7 mins
« Regarde comment il pavoise le joli gurmuth !
— Roucoule mon doux gurmuth !
Lee’Roy tourna ce qu’il pouvait de sa tête vers ses sœurs, le visage ronchon.
— Môman, dis leur d’arrêter ! elles ne font que se moquer de moi.
Une voie monotone et distante provenant du fourneau répondit.
— Les filles, arrêtez d’embêter votre frère !
Un gloussement discret provenant de l’autre coin de la pièce de vie chatouilla les oreilles agacées du jeune homme. Il s’empourpra instantanément à la vue de la belle Rubby assis sur une chaise à bascule. Elle essayait de masquer son fou-rire dans sa manche pour ne pas le contrarier. Mais à contrario de ses sœurs, il ne put lui en vouloir. Bien au contraire, il lui adressa son plus large sourire.
— Qu’il est niais, pouffa Marylène.
Lee’Roy ne broncha pas, sourd à ce commentaire, obnubilé par la jeune servante. Il se dressait debout sur le banc en bois de la table à manger les bras écartés tel un épouvantail érigé sur un mat dans un champ de céréales. Il était piégé dans une structure de textile que le couturier de la princesse façonnait depuis des heures. Landford piquait et repiquait le tissus avec des épingles pour joindre les différents éléments du costume, réalisait des points de couture pour fixer définitivement ses pièces entres elles. La tête de l’homme d’une taille rarement vu au village arrivait au même niveau que celle de Lee’Roy debout sur le banc. Il pestait intérieurement et se contint grâce à ses longues années d’expérience auprès des nombreuses personnes désagréables de la cour qu’il ait eu à habiller. Pourquoi suis-je ici à exercer mon art dans cet endroit insalubre ? Ce qui n’était point vrai. Pourquoi dois-je subir les réflexions désobligeantes de ses jeunes filles sans éducation ? Ce qui n’était point vrai.
Après une après-midi de travaille, l’ensemble prenait forme. Un sourire satisfait vint enfin se dessiner sur le visage de Landford. Il devait bien reconnaitre que le jeune homme portait parfaitement le costume. Sa carrure, son port d’épaules, l’alignement du dos et de sa tête bien droite, avaient parfait la présence du jeune homme. Ses précieux habits se composaient d’une longue veste en tartan de bleu et de vert assorti exactement du même tissu d’un pantalon à coupe droite qui cassait élégamment d’un pli sur les pieds encore nus. Dessous, il portait une chemise large à grand col aux pointes arrondies d’un blanc immaculé. Quand le travail fut terminé, Landford aida Lee’Roy, un peu engoncé, à descendre du banc. D’un geste de la main, il lui demanda de faire un aller-retour dans la maisonnée pour observer le mouvement du tissu et des différents plis. Les moqueries des sœurs s’étaient tues et elles devaient bien avouer que leur frère portait remarquablement le costume et avec beaucoup de prestance. Même sa mère avait sorti la tête de sa cuisine pour admirer son fils. Les yeux et la bouche de Rubby formaient des O, ébahit par la belle allure de Lee’Roy.
Les mains sur les hanches, Landford souffla.
— Voilà, j’ai fait ce que j’ai pu, minimisa-t-il.
— Euh, c’est normal d’être aussi serré dans des habits ?
— Rentrez le ventre, éviter de respirer comme un bœuf, marchez délicatement, ne faite pas de mouvements brusques avec vos bras. Il faut savoir souffrir jeune homme pour avoir un minimum de classe. Ce n’est pas vous qui vous adaptez au vêtement, c’est le vêtement qui s’adapte à vous.
— Merci docteur, ironisa Lee’Roy.
— Docteur… Quel manque de respect ! persiffla Landford.
Les sourires d’admiration étaient sur tous les visages hormis sur le bougon couturier. Rubby sur un balancement bien senti se releva derechef et observa le travail accompli. D’un geste souple, elle épousseta la poussière imaginaire sur l’épaule de Lee’Roy.
