Quand Souriss encadrée des deux gardes zakusiniens toqua à la porte de sa chambre, Sibahati était déjà debout, toiletté et habillé. Il sortit sur le seuil, le visage rayonnant et reposé, adressant un sourire radieux à la jeune femme.
« Bonjour Souriss, cette nuit fut un enchantement.
— J’en suis ravi pour vous. C’est certain que le duvet de mouton des montagnes est plus confortable que le foin piquant et puant…
— Oh désolé, je ne voulais pas être désagréable avec vous.
— Mais non, je vous taquine !
— D’accord, mais faite moi penser à vous payer une literie digne de celle que j’utilise.
— Sibahati, je suis serveuse ici. Vous n’êtes pas sensé m’offrir de cadeau. Surtout ce genre de présent qui me mettrait le reste du personnel à dos.
— D’accord je comprends, mais moi en revanche je veux ramener cette literie dans le Sud. Ziriossa, occupe-toi d’approvisionner un matelas de cette qualité ainsi que les couvertures de peau de mouton des montagnes. Fais-les acheminer par le prochain convoi commercial.
Le soldat leva les yeux au ciel. Cela outrepassait ses fonctions militaires. Les hommes de Sibahati avaient beaucoup d’estime pour lui, mais par moment ils lui reprochaient en secret et entre eux ses désirs futiles de petite princesse. Il avait acquis le respect et l’allégeance de ses hommes. Sibahati avait prouvé devant eux de ces talents de combattants ; à mains nues, à l’épée, au bâton double-lames, et avec toutes autres sortes d’armes, ces qualités d’archer, de cavalier, de nageur, de tacticien. Cependant il avait aussi une passion pour la culture, l’architecture, la décoration d’intérieure, le dessin, l’écriture, la cartographie, la mode, des qualités qui n’impressionnaient pas outre mesure les soldats à son service. Pour eux, l’amour des étoffes, des vêtements, de la sculpture, la peinture ou la poésie, des concoctions de beauté pour le visage, était réservé aux femmes de la noblesse.
Sibahati pris le bras de Souriss qui l’accompagna dans les escaliers jusqu’à la grande salle. Sotchi, Gortssi et Soriol les attendaient déjà au pied de l’âtre au foyer brulant perpétuel. Ils avaient l’air frais et disposé ce qui impressionna le prince des Terres du Sud après leur beuverie de cette nuit. Souriss se détacha de Sibahati vers le comptoir pour revenir avec un godet en terre cuite rempli de café fumant.
« Oh quel plaisir de pouvoir déguster du café chaud dans vos contrées du nord.
— Ce qui prouve que nos relations commerciales sont au beau fixe, se félicita Sotchi.
— Et nous sommes venus ici pour améliorer nos échanges et faciliter la circulation de nos voies marchandes.
— En échange de votre aide militaire, conclut Gortssi.
Sibahati reporta son intérêt sur Souriss.
« Madame, pourriez-vous m’accompagner pendant cette journée d’actes protocolaires, de mondanités assommantes et de cérémonies strictes ?
— Prince ! s’interloqua Ziriossa. Vous ne pouvez pas faire cela. Inviter une sans-rang à votre bras pour vos activités politiques de ce jour est interdit. Et votre père en aurait connaissance.
— Excusez le Souriss pour la goujaterie de cet homme.
— Non au contraire, c’est lui qui à raison. Je ne peux pas être vu avec vous au château ou à l’église parmi les membres de la famille royale et la noblesse. Je pourrais être donnée en pâture aux ours du cirque pour cela.
— Je suis prince et futur roi, j’ai le droit…
— S’il vous plait Sibahati, faites vos choses de prince aujourd’hui, et nous nous verrons plus tard dans l’intimité d’un rendez-vous loin des instances royales.
Soriol émit un sifflement admiratif.
« Une soirée et une nuit à Forcîme et monsieur le prince de Zakusini a réussit à se mettre ma tendre Souriss dans la poche.
— Tiens-toi Soriol, admonesta Sotchi.
