étudier, voyager, se marier, pondre des mômes et finir en jouant aux boules le dimanche. La même série partout. »

     Grimmins soupira, mais elle reprit. « J’ai espéré devenir digne d’amour aux yeux d’un collègue par la qualité de mon travail. Ça l’a rebuté. J’aurai perdu ma vie à essayer d’établir un contact. 

— Il est trop tôt pour déposer le bilan, Mary. »

     Je ne trouvai rien d’autre à ajouter. Je voulais croire au succès de cette mission, même s’il m’arrivait d’en douter. 

Image du Pen WikiPen

     Grimmins corrigea la tombée de sa chaîne. « Un mulet vit deux cents ans et n’a pas droit à la vie éternelle. Je porte un oblivion spirituel en moi, un manque impossible à combler. Ce vide me fait mal, à chaque heure, à chaque seconde. Ce néant intérieur appelle à être comblé par quelque chose, mais cette chose n’existe pas, vous comprenez ? 

— J’aimerais tellement…

— Je me suis longtemps interrogée sur cette anormalité. On ne peut pas m’avoir créé pour souffrir inutilement. Ma condition me pousse à saisir la nature profonde des anges et des forces du mal. Je veux croire que mon existence a un sens, que j’ai été créée pour jouer ce rôle, un rôle de détection, une sorte d’antenne essentielle. J’attendais secrètement la visite de mon créateur, mais à cause de vous, je ne le connaîtrai jamais. Une part de moi vous hais, l’autre vous admire pour votre loyauté envers l’esprit que vous aimez.

— Mon rôle est de sauver et protéger… »

     Ma voix manqua de conviction. Grimmins m’offrit ses lèvres d’ange d’une douceur incomparable. Le velouté de ses effleurements suintait d’une magie noire tirée des profondeurs de la Géhenne. Son odeur épicée et ses mains dans mes cheveux m’emportèrent dans un autre état. J’empoignai sa crinière pour lui offrir un retour de feu dévorant. Le carillon de sa chaîne se tendait et se relâchait au gré de mes élans. Elle offrit finalement sa reddition, hors d’haleine, la tête échouée sur mon épaule. Sans doute voulut-elle m’épargner ses larmes. La femme replaça sa chevelure. 

     « Le philosophe Ellendor l’ancien disait que ceux qu’on laisse entrer dans sa vie vous blesseront un jour. Je peux maintenant ajouter qu’ils vous tueront. 

— Mary !

— Prouvez-moi que je ne serai pas une autre de vos victimes collatérales !

— Vous tentez de me blesser. J’ai besoin de… 

— D’expier ? Voilà ce qui arrive quand on accède au Bas-Ciel par accident. »

    Un coup de feu. Un second coup de feu, les deux tirés par un Colt. Une poussée de pure terreur émergea du Saloon. Les Séraphins rappliquèrent en rase-mottes, leur sillage balayant nos chevelures d’un jet de sable. L’un d’entre eux traversa la fenêtre et distribua les armes. J’enjoignis Mary de courir mon poignet autour de la chaîne. Nous arrivâmes à temps pour réceptionner une M-16 lancée par Andaël. Un geste de l’avant-bras, un ordre bref, j’ordonnai une attaque du saloon en deux cohortes. Grimmins toujours en laisse, me suivit, recroquevillée derrière mon dos. Je me jurai à nouveau de ne pas la perdre. 

Image du Pen WikiPen

    Nous entrâmes, mais il était trop tard. Partout, des griffons de différentes tailles lacéraient les humains dans une tempête de sang et de chair. Un rancher se fit trancher en deux par un Oldörg, un être maléfique doté de griffes en formes de sabres, le genre capable de néantiser un bataillon. 

    Des harpies se balançaient tête à l’envers, suspendues à la roue servant de luminaire. Leurs cris aigües excitaient la cruauté des diables. J’ouvris le feu à bout portant. Une autre de ces créatures maléfiques, une furie celle-là, voulut attaquer Grimmins, mais Skylar l’enfourcha comme une sauvage pour la taillader à coup de lame. Au milieu du carnage, Randy resplendissait dans son suaire blanc, balayant l’air de ses épées, ses coups directs pourfendant la puanteur de ces chairs impures. Débordé de partout, il aurait été néantisé si je n’avais pas tiré une salve de répression. Et alors que je dégainais mon couteau, le bâtiment trembla. « Sortez tous, » lança le vieil ange.

    Nous fûment soufflés par la déflagration. Le bâtiment venait de s’ouvrir comme un château de cartes. Un Ulvertörg, haut de trois étages, s’élevait dans un geyser de fumée noire. Sa cage thoracique surdimensionnée se tordait dans les flammes alors qu’il balançait sa tête au crâne empanaché de cornes. Son beuglement dans les graves lacéra les organes internes des derniers humains encore en vie. L’éther résonna de leur détresse au moment de rendre l’âme. La bête disparut avec l’évaporation des flammes. 

     Le silence. Le firmament étoilé se remit à briller de mille feux. Que des décombres et des cadavres, partout.

    « C’est le début de l’invasion, » déclara Mary Grimmins. 

    Un vent de panique souffla sur les Séraphins. Vector demanda quoi faire.  

    Mon rôle de Sylvanium consistait à organiser la riposte. L’urgence d’une frappe rapide sur l’ennemi relevait des stratégies militaires de base. Mais le laxisme chez les anges me fit douter de l’existence même d’une armée digne de ce nom. 

   Je pensai que le lancement de cette invasion ne faisait de sens que si l’esprit du Corps était à l’agonie et que l’Ange noir avait en sa possession le corps du Corps, c’était du moins ce que disait Wisk Glennfielden, tel que l’avait rapporté Grimmins. Il n’en devenait alors que plus urgent d’intervenir. Mais le succès de cette mission aux enfers était loin d’être assuré, je le voyais maintenant avec plus de réalisme. Un échec allait être pire qu’une défense angélique mal foutue.

    Au final, c’était quitte ou double. Les lueurs d’incendies se multipliaient à l’horizon. Ma déglutition fut difficile.

    « Nous n’arriverons jamais en vie à Salem, dis-je en me retournant vers Randy. Dites au convoie militaire que nous prenons la route des enfers par l’Oblivion ! » J’enfilai le harnais ventral pour le transport de Grimmins. « Déployez vos ailes ! » ordonnais-je à ma troupe. 

—————

O. veut mieux comprendre Grimmins 

Mais il échoue à développer une galanterie

Alors il choisit d’admettre son incapacité à communiquer 

O. veut descendre aux enfers avec l’armée 

Mais l’Ange noir devance son attaque

Alors il n’attend pas et fonce.

 

No account yet? Register

1 Commentaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
P. Maryse
2 années il y a

Que de nouvelles révélations sur nos personnages avant cette descente en enfer précipitée…

Lire

Plonge dans un océan de mots, explore des mondes imaginaires et découvre des histoires captivantes qui éveilleront ton esprit. Laisse la magie des pages t’emporter vers des horizons infinis de connaissances et d’émotions.

Écrire

Libère ta créativité, exprime tes pensées les plus profondes et donne vie à tes idées. Avec WikiPen, ta plume devient une baguette magique, te permettant de créer des univers uniques et de partager ta voix avec le monde.

Intéragir

Connecte-toi avec une communauté de passionnés, échange des idées, reçois des commentaires constructifs et partage tes impressions.

1
0
Exprimez-vous dans les commentairesx