Deux heures… Cela faisait bien deux heures que je pourrissais dans ce van, ne décrochant pas de ce paysage récurant.
Une plaine, à perte de vue; rien a l’horizon si ce n’est que les divers bois et forêts, et le fleuve sans fin au loin.
La route était abîmée, les roues sautaient sans cesse. C’est à peine si on dépassait 40 km/h, sur un chemin où on ne risquait de rencontrer quelqu’un. À cette allure on arrivera en ville au coucher du soleil, et on était déjà en retard.
Je savais qu’il ne fallait pas s’attendre à un voyage en première classe, comme ceux que prennent ces connards de riches que j’ai pus rencontrer. Si ce n’était pas pour le travail, je leur aurait volontiers fait bouffer leurs billets un par un jusqu’à qu’ils gerbent. Ça aurait fait un bon scoop!
Pendant tout ce long voyage, comme si ce n’était pas assez agaçant, la voix mielleuse de cette grognasse résonnait dans ma tête:
<< 30 ans après la catastrophe, et l’inauguration du nouveau sarcophage approche. On ne peut pas passer à côté de ça !
Et puisque que tu as vécu l’événement, ton point de vue sur les lieux nous serrait d’un précieux avantage. Nos fans seront ravis! >>
Elle avait dit ça comme si on venait de gagner la guerre. Non, même ça ce n’est pas assez important pour elle. Je la revoie encore s’étaler son fichu rouge à lèvres comme si elle voulait le finir.
Qu’est-je donc fais pour être sous les ordres d’une femme pareil ? D’un côté, Olga non plus ne peut pas me supporter. Je suis certaine qu’après que ce maudit reportage soit finit, elle me mettra à la porte.
J’en étais réduit à ça, je devais juste l’accepter.
Lassée de voir de désert boisé, je contemple plutôt ce cliché que j’avais entre les mains depuis tout ce temps.
Une veille photo aux bords cornés, une des premières en couleurs mais celle-ci avaient jaunie et ternie.
On pouvait y voir les rangées d’arbres encadrant le boulevard principal, caché par l’entrée de la ville, une sculpture blanche éclatante exhibant son nom.
Juste devant, tu posais avec moi dans les bras, un sourire jusqu’aux deux oreilles.
Je devais avoir quelques semaines, un mois tout au plus. En revanche, si ma mémoire est bonne, tu allais bientôt avoir 15 ans.
Comme pour m’arrêter dans mes pensées, le chauffeur s’arrêta finalement, un peu trop franchement peu être:
<< On y est, l’entrée de la ville! S’exclama t-il en se tournant vers moi.>>
Pliant la photo en quatre puis la rangeant dans la poche de ma veste, je relevais les yeux sur le vieil homme. Il devait être trop âgé pour faire ce travail, mais ça n’avais pas l’air de le déranger. La nostalgie, certainement.
Face à mon air indifférent, ou agacé, il préféra se tourner vers Yvan, qui trifouillait je ne sais quoi sur sa caméra:
<< Si vous voulez faire des plans… De… Reprit-il un peu perdu en montrant la caméra d’une main fatiguée.>>
Après ces deux heures interminables, je sorti enfin du fourgon.
Il faisait chaud pour un début d’Avril, une légère brise secouait la cimes des arbres encore humide des averses la veille.
En passant a l’avant du van, la sculpture immaculée apparaissait.
Elle n’avait pas changée.
Quelques fleurs s’ouvraient au pied du panneau, apportant de la couleur dans ce paysage pâle.
Les lettres, repeintes il y a peu de temps, affichait encore fièrement le nom de la ville. Sans elles, je ne sais si j’aurais reconnu ces rues que j’arpentais au couché du soleil. Où tu me tenais la main et me racontais des conneries pour rentrer à la maison, alors que tu aurais voulu fuir de l’autre côté.
C’était il y a 30 ans.
Pripyat
Je suis enfin revenue.