— Mon cher, savez-vous qu’agripper la croupe d’une jeune femme comme une vulgaire miche de pain, n’est pas très approprié pour la séduction. Posez-vous des questions sur votre attitude envers cette jeune femme.
— Mais heu !
Sotchi et Gortssi éclatèrent de rire.
« Tu t’es bien fait moucher mon vieux !
— Je n’y peux rien si je suis tactile avec les gens que j’aime.
— Il y a une différence entre malaxer un séant comme une pâte à gâteau et effleurer d’une légère caresse le dos de la main par exemple, à condition d’avoir l’assentiment de la personne courtisée.
Sans répartie, Soriol grogna dans sa barbe.
« Je vous sais gré de votre sollicitude Souriss. Nous nous verrons donc demain.
Les six hommes sortirent de l’auberge et enfourchèrent leur monture pour rejoindre le parvis face à l’entrée du château. Sibahati retrouva toute sa troupe de douze cavaliers parfaitement agencé en deux lignes de six. Le prince se positionna au centre du couloir formé par ces hommes suivi de ses deux gardes. Le trio de guerriers du nord prit la tête et ils se présentèrent face à la porte monumentale du château. Deux gardes royaux vinrent à leur rencontre et les précédèrent. Les lourds battants s’ouvrirent, suivi de la herse montant et disparaissant dans la haute muraille. Des instruments de musique à vent accompagnèrent l’entrée de l’hôte zakusinien. Ils pénétrèrent dans une cours étroite et profonde enfermée par des murs de défense d’une hauteur vertigineuse d’au moins quarante pas, surmontés par le flanc de la montagne par l’un de ses côtés. A droite, il y avait une bâtisse regroupant la garde du château où juxtaposait l’écurie de la garde. Des escaliers à flan de muraille desservaient le chemin de surveillance sur son arrête crantée. A gauche, une forge irradiait de sa chaleur le parvis où s’activait des marteleurs et des fondeurs, puis une écurie à ciel ouvert pour les montures des visiteurs. Sibahati ne remarqua que tardivement les musiciens bordant de part et d’autre l’escalier majestueux qui leur faisait face. Sur le perron les attendait la reine Alvyna droite, immobile, élancée comme un stalagmite, le Cardinal Faucon d’Isle et une douzaine de gardes en armures argentées rutilantes. Trois marches en dessous, au centre, se dressait le prince Majesty, les jambes écartées, les pieds bien encrés au sol, pour se donner une prestance imposante. Cependant, son jeune âge et son visage juvénile trahissait son rôle. Arrivés à quelques pas de la première marche, Majesty en descendit quelques-unes pour dominer les nouveaux venus. Sa tête effilée était balayée par une chevelure fougueuse aux filaments de cristal. Au menton, une pousse difficile d’une barbe parsemée de longs poiles argent pour masquer les trous imberbes, se risquait pour mûrir son visage poupon. Seul son regard de glace imposait sa stature de chef. Son corps athlétique, sculpté à la serpe dépareillait avec sa figure. Sur une veste de velours bleu, un plastron d’acier lustré étincelant, gravé aux armoiries de la famille alvinne couvrait sa poitrine. Du même acabit, des genouillères sur un pantalon du même velours, surmontant des bottes de cuir noir, et des coudières protégeaient ses articulations. Ses mains et avant-bras étaient habillés de gans en cuir épais. Toutes ses pièces métalliques faisaient partie de l’armure d’apparat. Il ne pouvait pas combattre avec celle-ci.
Sibahati mis pied à terre. Ziriossa l’annonça à gorge déployée. « Le prince Sibahati Kubwa des Terres du Sud, héritier du trône de Zakusini, fils du roi Jiwe Kubwa. » En réponse un garde royale haussa sa voix. « Le prince Majesty Tuliss des Alvins des Terres de Pierre, héritier du trône des Alvins, fils de feu le roi Robert Tuliss… La reine Alvyna Tuliss Jowan des Terres de Pierre, régente du royaume des Alvins… Le cardinal Faucon d’Isle, chef de l’église des alvins, administrateur de la cité de Forcîme !
