L’âme du célèbre rabbin était suspendue hors du temps et de l’espace.
Information et énergie pure. Certains l’appellent paradis.
Plus de sensation, ni faim, ni soif, ni douleur, juste des souvenirs et un accès illimité à la connaissance.
Il avait cherché la vérité durant toute son existence précédente. Il avait répété à ses disciples « Emet, vérité, recherchez juste la vérité ! ».
Puis il l’avait découverte. Et les vingt dernières années de sa vie il s’était reclus dans sa chambre, limitant au maximum les entretiens. Il avait brûlé tous ses écrits. Il ne restait que des souvenirs de disciples l’ayant connu, des histoires, du folklore.
Il avait découvert la lumière cachée, le sens ultime.
Lorsqu’on vint lui faire la proposition, il étudiait la thora. Il revoyait les passages appris et discutés durant son existence. L’éternité pour revoir ce que l’on a appris et découvrir à quel point le texte est inépuisable et échappe à tout contrôle ou enfermement.
A côté de lui se tenait une autre âme. Un homme qui n’avait connu que le aleph, la première lettre de l’alphabet. Cette unique lettre pourrait l’occuper lui aussi toute l’éternité.
Trois âmes lumineuses s’étaient présentées au rabbin.
– Ton expérience vient d’être évaluée. Tes résultats et tes découvertes sont étonnantes et uniques. Tu as dévoilé, à travers ton existence, une facette inconnue de la lumière. Tu n’as pourtant pas réussi ton épreuve, dit une des âmes.
– Difficile de réussir quand on arrive sur terre en oubliant l’objet de sa mission, répondit le rabbin, qui avait gardé son caractère bien trempé.
– D’autres réussissent, ils lisent les signes autour d’eux.
– J’ai lu.
– Mais tu n’as pas partagé.
– Ils ne pouvaient pas comprendre. Et si j’avais parlé, ils auraient adoré le contenant au lieu du contenu. Pouvais-je entraîner mes disciples dans l’idolâtrie ? Bien sûr que non !
Il s’était opposé durant sa vie aux maîtres qui réunissaient une cour autour d’eux et se laissaient tenter par le culte de l’égo. Il avait fui le faste, les honneurs. Il avait refusé les bénédictions aux pauvres, évité les miracles, et rejeté les puissants. Il s’était astreint à une vie sobre, austère même.
– Tu peux y retourner et transmettre à nouveau ta découverte.
– Y retourner ? Mais ils sont devenus encore plus fous ! Ils vivent dans un monde où l’information circule tant que tout est obscure. Ils se parlent d’un bout à l’autre de la planète avec des machines et ignorent ceux qui sont proches d’eux. Ils découvrent les lois de l’univers et ignorent la conscience qui se cache derrière chaque atome. Ils n’écouteraient jamais un petit rabbin, même un grand, même le plus grand !
– Alors il faut y retourner en n’étant personne. Il faut y retourner en concentrant en toi le plus possible de contradictions. Tu dois être à l’image de leur monde : tout et rien à la fois.
– Mon message ne sera forcément pas le même, dit le rabbin.
– Non il sera différent, car chaque incarnation apporte sa parcelle de vérité.
– Et si je me trompais ? Et si je passais à côté de ma mission ?
– C’est un risque. Vous les âmes qui descendez, vous êtes comme des voyageurs que l’on envoie sur une île chercher des diamants. Certains reviennent avec quelques pierres. D’autres reviennent les poches vides parce qu’ils ont cru que l’île était la destination finale. Tout l’enjeu est de comprendre qu’il faut profiter un maximum de l’île pour découvrir les pierres précieuses, qui sont cachées partout. Tout en sachant que le temps est limité et qu’il faudra rentrer un jour au pays.
Le rabbin se mit à réfléchir.
Une âme choisit les circonstances de sa venue au monde.
Il devait créer un contexte inédit, qui lui permette de dire les choses à des hommes d’un autre siècle.
– Je veux naître loin de la torah. Je veux que rien ne me destine à devenir un grand rabbin. Je veux même ne pas ressembler à un juif. Je veux qu’à chaque instant de mon existence on me demande qui je suis. Ainsi je réussirai…
Très original ! C’est sympa