L’Ange Noir, partie 12b

5 mins

Après une nuit d’enfer, durant laquelle des combats eurent lieux sur le toit de la prison, des agents de la NSAA m’embarquèrent comme une criminelle dans une estafette blindée. Plus aucun signe de démons dans le ciel. Seules les marques de griffes et de sang sur les murs révélaient que le bâtiment avait été la cible des forces maléfiques. 

     Le fourgon s’arrêta devant le bordel du centre d’achat de Salem. Sur la toiture, un diable en tissu se tordait sous le flux d’air d’une soufflerie. « Curieux endroits pour lancer l’expédition, » me dis-je. Les agents ouvrirent les portes du fourgon et lancèrent sans ménagement le boulet au pied d’O. de la Forge. Mon corps suivit comme une guenille, je crois bien que mon cou vint près de se casser. 

     Le Sylvanium sourcilla, occupé à distribuer ses dernières consignes. Le départ était imminent.

     « Eh, doucement les gars ! Je vous ai demandé de la mettre à l’abri pas de la molester ! commenta le Sylvanium, vêtu d’une tenue de cuir.

— Ouais ! Eh bien la prochaine fois, vous feriez mieux de la garder vous-même ! C’est une aimant à problèmes c’te guenon. Plusieurs des nôtres ont été démembrés. Estimez vous heureux qu’elle soit encore en vie !

     Elaziel ne toléra pas ce manque au décorum. « Depuis quand les bleus se permettent-ils de parler au Sylvanium de cette façon ? » s’écria-t-il.

     Le Père Ronce profita de l’esclandre pour s’accroupir près de moi. Il m’examina et m’apporte son réconfort bienveillant. J’étais en larmes, j’avais mal partout. Il plaça un sac contenant des fioles d’élixirs et de potions guérisseuses en bandoulière sur mon épaule et inséra les instruments de navigation apportés par Vector dans une pochette extérieure. « La batterie a été chargée, dit-il de sa voix chaleureuse. L’appareil fonctionnera pendant une douzaine d’heures. » Une note écrite à la hâte par Skylar me confirma qu’Etherwood n’était pas celui qu’il prétendait être ! Une rencontre en visiotélépathie avait permis à l’ange de parler au vrai professeur de ce nom. L’homme séjournait au Groenland pour des recherches sur les origines démoniaques du réchauffement climatique. Le père Ronce allait poursuivre les investigations en notre absence. 

    O. prit ma main et m’aida à me relever d’une façon étrangement courtoise. Il fixa mon boulet derrière le siège de sa moto ; voyager avec ce goujat ne m’enchantait guère même si cela avait un côté rassurant. 

    C’est dans le rugissement des énormes Kawa 500 que nous prîmes la route de l’Arizona. Le père Ronce bénit la cohorte à mesure qu’elle défilait en un arc de cercle mené par Vector, Skylar en fusion contre lui.

     Je ne prêtais pas attention à notre trajectoire, le contact avec O.de la Forge éveillait chez moi des sensations étrangement familières, mais je n’aurais su dire lesquelles. Cette condition de mulet à la mémoire approximative était parfois un véritable enfer. Je doutais continuellement de mes ressentis face à ceux que je rencontrais. 

    Nous quittâmes la Paul Revere highway pour prendre l’Interstate 95, franc sud. Je pus constater que mon corps mortel compliquait le travail des anges. Je n’étais pas doté d’ailes et en cas de sortie de route, il m’était impossible de tout balancer et déployer mes ailes. J’étais, somme toute, un être fragile, doté de besoins primaires.

    La 95 défila heure après heure. Je constatai tout de même que c’était agréable et sécurisant d’être liée à cet homme un peu bourru, mes jambes refermées sur cette machine chaude et puissante. De la Forge avait rajeuni, il avait maintenant la trentaine, il était solide, assez beau avec ce nez aquilin qui lui donnait un air de faucon. J’appuyai ma tête contre son dos. Et puis, au hasard d’une courbe un peu penchée, j’émis un cri de peur qui activa l’audio du casque. « Ne vous en faites pas Grimmins, nous n’allons qu’à la moitié de la vitesse normale.

— La vie est injuste, je ne sais pas pourquoi j’accepte de vous suivre. Je n’aurais qu’à balancer mon boulet sur la route pour crever à l’instant.

— C’est votre choix.

— Ne me tentez surtout pas… Ce serait si facile. 