Majesty descendit les dernières marches qui le séparait de Sibahati et lui tendit la main. Une franche poignée de mains concluait les présentations.
« Prince Sibahati, nous espérons que vous avez fait bon voyage et profité du repos de cette nuit. Je vous en prie, veuillez me suivre.
Les deux hommes gravirent les marches jusqu’au perron. Sibahati s’inclina devant la reine, une grande femme de deux pas de haut, longiligne, aux formes acérées, au buste altier. Son visage au menton pointu, aux lèvres pulpeuses écarlates et aux yeux bleus translucides, encadré par une longue chevelure noire et ondulée recouvrant ses épaules, trahissait sa filiation avec la famille royal Jowan des Terres Riches. Elle était la sœur de la reine Kamiya. Le roi Jowsen II Le Constructeur avait marié sa fille au fils du roi Hobbe Le Fourbe pour pérenniser la paix entre les deux royaumes. Pour accentuer sa grandeur, elle portait une longue robe de velours rouge exagérément serrée à la taille et tapissant ses pieds. Une écharpe de fourrure argentée de fouines des glaces protégeait son long coup. Sibahati pivota légèrement et s’inclina face au cardinal. Son visage était profondément creusé par les froides bourrasques des montagnes tout comme ses yeux noir disparaissant dans ses orbites. Il portait une soutane de velours noir richement brodé de fil d’argent, recouvert d’une longue cape de cuir noir au col de fourrure de loup blanc et une capuche protégeant son crâne rasé. Un membre de la garde royal qui faisait office de maitre d’hôtel invita les membres de la famille royale, le cardinal et les convives Sibahati et ses deux gardes à pénétrer dans le hall et la salle du trône. Sotchi et ses comparses ainsi que le reste des zakusiniens restèrent dans la cours.
L’intérieur était à l’image de toutes les constructions de la cité. L’étroitesse des terrains de construction était compensée par la profondeur et surtout les hauteurs démesurées des plafonds et des nefs symbolisant les fortes altitudes des sommets des Terres de Pierre. Ils arpentèrent rapidement la salle du trône pour accéder dans une pièce plus intimiste ; une des salles du conseil. Ils s’assirent autour d’une table ronde en granite.
« Prince Sibahati, nous vous remercions pour votre venue, d’avoir affronté ce périple, pour seller notre alliance, introduisit Majesty.
— Je vous remercie en retour, de l’efficacité de notre escorte, de l’accueil chaleureux de votre peuple (une pensée pour Souriss) et de la qualité de vos mets et d’hôtellerie.
— Nous en sommes ravis. Votre père a-t-il respecté les termes de notre accord, intervint la reine Alvyna sans transition.
Majesty jeta un regard agacé à sa mère. Sibahati ne se départit point.
— Douze mille soldats zakusiniens sont en poste et campent sur les plages sud de la mer de Dunia avec votre deuxième armée. Depuis le jour de notre départ, nos deux armées coopèrent et s’exercent quotidiennement pour organiser et coordonner nos différentes méthodes de combat et de tactique. Cent navires mouilles au large de ces plages prêts à lever l’encre. Ils n’attendent plus que le signal de départ remis par un de nos faucons messager avec la marque du prince Majesty et la mienne.
— Et la mienne, précisa Alvyna.
— Fort bonnes nouvelles prince, continua le cardinal d’une voix caverneuse. Nous sommes impatients de démarrer cette campagne de reconquête de toutes les Terres du Nord. Votre soutien militaire vous assura comme convenu une priorité absolue sur toutes les routes commerçantes du continent. Le royaume des Alvins vous assure leur préférence sur toutes leurs importations.
— Puis-je me permettre de vous rappeler quelques points important pour nous de notre accord ? Aucune personne natif des Terres du Sud habitant et travaillant dans les Terres Riches se trouvant sur le passage et les sièges de nos armées ne devra subir de dommage corporelle et morale de la part de guerriers blancs. Seuls nous, seront habilités à procurer la justice et les châtiments à nos semblables.