— Parfait ! La princesse Syvannah sera ravi du résultat.
— Et à vous, cela vous plait-il donc ?
— Oui bien sûr, hésita Rubby. Mais le plus important c’est que cela convienne à la princesse, au roi et aux convives. Mais rassurez-vous, vous ne manquerez pas de faire de l’effet à la soirée de l’Entre-Deux Lunes.
Lee’Roy se couvrit la bouche avec sa manche comme pour masquer sa prochaine réflexion.
— Et à vous, vous fais-je de l’effet ? Susurra le timide apprêté.
— Comment ? Qu’avez-vous dit ?
— Non rien… J’espère être dégourdi pendant le buffet…
Landford expira bruyamment pour qu’on le remarque.
— Tout un savoir vivre à lui apprendre en quelques heures… Je vous souhaite bien du courage jeune servante.
— Mais vous deviez m’aider au moins à lui apprendre la démarche, comment s’assoir, la révérence, le port de tête, le protocole de salutation…
Landford boucla sa mallette contenant ses outils et se couvrit la tête de son chapeau.
— Vous avez l’air de parfaitement vous entendre avec ce jeune homme, dit malicieusement le couturier. Vous saurez lui apprendre tout ce qu’il faut connaitre pour faire illusion à la soirée…
Un dernier regard méprisant à l’ensemble de la maisonnée et Landford ouvrit la porte pour s’en aller, se baissa sous le chambranle.
— Bon courage mademoiselle Rubby.
Elle tendit les bras vers Landford et resserra ses mains vers elle comme pour tirer sur une laisse invisible les reliant et le faire revenir à elle. Mais la traction ne produisit pas et la porte se referma.
— Super, nous nous sommes débarrassés du vieux grognon, s’exclama Lee’Roy à l’attention de Rubby.
La jeune servante dépité se passa la main sur le visage.
— Tout d’abord, évitez de dire « super » en présence des membres de la famille royale.
— Super ! donc « grognon » ça passe ?
— Non plus ! Lee’Roy, il faut que vous preniez cet évènement un peu plus au sérieux. Même si c’est un moment festif, une ode à l’été et que vous serez l’une des personnes récompensées pour leur action positive durant cette année, il n’empêche qu’il faudra respecter des us et coutumes vieux de plusieurs centaines d’années. De prestigieux invités seront conviés, des alliés de longue date et parfois des ennemies récents avec lesquels le roi souhaite lier des partenariats pour perpétuer la paix dans notre royaume. Vous devez prendre toutes les étapes de cette soirée avec gravité. Par exemple, la cérémonie de présentation des courtisans de la princesse contribue aussi à cet équilibre.
Comme si Lee’Roy n’avait retenu que trois mots de la tirade de Rubby, il demanda :
— Savez-vous si je fais partie de la liste des prétendants à la main de la princesse ?
Cette question n’avait pour but que de titiller Rubby, car il se moquait éperdument de plaire à Syvannah. Il n’avait que yeux pour la jeune servante. Il voulait juste la dérider, alléger l’atmosphère.
— Je n’ai pas été mise dans la confidence monsieur…
Monsieur ? On ne l’avait jamais appelé ainsi, surtout de la part d’une personne de son âge. Décidément, il n’arriverait pas à l’assouplir. Il changea de stratégie et cessa la parlote pour un exercice physique.
— Madaaaame ! puis-je solliciter votre aide pour retirer mes atours que je ne voudrais souiller d’ici la grande soirée ?
Sa mère et ses sœurs se précipitèrent pour accéder à sa demande. Un regard de refus appuyé les stoppa net. Il voulait prestement l’aide de la jeune fille.
— Mais bien sûr, monsieur.
Lee’Roy se racla la gorge.