— Je ne voudrais pas être désobligeant mais la facilité n’est pas votre fort, vous avez l’art de rendre tout compliqué.

— Je vous hais pour vos accès de colère envers moi, et peut-être aussi pour avoir réussi là où j’ai échoué. Cela fait des années que je côtoie le Bas-Ciel et je reste clouée au sol, et, vous, un malencontreux hasard vous permet d’obtenir des ailes splendides et des privilèges qui me seront toujours interdits !

Je vous hais tout autant que je suis attirée par votre détermination et la tendresse que vous portez envers le Corps. 

— Je ne suis pas parfait Grimmins.

— Ça non !

— Je ne dois pas être totalement abjecte à vos yeux, si ?»

    Je laissai filer un long silence.

« Vous me rappelez cet homme que j’ai aimé avant de quitter la France. Il est parti à la guerre sans presque me dire au revoir. »

     Voilà que mes souvenirs partaient à la dérobée, comme des rats surpris par la lumière d’une torche dans le fond d’une ruelle. Je venais d’oublier tout le reste, figée par un choc électrique dans ma musculature, punition suprême pour avoir tenté de fouiller dans mes souvenirs interdits. 

« Je ne vous souhaite pas d’être converti comme je l’ai été. C’est une vraie machine à confusion dans ma tête. 

— Prenez soin de vous Grimmins. Vous êtes quelqu’un de bien. Cela, l’Ange noir ne pourra jamais vous l’enlever. »

    Mon cœur partit en chamade. Avais-je vraiment entendu ces paroles ? Je ne cherchai pas à comprendre, préférant savourer cet instant de grâce qu’O.de la Forge écourta beaucoup trop tôt. 

« Ne vous enflez surtout pas la tête. Vous n’êtes quand même qu’un putain de mulet.»

     Le casque émit un crachotement. On nous écoutait et ce goujat venait de m’asperger d’opprobre sur ma condition honteuse. Nous passâmes un poids lourd. Le conducteur me fit un doigt d’honneur en klaxonnant. 

« Y’a pas une minute où vous ne me rappelez pas pourquoi je vous déteste. »

     Si ce de la Forge de mes deux croyait que j’allais encaisser ses insultes, il se mettait le doigt dans l’œil. Je ripostai aussi sec en lui rappelant que sa vanité était responsable de la mort de plusieurs soldats au front. Malheureusement, sa réponse me toucha. 

« Si je pouvais revenir en arrière, j’échangerais ma vie pour les leurs. C’était de braves soldats. Ils ne méritaient pas ça, tandis que moi… »

 Ces remords m’apparurent sincères, je connaissais cet état de souffrance sans pouvoir l’expliquer. Je changeai de sujet. 

« Et votre famille ? Elle doit vous manquer, vous n’en avez pas parlé depuis votre décès.

— Ils sont tous morts il y a plusieurs années. Mes cinq enfants emportés d’un coup, dans un accident de voiture. Ma plus jeune était au volant, je crois qu’ils s’étaient tous enivrés. Ça s’est passé pendant que j’étais au front. »

    Je laissai flotter un lourd silence à nouveau. Mes yeux se remplirent de larmes. « Pourquoi ce détail ? Oh ! Vous en voulez à votre épouse !

— Je n’ai pas dit cela !

— Ce serait compréhensif. Une mère n’a pas droit à un tel échec. Cette femme avait le devoir de veiller sur vos gosses, et elle a failli à ses responsabilités. »

     O. de la Forge ne répondit rien. De mon côté, ça ne s’arrangea pas non plus. J’avais froid, je sentis un vide m’envahir, un vide immense, qui dévora mon corps. Une brève vision m’emporta dans un cimetière où je vis un couple en pleurs devant cinq cercueils. Je hurlai de terreur

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4 Commentaires
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O. DeJavel
1 année il y a

Je me demande bien ce qui se passe entre le goujat et ce putain de mulet. Est-ce moi ou bien est-ce qu’ils réussissent à dialoguer ? Je leur suggère d’aller au Groenland. Ça ne manque pas de glace pour les cocktails.

O. DeJavel
1 année il y a

Je me demande bien ce que Grimmins a voulu dire par cette phrase :

« Cette femme avait le devoir de veiller sur vos gosses, et elle a failli à ses responsabilités… »

Miss Grimoire, pourquoi avez-vous planté cette réflexion, là, juste là… ?

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