— Bien entendu prince, mais rassurer vous, ils ne sont pas nombreux sur ces terres.
— Et nous espérons l’être dans les Lunes à venir.
Un moment de flottement accompagna la remarque de Sibahati.
« Oui, nous l’espérons tous, conclut le cardinal.
Le ton grave et monocorde du cardinal plombait l’atmosphère sur ce moment qui se devait être historique entre ces deux royaumes, et ennuyait Majesty.
« Parfait, tout est absolument clair et en accord ! Nous aurons l’occasion de peaufiner la suite des évènements lors de notre conseil de guerre dans deux Lunes. Serez-vous des nôtres ce soir pour un banquet en votre honneur. Vous êtes nos obligés.
Sibahati eu un instant de réflexion et hésita dans sa réponse.
« Nous acceptons volontiers cependant m’accorderiez vous l’autorisation d’inviter une jeune femme de votre peuple ?
Dans son dos, Ziriossa lança de ses yeux noir une flèche de désapprobation dans le dos de son prince. Il aurait souhaité que ce trait le pique physiquement.
« Oh, auriez-vous déjà fait connaissance d’une de nos dames de la cours ? Ou d’une de nos officiers ? Laissez-moi deviner ; Altrisse, la capitaine de la garde de nuit. Non vous êtes plus fin que cela. Oyoriss, notre jeune cousine duchesse de la vallée des Doscîmes logeant tout prêt de l’Auberge des Cimes, questionna Majesty d’un air malicieux.
Les regards se croisaient et s’entrechoquaient dans l’assemblée dans l’attente de la réponse.
« Euh, non prince, ce ne sont pas ses dames que je n’ai pas eu l’honneur de rencontrer. C’est une toute aussi gente dame… Souriss de l’Auberge des Cimes.
Majesty fronça le front cherchant l’identité de cette personne. Il chercha de l’aide dans le regard de sa mère qui semblait désintéressée.
« Comment ça ? Est-ce la propriétaire de l’auberge ? L’argentière ? La mécène ?
— Non, une laborieuse au service de l’auberge. Une jeune femme très estimable.
— Une sans-grade… réagit Alvyna.
— D’accord, d’accord, coupa net Majesty. Ne contrarions pas notre invité et allié. Il peut parfaitement se faire accompagner par une femme de compagnie pour lui enseigner nos us et coutumes.
— Une dame de la cours aurait été plus appropriée…
— N’en parlons plus ! trancha Majesty.
Le cardinal Faucon d’Isle se leva lentement avec raideur et s’adressa à Sibahati.
— Vous nous ferez aussi l’honneur de participer au culte que je préside demain midi. Même si vous n’êtes pas de notre obédience, vous aurez peut-être quelques confessions à adjurer à vos dieux. Et j’aurais quelques annonces qui pourrons vous intéresser.
Sibahati n’avait aucune envie d’assister à ce culte. Déjà que les cérémonies spirituelles de son royaume le rebutaient au plus au point. Mais il se sentit obligé d’agréer en concession à l’autorisation de se faire escorter par Souriss.
« Avec plaisir monsieur le cardinal.
— Du coup, nous ne vous proposons pas une des chambres d’invité du château. Je vous comprends, vous avez trouvé le confort et le réconfort au sein de l’Auberge des Cimes, s’amusa Majesty.
Sibahati se leva à son tour suivit dans la foulé par Alvyna et Majesty, et prit congé. Lui et ses deux gardes sortirent seuls du château et rejoignirent le reste de la troupe. Accompagnés des guerriers alvins, ils quittèrent la cours de façon moins cérémoniale qu’à leur arrivée et plus désordonnée. Le prince des Terres du Sud était pressé de rejoindre l’auberge, Souriss et offrir une tournée de bières à ses nouveaux amis du nord.
Je suis toujours aussi admiratif et impressionné, les descriptions ciselées s’accordent avec le respect, ou la transgression du protocole.
J’aime beaucoup la mansuétude et l’intelligence de Majesty.
Vraiment passionnant et de haut niveau.