— Nous allons peut-être laisser les « monsieur » et « madame » pour les convenances à venir. Vous êtes dans une ferme en bois d’un village d’agriculteurs et vous êtes une enfant tout comme moi. A notre âge, on se tutoie. On a des discussions légères. On flâne. On plaisante. On se moque gentiment les uns des autres.
— Vous avez raison, mais dite-moi. Les moqueries à votre égard ont-elles toujours été gentilles ? J’ai la peau moins sombre que vous et j’ai dû endurer mille sobriquets désagréables et blessants. Je n’imagine pas ce que vous avez pu endurer. Nous, ses individus à la peau ombrée voir noir comme l’huile de feu, nous avons dû prouver notre valeur dix fois plus que les peaux de lait. Voilà pourquoi, je prends les choses plus au sérieux que le commun de la population, et vous devriez faire de même. Rentrer au service de la famille royale était une opportunité inespérée pour une personne comme moi. Je n’ai pas l’occasion d’être légère comme vous dite. Flâner et plaisanter sont des comportements de luxe que je ne peux me permettre.
Silencieux, Lee’Roy s’extirpa de sa veste seul, non s’en mal en prenant garde de ne pas forcer sur les coutures. Il l’enfila sur le ceintre en bois laissé par Landford. Rubby supervisait les opérations. Après un bref regard vers elle, il déboutonna son pantalon et le glissa d’une traite sur ses chevilles présentant une culotte raccommodée à maintes reprises bien moins élégante que la soie de la cour. Il conclut en retirant l’ample chemise par-dessus la tête sans détacher les boutons. Rubby soupira.
— Les boutons ne sont pas là que pour la décoration.
Après avoir enfilé le reste des vêtements sur le ceintre, elle se concentra sur le corps de Lee’Roy. Sa plastique fit rosir les pommettes de Rubby. Marylène lui tendit son maillot et son pantalon en se raclant la gorge. Le jeune homme n’en eut cure et resta droit comme une sculpture de dieu zakusinien. Il se plaisait à embarrasser la jeune servante.
— Lee’Roy, rhabille-toi immédiatement ! gronda sa mère.
La stature divine se liquéfia d’un coup.
— Oui mère…
Rubby s’approcha de son visage, effleurant sa joue. Il pensa à un doux baisé qui allait se poser dessus, mais elle continua son parcours jusqu’à l’oreille pour lui chuchoter.
— Le pôtit fils à sa môman ! comme c’est mignon.
Elle s’éloigna, enfila son gilet noir disposé sur le dossier de la chaise à bascule et prit son sac.
— Un tuteur viendra quelques heures avant la soirée pour vous apprendre quelques convenances de la cour.
Lee’Roy avait espéré que ce serait elle qui lui enseignerait ses mondanités rébarbatives.
— Prenez soins de votre costume, monsieur. Et pensez à bien ranger vos chaussures. Je vous conseille de marcher plusieurs centaines de pas au sein de la maison pour les assouplir. Vous verrez, au début elles vous feront un mal de chien.
Lee’Roy acquiesça de la tête.
— Madame Attila, mesdemoiselles, ce fut un réel plaisir de faire votre connaissance et passer la journée avec vous.
— Nous espérons vous revoir très bientôt, répondit Marianne avec une arrière-pensée pour son fils.
— Oui Lee’Roy espère vous revoir très vite madame Rubby, s’esclaffa moins subtilement Maryssa.
Rubby gloussa et ouvrit la porte où l’attendait un garde royale prêt à la ramener au château.
— Lee’Roy, j’ai hâte de vous revoir à l’Entre-Deux Lunes.
Puis elle referma la porte.
Ces derniers mots pour lui le transportèrent vers les cieux. Les derniers jours le séparant du festin royal seraient une éternité.
Bravo Micaël, tout d’un texte classique et satirique sur les simagrées du poulailler.
J’adore ce personnage et sa gentille servante,un pied de nez à l’Ancien Régime.
Molière aurait adoré.