Créativité, intuition et introvertis : s’assumer dans un monde d’extravertis

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Dans son ouvrage “Quiet, the power of introverts in a world that can’t stop talking”, Susan Cain a démontré pour la première fois à quel point notre culture occidentale est dominée par les extravertis et leurs valeurs. Travail en openspace, exercices de travail en groupe à vocation “pédagogiques”, sessions sportives de team building obligatoires, pression pour savoir “se vendre” en entretien, nécessité de s’affirmer et se faire connaître pour obtenir une promotion, frénésie sur les média sociaux, explosion des évènements de networking…

Dans son éloquent TED Talk vu par des millions de personnes, la courageuse introvertie Susan Cain s’est exposée sous le feu des projecteurs pour nous apprendre que dans nos sociétés occidentales, une personne sur trois est introvertie.

Pourtant, les valeurs dominantes de notre temps sont résolument tournées vers l’imposition de soi aux autres, dans un contexte qui se veut plus largement compétitif que collaboratif, même si les modèles changent. Le “culte de la personnalité” contemporain n’est sûrement pas celui des introvertis, mais d’un idéal extraverti, marqué par un souci de performance appliqué à toutes les sphères de la vie (travail, argent, famille, corps, vie sexuelle, etc.). Il n’existe pas encore de “culte de la personnalité introvertie” où seraient valorisées l’introspection, la réflexion profonde, l’intuition, la créativité, l’imagination, l’écoute, l’empathie, l’authenticité, l’idéalisme, le goût pour la solitude et la capacité de prise de recul… Ces traits de caractère sont plus souvent associés à une forme de contre-performance, voire de faiblesse, qu’à une personnalité valorisante, sauf en cas de réussite exceptionnelle (Steve Jobs ou Soeur Theresa, à peu de choses près). Au quotidien, dans l’entreprise, rare sont ceux payés pour exercer et cultiver l’une de ces compétences, même si cela varie en fonction des secteurs d’activité.

Ce contexte de compétition, motivant pour les extravertis, se révèle extrêmement anxiogène et contre-productif pour les introvertis qui préfèrent s’extraire des schémas traditionnels pour écouter leur intuition et rester fidèle à eux-mêmes. En cela, ils possèdent une grande capacité d’innovation, car ils vont préférer inventer leur propre chemin que suivre les routes toutes tracées… à condition de pouvoir le faire à leur manière, ce qui requiert une bonne dose de force intérieure et de conviction dans un monde dominé par les extravertis. Les introvertis sont nombreux à rechercher le soutien d’un mentor pour parvenir à assumer pleinement ce qu’ils sont aux yeux du monde. Tant qu’ils n’en trouvent pas, ils ont tendance à forcer leur personnalité pour correspondre à la norme extravertie, parfois jusqu’à épuisement.
Extravertis, introvertis et archétypes de genre : une histoire de sexe ?

Tout nous pousse à devenir plus compétitif, à performer (sur scène ou presque) au quotidien, à endosser ce rôle de meneur, de “mâle alpha” qui dissuade ses compétiteurs par la seule force de l’esbroufe (plumage, ramage et discours). Il n’est pas encore obsolète de dire que les femmes qui souhaitent “faire carrière” au sens traditionnel du terme doivent adopter ce rôle archétypal plutôt masculin et se plier aux règles du jeu (ou plutôt, du combat) pour y arriver.

Les plafonds de verre et innombrables inégalités qui subsistent à ce jour entre hommes et femmes au travail témoignent qu’un héritage culturel fort, celui du “mythe du leader charismatique” comme le nomme Susan Cain, imprègne encore fortement nos manières de se positionner les uns par rapport aux autres dans le travail. Ce leader charismatique était à l’origine un business man, figure idéalisée du self made man américain, parti de rien pour bâtir un empire avec un peu d’ingéniosité, de la chance, beaucoup de risques et une bonne dose de combativité.

Les personnalités discrètes, silencieuses, qui fonctionnent mal en situation de stress (hiérarchie trop présente, management incompétent, multitasking forcé…) sont plus rarement promues dans un système pyramidal que les extravertis pour qui ce jeu de rôle est naturel, voire amusant. Les introvertis ont beaucoup moins de facilités à composer avec leurs propres valeurs. Authentiques et souvent idéalistes, il leur est extrêmement pénible d’endosser un rôle social pour les besoins d’un emploi ou d’un projet entrepreneurial, même temporairement. En conséquence, beaucoup passent à côté de leur talent, finissent par culpabiliser d’être “si différents” et souffrent d’une certaine forme d’isolement, voire de frustration. Pire encore, leur perspective unique et différente sur les choses ne profite à personne.

Les femmes sont-elles pour autant plus souvent introverties que les hommes ? Non, répond Susan Cain, pas du tout. En revanche, notre société a tendance à permettre l’introversion chez les femmes et à la condamner chez les hommes. Les rôles attribués aux genres jouent ici un rôle bien plus déterminant que le sexe. On force davantage ces messieurs à s’aventurer dans le monde extérieur et à faire carrière (quitte à mettre complètement de côté leur personnalité véritable) que ces dames, chez qui la soi-disant “timidité” est depuis l’antiquité associée à une vertu. Les femmes introverties auraient ainsi plus de chance, dans nos sociétés occidentales, de pouvoir cultiver ce trait de personnalité que les hommes. Encore faut-il réussir à inventer les métiers et les business model qui correspondent à ces valeurs, et à les faire exister dans un monde dominé par des compétiteurs extravertis.

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2 Commentaires
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thierry CORREARD
5 années il y a

Un éclairage nécessaire sur un état de fait qui s’est imposé au fil des années au point de devenir tyrannique. L’extraversion n’est pas la norme, même si la société tout entière tend à le faire croire. Susan Cain a raison: il existe aussi un "power of introverts". Qu’on se le dise!

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